LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
SMSG
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 30 août 2023
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 610 F-D
Pourvoi n° J 22-11.803
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 30 AOÛT 2023
La société Groupe Tenor, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° J 22-11.803 contre l'arrêt rendu le 28 septembre 2021 par la cour d'appel de Versailles (13e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Aditem, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 4],
2°/ à la société Aditem service Saint Etienne, société en nom collectif, dont le siège est [Adresse 5],
3°/ à la société Adensis, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], représentée par la société [E]-Pecou, au nom commercial de Bois-[E], en la personne de M. [G] [E], prise en qualité de mandataire ad hoc de cette société,
4°/ à la société [E]-Pecou, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, au nom commercial de Bois-[E], en la personne de M. [G] [E], dont le siège est [Adresse 1], prise en qualité de mandataire ad hoc de la société Adensis,
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Guerlot, conseiller référendaire, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société Groupe Tenor, de la SCP Alain Bénabent, avocat de la société Aditem, après débats en l'audience publique du 20 juin 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Guerlot, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 28 septembre 2021), par un acte du 25 janvier 2013, la société Aditem a cédé à la société Adensis les actions qu'elle détenait dans le capital social de la société Aditem service Saint Etienne, ayant notamment pour activité la commercialisation des logiciels Divalto et Progib, moyennant un prix de 400 000 euros, payable en sept échéances de janvier 2013 à juillet 2015. Le 29 septembre 2014, la société Aditem service Saint Etienne a cédé à la société Aditem la branche d'activité de son fonds de commerce relative à la distribution du logiciel Progib, pour un montant de 100 000 euros payable par compensation avec le solde dû par la société Adensis au titre de l'acquisition des parts sociales de la société Aditem service Saint Etienne.
2. Par des actes du 1er juin 2015, la société Médiagraphie, devenue société Armide puis société Groupe Tenor, a acquis, d'une part, de la société Aditem service Saint Etienne, la branche de son fonds de commerce relative à la distribution du logiciel Divalto, moyennant un prix de 120 000 euros, d'autre part, de la société Adensis, la branche de son fonds de commerce relative à la distribution du logiciel Divalto, moyennant un prix de 80 000 euros.
3. Après la mise en liquidation judiciaire de la société Adensis, la société Aditem a déclaré auprès du liquidateur judiciaire une créance de 100 000 euros correspondant au solde du paiement des parts sociales de la société Aditem service Saint Etienne.
4. Soutenant par ailleurs être créancière de la société Aditem service Saint Etienne, la société Aditem a exercé l'action paulienne contre la société Groupe Tenor afin que lui soient déclarées inopposables les cessions du 1er juin 2015.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. La société Groupe Tenor fait grief à l'arrêt de déclarer la société Aditem bien fondée en son action paulienne, de déclarer inopposable à celle-ci la cession de la branche de fonds de commerce portant sur l'activité Divalto conclue le 1er juin 2015 entre la société Aditem service Saint Etienne et la société Armide, devenue Groupe Tenor, de condamner cette dernière à payer à la société Aditem la somme de 196 900,71 euros, avec intérêts au taux légal, et de rejeter les demandes de la société Groupe Tenor, alors :
« 1°/ que la fraude paulienne requiert de caractériser l'appauvrissement du débiteur au jour de l'acte argué de fraude ; que, pour juger que la cession du 1er juin 2015 était frauduleuse, l'arrêt a retenu que la société Aditem ne prouvait pas que la première branche d'activité avait une valeur de 300 000 euros comme elle l'alléguait, puis s'est référé au prix du rachat de la société Aditem service Saint Etienne payé le 25 janvier 2013, soit deux ans et demi avant l'acte du 1er juin 2015 ; qu'en ne caractérisant pas ainsi que le prix de 120 000 euros payé le 1er juin 2015 pour l'acquisition de la branche du fonds de commerce de la société Aditem service Saint Etienne portant sur l'activité Divalto ne correspondait pas à sa valeur et constituait un appauvrissement de cette société, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'ancien article 1167 du code civil ;
