LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 21 juin 2023
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 461 F-D
Pourvoi n° A 21-21.635
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 21 JUIN 2023
La société Oïkodome, société par actions simplifiée, venant aux droits de la société Ygeia, ayant son siège [Adresse 1],a formé le pourvoi n° A 21-21.635 contre l'arrêt rendu le 24 juin 2021 par la cour d'appel de Versailles (12e chambre), dans le litige l'opposant à la société In Extenso Picardie, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], anciennement dénommée société In Extenso Picardie Ile-de-France, défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, quatre moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lefeuvre, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Oïkodome, après débats en l'audience publique du 10 mai 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Lefeuvre, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Reprise d'instance
1. Il est donné acte à la société Oïkodome, venant aux droits de la société Ygeia, de ce qu'elle reprend l'instance aux lieu et place de celle-ci.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 24 juin 2021), suivant une lettre de mission signée par la société Financière MLP (la société MLP), cette dernière a confié à la société In Extenso Picardie (la société In Extenso) une mission d'expertise comptable pour les années 2008 à 2012.
3. L'article 5 des conditions générales d'intervention annexées à la lettre de mission stipule que toute demande de dommages et intérêts devra être faite dans les trois mois suivant la date à laquelle le client aura eu connaissance du sinistre.
4. Soutenant que la société In Extenso avait commis une faute engageant sa responsabilité professionnelle ayant conduit à un trop versé au Trésor public au titre de la taxe sur les salaires 2011 et 2012, la société MLP, aux droits de laquelle est venue la société Ygeia, l'a assignée en paiement de cette somme.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation celle-ci.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
6. La société Oïkodome fait grief à l'arrêt de dire que les conditions générales d'intervention de la société In Extenso lui sont opposables, de constater la forclusion de son action, de la déclarer irrecevable en ses demandes et de la condamner à payer à la société In Extenso une certaine somme à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, alors « que le juge doit respecter la loi des parties ; qu'en l'espèce, la lettre de mission du 28 octobre 2008 signée par les parties au contrat comprenait, en annexe, des conditions générales déterminées à l'avance par la société In Extenso, lesquelles comprenaient un emplacement spécial destiné à accueillir la signature de l'adhérent, en sorte que cette clause subordonnait expressément l'acceptation des conditions générales par l'adhérent à la réalisation de cette formalité, qui, au cas présent, n'avait pas été réalisée ; qu'en retenant néanmoins que les conditions générales étaient opposables à la société Ygeia, dès lors que cette dernière avait signé la lettre de mission en indiquant donner son accord pour les conditions générales de vente, sans prendre en compte l'exigence d'acceptation expresse clairement exprimée par le document considéré, la cour d'appel a méconnu la loi des parties, en violation de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
7. L'arrêt constate que la lettre de mission établie par la société In Extenso comporte quatre pages recto verso et que si la quatrième page, qui concerne les conditions générales d`intervention, comporte une case « Bon pour accord, Lu et approuvé, Signature, Date », non remplie par la société MLP, celle-ci a apposé sa signature sur la troisième page sous la mention « Bon pour accord des conditions particulières définies ci-dessus et des conditions générales au verso ».
