LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
BD4
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 5 juillet 2023
Rejet
M. SOMMER, président
Arrêt n° 781 FS-B
Pourvois n°
Y 21-19.816
à H 21-19.824 JONCTION
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de MM. [N] [R], [K], [S], [T],
[F], [E], [U] et [L].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 20 mai 2021.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 5 JUILLET 2023
1°/ M. [H] [N] [R], domicilié [Adresse 6],
2°/ M. [I] [K], domicilié [Adresse 5],
3°/ M. [Z] [S], domicilié [Adresse 3],
4°/ M. [A] [T], domicilié [Adresse 10],
5°/ Mme [J] [G], veuve [W], domiciliée [Adresse 8], prise en sa qualité d'ayant droit d'[Z] [W],
6°/ M. [P] [F], domicilié [Adresse 9],
7°/ M. [V] [E], domicilié [Adresse 1],
8°/ M. [V] [U], domicilié [Adresse 7],
9°/ M. [O] [L], domicilié [Adresse 4],
ont respectivement formé les pourvois n° Y 21-19.816 à H 21-19.824 contre neuf arrêts rendus le 29 mai 2020 par la cour d'appel de Douai (chambre sociale), dans les litiges les opposant à l'Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leurs pourvois, trois moyens communs de cassation.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de M. Rinuy, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [N] [R] et des huit autres demandeurs aux pourvois, de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de l'Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs, et l'avis de Mme Wurtz, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 juin 2023 où étaient présents M. Sommer, président, M. Rinuy, conseiller rapporteur, Mme Capitaine, conseiller doyen, Mmes Van Ruymbeke, Lacquemant, Nirdé-Dorail, Salomon, conseillers, Mmes Valéry, Pecqueur, Laplume, MM. Chiron, Leperchey, conseillers référendaires, Mme Wurtz, avocat général, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 21-19.816 à 21-19.824 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon les arrêts attaqués (Douai, 29 mai 2020), M. [N] [R] et huit autres demandeurs aux pourvois ont été employés en qualité d'ouvriers mineurs de fond par les Houillères du Bassin du Nord-Pas-de-Calais, devenues établissement public à caractère industriel et commercial Charbonnages de France (l'EPIC). Cet établissement a été placé en liquidation le 1er janvier 2008. A la suite de la clôture de la liquidation, les droits et obligations de l'EPIC ont été transférés à l'Etat à compter du 1er janvier 2018.
3. Les salariés ont saisi la juridiction prud'homale aux fins d'obtenir la condamnation de l'Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs (l'ANGDM) au paiement de diverses sommes au titre de prestations de logement et de prestations de chauffage ainsi que des dommages-intérêts pour une perte de chance résultant d'une discrimination fondée sur la nationalité et l'âge. En appel, ils ont également sollicité sa condamnation au paiement de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice d'anxiété en raison du manquement à l'obligation de sécurité.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. Les demandeurs aux pourvois font grief aux arrêts de confirmer les jugements en ce qu'ils ont déclaré l'action prescrite et les ont déboutés de toutes leurs demandes, et de les débouter de leur demande indemnitaire nouvelle au titre du préjudice moral, alors « que le juge qui déclare irrecevable la demande dont il est saisi, excède ses pouvoirs en statuant au fond sur cette demande ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a confirmé en toutes ses dispositions les jugements, qui avaient déclaré prescrite l'action des exposants et les avaient déboutés de leurs demandes ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé l'article 122 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
5. Les premiers juges, comme ceux d'appel, ayant, dans les motifs de leurs décisions, jugé irrecevable comme prescrite la demande d'indemnisation d'une perte de chance subie du fait de discrimination sans l'examiner au fond, le moyen, qui relève une simple impropriété des termes du dispositif du jugement confirmé sans caractériser un excès de pouvoir, est inopérant.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
6. Les demandeurs aux pourvois font le même grief aux arrêts, alors :
« 1°/ que l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit à compter de la révélation de la discrimination ; que la révélation n'est pas la simple connaissance des faits mais correspond au moment où le salarié dispose de l'ensemble des éléments de comparaison lui permettant d'apprécier la réalité et l'étendue de la discrimination ; qu'en l'espèce, les exposants soutenaient qu'ils ne disposaient pas, au mois de mars 2008, des éléments permettant de déterminer l'étendue de leur préjudice, à défaut de proposition de rachat de leurs avantages viagers de l'ANGDM, et qu'ils ne disposaient toujours pas d'éléments de comparaison avec la situation de mineurs français ou ressortissants européens ayant bénéficié d'une telle proposition ; qu'en retenant que l'absence de documents permettant une comparaison était un "argument inopérant", quand la révélation supposait précisément que les salariés fussent en possession de ces documents, la cour d'appel a violé l'article L. 1134-5 du code du travail ;
2°/ en tout cas que l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit à compter de la révélation de la discrimination ; que la révélation n'est pas la simple connaissance des faits mais correspond au moment où le salarié dispose de l'ensemble des éléments de comparaison lui permettant d'apprécier la réalité et l'étendue de la discrimination ; que pour fixer le point de départ de la prescription au 3 mars 2008 et, partant, déclarer les actions prescrites, la cour d'appel s'est bornée à relever que les salariés étaient adhérents de l'association des mineurs marocains du nord et qu'à ce titre, ils bénéficiaient d'une information sur les différentes procédures engagées à l'encontre de l'ANGDM et avaient connaissance de la délibération de la Haute autorité pour lutter contre les discriminations et pour l'égalité (Halde) du 3 mars 2008 ; qu'en statuant par ces seuls motifs, impropres à caractériser que la discrimination fut révélée aux salariés à compter de cette date, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1134-5 du code du travail. »
Réponse de la Cour
7. Les arrêts font ressortir que les intéressés ne justifiaient pas avoir adressé auprès de l'ANGDM une demande de rachat sous forme de capital des indemnités de logement et de chauffage, ni que celle-ci leur ait opposé une décision de refus, ce dont il résultait qu'ils ne présentaient pas d'éléments de fait laissant supposer de mesure discriminatoire prise à leur encontre.