2°/ que, lorsque le débiteur est une société commerciale, dont les produits et les charges sont enregistrés dans une comptabilité annuelle et donnent lieu à un compte de résultat annuel, son insolvabilité apparente, sans laquelle il n'y a pas de fraude paulienne, doit s'apprécier sur l'exercice comptable au cours duquel est conclu l'acte argué de fraude ; que, pour considérer que la cession du 1er juin 2015 était frauduleuse, l'arrêt attaqué a considéré les exercices comptables de la société Aditem service Saint Etienne arrêtés les 31 mai 2013, 31 mai 2014 et 31 mai 2015, puis a ajouté que son insolvabilité apparente au jour de la cession était renforcée par la publication au Bodacc le 24 novembre 2015 de sa cessation d'activité peu important qu'il s'agisse d'une erreur ou non, et s'est enfin référé aux comptes de l'année 2020 et à l'impossibilité d'exécuter le jugement dont appel, rendu le 13 mai 2020 ; qu'en statuant par ces motifs, inaptes à caractériser l'insolvabilité apparente de la société Aditem service Saint Etienne lors de la cession du 1er juin 2015, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'ancien article 1167 du code civil ;
3°/ que c'est au créancier qui exerce l'action paulienne qu'il incombe de prouver la réunion des conditions de cette fraude ; qu'en retenant la fraude au motif que la société Aditem n'était pas démentie lorsqu'elle affirmait qu'il y avait eu augmentation des charges externes de la société Aditem service Saint Etienne lors l'exercice clos le 31 mai 2015 due à une refacturation par la société Adensis, quand la société Groupe Tenor n'avait pas à prouver que l'affirmation de la société Aditem était fausse, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 devenu 1353 du code civil. »
Réponse de la Cour
6. Ayant souverainement retenu que la sous-évaluation du prix de cession de la branche d'activité relative à la distribution du logiciel Divalto de la société Aditem service Saint Etienne et l'incapacité de cette dernière à apurer sa dette à l'égard de la société Aditem au jour de cette cession, survenue le 1er juin 2015, ressortaient de la comparaison entre le prix de vente de l'intégralité des actions de cette société et celui de la cession de cette branche d'activité ainsi que des résultats des exercices clos aux 31 mai 2013, 31 mai 2014 et 31 mai 2015, la cour d'appel, qui, sans inverser la charge de la preuve, a ainsi caractérisé tant l'existence d'un appauvrissement de la débitrice à la suite de l'acte de cession que son état d'insolvabilité au moins apparente, a légalement justifié sa décision.
7. Inopérant en sa troisième branche, qui critique des motifs surabondants, le moyen n'est donc pas fondé pour le surplus.
Mais sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
8. La société Groupe Tenor fait grief à l'arrêt de déclarer la société Aditem bien fondée en son action paulienne, de déclarer inopposables à celle-ci la cession de [la] branche de fonds de commerce portant sur l'activité Divalto conclue le 1er juin 2015 entre la société Adensis et la société Armide devenue Groupe Tenor, de condamner cette dernière à payer à la société Aditem la somme de 196 900,71 euros avec intérêts au taux légal, et de rejeter les demandes de la société Groupe Tenor, alors « qu'en jugeant que la cession du 1er juin 2015 de la branche du fonds de commerce de la société Adensis portant sur le logiciel Divalto était frauduleuse, sans même s'interroger sur le point de savoir si le prix d'acquisition de 80 000 euros de cette branche d'activité ne correspondait pas à sa valeur, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé l'appauvrissement de la société Adensis, a privé sa décision de base légale au regard de l'ancien article 1167 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1167 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :
9. Il résulte de ce texte que l'action paulienne est subordonnée non seulement à la preuve de ce que le débiteur a conscience du préjudice causé à un créancier par l'acte querellé, mais également au fait que ce dernier constitue un acte d'appauvrissement créant l'insolvabilité, au moins apparente, du débiteur.
10. Pour déclarer la société Aditem bien fondée en son action paulienne, déclarer inopposable à cette société l'acte de cession de la branche de fonds de commerce portant sur l'activité Divalto conclu le 1er juin 2015 entre les sociétés Adensis et Armide, devenue Groupe Tenor et condamner la société Groupe Tenor à payer à la société Aditem la somme de 196 900,71 euros, l'arrêt retient que la cession a entraîné un appauvrissement réel de la société Adensis puisque celle-ci a été placée en liquidation judiciaire quelques mois plus tard, le 26 janvier 2016, la date de cessation des paiements étant fixée seulement deux mois après, le 31 juillet 2015.
11. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser un appauvrissement de la société Adensis entraînant son insolvabilité apparente consécutif à la cession de la branche de son fonds commerce relative à la commercialisation et à la distribution du logiciel Divalto, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'elle déclare inopposable à la société Aditem l'acte de cession de la branche de fonds de commerce portant sur l'activité Divalto conclu le 1er juin 2015 entre les sociétés Adensis et Armide, devenue Groupe Tenor et condamne la société Groupe Tenor à payer à la société Aditem la somme de 196 900,71 euros avec intérêts au taux légal à compter du 28 septembre 2021, l'arrêt rendu le 28 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne la société Aditem aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Aditem et la condamne à payer à la société Groupe Tenor la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du trente août deux mille vingt-trois.