8. La cour d'appel a exactement déduit de ces constatations que l'apposition par la société MLP de sa signature au recto sous la mention expresse du renvoi aux conditions générales d'intervention de la société In Extenso figurant au verso emportait approbation de ces conditions générales, sans nécessité d'une autre signature au bas de celles-ci, et qu'elles étaient donc opposables à la société MLP.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
10. La société Oïkodome fait grief à l'arrêt de constater la forclusion de son action, de la déclarer irrecevable en ses demandes et de la condamner à payer à la société In Extenso une certaine somme à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, alors :
« 1°/ que la durée de la prescription ne peut, par convention, être réduite à moins d'un an ; qu'en l'espèce, la clause insérée au sein des conditions générales du débiteur se bornait à indiquer que toute demande de "dommages et intérêts devra être introduite dans les trois mois suivant la date à laquelle le client aura eu connaissance du sinistre", sans assortir d'une sanction quelconque ni, a fortiori, d'une forclusion, cette limitation de la durée pour agir en responsabilité, en sorte que cette clause, dès lors qu'elle se bornait à réduire le délai pour exercer une action en justice, devait être qualifiée de clause de prescription et contrevenait aux prévisions d'ordre public de l'article 2254 du code civil ; qu'en retenant néanmoins que cette clause s'analysait en une clause de forclusion valable, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, l'article 2254 du code civil, et l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ que la renonciation tacite résulte de circonstances établissant sans équivoque la volonté de renoncer ; qu'en l'espèce, après avoir été informée par sa cliente des sommes indûment réglées au Trésor public, la société In Extenso a assuré le financement et la direction d'un procès devant les juridictions administratives afin d'obtenir la récupération des sommes indûment versées, entretenant ainsi sa cliente dans la croyance erronée qu'elle obtiendrait la réparation de l'erreur commise, comme elle l'avait promis ; qu'elle a ainsi, en prenant la direction du procès et en faisant apparemment son affaire des conséquences de son erreur, renoncé au bénéfice de la clause limitant à trois mois le délai pour agir en responsabilité à son encontre ; qu'en jugeant toutefois que cette "assistance" n'emportait aucune renonciation au droit d'invoquer la forclusion, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
3°/ que le juge ne peut dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en l'espèce, l'article 2.b de la lettre de mission relatif aux prestations d'"Assistance en matière fiscale", comprenait "la production de la déclaration annuelle des résultats", "l'établissement" de certaines déclaration périodiques, ainsi que "l'assistance conseil en matière fiscale", sans jamais mentionner le financement et la direction d'un procès devant les juridictions administratives, en sorte qu'une telle prestation ne pouvait être incluse dans le champ de la mission d'expertise-comptable acceptée par la société In Extenso ; qu'en jugeant néanmoins que le comportement de la société In Extenso n'emportait ni renonciation à la forclusion, ni reconnaissance de responsabilité, mais consistait en la simple "réalisation de sa mission d'assistance et de conseil à laquelle elle était tenue aux termes du point 2.b de la lettre de mission", la cour d'appel a dénaturé la lettre de mission considérée, en violation du principe précité. »
Réponse de la Cour
11. En premier lieu, la société Oïkodome ayant elle-même admis, dans ses conclusions devant la cour d'appel, que le délai prévu par l'article 5 des conditions générales d'intervention constituait un délai de forclusion, elle n'est pas recevable à présenter, devant la Cour de cassation, un moyen contraire à cette position, en ce qu'il soutient qu'il s'agit d'un délai de prescription.
12. En second lieu, l'arrêt retient que les courriels des 4 décembre 2013 et 7 juillet 2014 de la société In Extenso ne font que transmettre un exemplaire de la lettre destinée aux services fiscaux ou évoquent le remboursement de la taxe sur les salaires de 2012 et ne font état d'aucune renonciation à se prévaloir du délai de forclusion. Il ajoute que la saisine du tribunal administratif par la société MLP, représentée par un avocat, ne pouvant constituer une renonciation de la société In Extenso à se prévaloir du délai de forclusion, les démarches effectuées par celle-ci ne constituent pas une reconnaissance de responsabilité mais la réalisation de sa mission d'assistance et de conseil à laquelle elle était tenue aux termes de la lettre de mission.
13. En l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'a pas dénaturé la lettre de mission dès lors que celle-ci prévoyait une "assistance conseil en matière fiscale", a pu retenir que la société Ygeia ne rapportait pas la preuve de la renonciation de la société In Extenso à se prévaloir du délai de forclusion.
14. Irrecevable en sa première branche, le moyen n'est donc pas fondé pour le surplus.
Mais sur le quatrième moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
15. La société Oïkodome fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société In Extenso une certaine somme à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, alors « que seule l'existence d'une faute fait dégénérer en abus l'exercice d'une action en justice ; qu'en se bornant à retenir, par motifs adoptés, que la société Ygeia n'aurait pas subi de préjudice, pour la condamner à payer des dommages et intérêts pour procédure abusive, motif impropre à caractériser l'existence d'une faute ayant fait dégénérer en abus le droit de cette société d'agir en justice, la cour d'appel a violé l'article 1240 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1240 du code civil :
16. Aux termes de ce texte, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
17. Pour condamner la société Ygeia à payer à la société In Extenso une certaine somme à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, l'arrêt constate, par motifs adoptés, que la société Ygeia n'a pas subi de préjudice et retient, par motifs propres, que se trouvent en la cause les éléments suffisants pour prononcer une telle condamnation.
18. En statuant ainsi, par des motifs généraux impropres à caractériser un abus du droit d'agir en justice, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Ygeia à payer à la société In Extenso Picardie la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts, l'arrêt rendu le 24 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;
Condamne la société In Extenso Picardie aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société In Extenso Picardie à payer à la société Oïkodome la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un juin deux mille vingt-trois.