8. Le moyen est donc inopérant.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
9. Les demandeurs aux pourvois font grief aux arrêts de les débouter de leur demande indemnitaire nouvelle au titre d'un préjudice moral, alors « que l'Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs est un établissement public de l'Etat à caractère administratif qui, aux termes de l'article 1 de la loi n° 2004-105 qui l'a créée, a pour mission de garantir, au nom de l'Etat, en cas de cessation définitive d'activité d'une entreprise minière ou ardoisière, l'application des droits sociaux des anciens agents de cette entreprise et de leurs ayants droit tels qu'ils résultent des lois, règlements, conventions et accords en vigueur au jour de la cessation définitive d'activité de l'entreprise, et qui, en application de l'article 2 de cette même loi, assume les obligations de l'employeur envers ceux-ci ; qu'aux termes de l'article 2, 11°, du décret n° 2004-1466 du 23 décembre 2004, l'Agence se substitue aux entreprises dans les contentieux relatifs aux droits et prestations relevant de sa compétence ainsi que dans ceux liés à la cessation d'activité des entreprises et relevant de sa compétence, notamment les contentieux relatifs au droit du travail ; qu'il résulte de ces textes que les demandes formées par les exposants, en indemnisation d'un préjudice d'anxiété subi du fait de la violation par l'employeur de son obligation de sécurité, relevaient bien de la compétence de l'ANGDM ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les textes susvisés. »
Réponse de la Cour
10. Aux termes de l'article 1 de la loi n° 2004-105 du 3 février 2004 portant création de l'ANGDM, « Il est créé un établissement public de l'Etat à caractère administratif dénommé "Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs" qui a pour mission de garantir, au nom de l'Etat, en cas de cessation définitive d'activité d'une entreprise minière ou ardoisière, quelle que soit sa forme juridique, d'une part, l'application des droits sociaux des anciens agents de cette entreprise, des anciens agents de ses filiales relevant du régime spécial de la sécurité sociale dans les mines et de leurs ayants droit tels qu'ils résultent des lois, règlements, conventions et accords en vigueur au jour de la cessation définitive d'activité de l'entreprise et, d'autre part, l'évolution de ces droits.
L'agence peut, par voie conventionnelle, gérer les mêmes droits pour le compte d'entreprises minières et ardoisières en activité. »
11. Selon l'article 2 de cette loi, l'ANGDM assume les obligations de l'employeur, en lieu et place des entreprises minières et ardoisières ayant définitivement cessé leur activité, envers leurs anciens agents et ceux de leurs filiales relevant du régime spécial de la sécurité sociale dans les mines en congé charbonnier de fin de carrière, en dispense ou en suspension d'activité, en garantie de ressources ou mis à disposition d'autres entreprises.
Elle remplit, en outre, les autres obligations sociales des entreprises minières et ardoisières ayant cessé définitivement leur activité à l'exception de celles manifestement liées à une situation d'activité de ces entreprises.
12. L'article 2 du décret n° 2004-1466 du 23 décembre 2004 relatif à l'ANGDM détaille les droits et prestations garantis par cette agence et précise, en son 11°, qu'elle se substitue aux entreprises dans les contentieux relatifs aux droits et prestations relevant de sa compétence ainsi que dans ceux liés à la cessation d'activité des entreprises.
13. Dans sa rédaction issue du décret n° 2007-1806 du 21 décembre 2007, portant dissolution et mise en liquidation de Charbonnages de France, le paragraphe 11 prévoit que l'ANGDM se substitue aux entreprises dans les contentieux relatifs aux droits et prestations relevant de sa compétence ainsi que dans ceux liés à la cessation d'activité des entreprises et relevant de sa compétence, notamment les contentieux relatifs au droit du travail.
14. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que la mission confiée par la loi à l'ANGDM se limite à garantir l'application des droits sociaux résultant du statut des mineurs.
15. Les arrêts retiennent qu'il résulte des dispositions légales et réglementaires que l'ANGDM est substituée aux entreprises dans les contentieux relatifs aux droits et prestations relevant de sa compétence, ce qui ne concerne pas l'indemnisation au titre d'un préjudice d'anxiété lié à l'exercice de l'activité professionnelle ainsi que dans les contentieux liés à la cessation d'activité des entreprises s'ils relèvent de sa compétence, notamment les contentieux du droit du travail. Ils ajoutent qu'il se déduit de l'adverbe « notamment » que la prise en charge des contentieux relatifs au droit du travail se limite aux contentieux relevant de l'agence, ce qui n'est pas le cas de l'indemnisation d'un préjudice d'anxiété lié à l'exercice de l'activité professionnelle.
16. Relevant que les salariés invoquaient un préjudice moral en lien causal direct avec un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité dans le cadre de l'exécution du contrat de travail, la cour d'appel en a exactement déduit qu'au regard de son statut et de ses missions spécifiques, l'ANGDM, qui ne peut être considérée comme l'employeur, seul tenu des obligations contractuelles, n'était pas débitrice de l'obligation de sécurité dont se prévalaient les anciens mineurs.
17. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Condamne MM. [N] [R], [K], [S], [T], [F], [E], [U], [L] et Mme [G], veuve [W], en sa qualité d'ayant droit d'[Z] [W] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du cinq juillet deux mille vingt-trois.