LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 21 juin 2023
Cassation
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 442 FS-B
Pourvoi n° D 21-16.716
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 21 JUIN 2023
1°/ M. [L] [C],
2°/ Mme [Z] [W], épouse [C],
tous deux domiciliés [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° D 21-16.716 contre l'arrêt rendu le 23 mars 2021 par la cour d'appel de Grenoble (1re chambre civile), dans le litige les opposant à la société Axyalis patrimoine, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Boutié, conseiller référendaire, les observations de la SCP Ghestin, avocat de M. et Mme [C], de la SARL Ortscheidt, avocat de la société Axyalis patrimoine, et l'avis de M. Lecaroz, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 mai 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Boutié, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, Mmes Graff-Daudret, Daubigney, M. Ponsot, Mmes Fèvre, Ducloz, MM. Alt, Calloch, conseillers, MM. Guerlot, Blanc, Mmes Lion, Lefeuvre, Tostain, M. Maigret, conseillers référendaires, M. Lecaroz, avocat général, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 23 mars 2021), sur les conseils de la société Axyalis patrimoine, M. et Mme [C] ont souscrit chacun un contrat d'assurance-vie en unités de compte et ont investi, les 14 décembre 2010 et 5 janvier 2011, pour M. [C], le 10 mai 2011, pour Mme [C], une certaine somme dans des unités de compte « Axyalis coupons ». En 2014, les fonds ont été désinvestis et réinvestis dans des unités de compte « Kairos ».
2. Soutenant avoir subi des pertes en capital à la suite de ces investissements, résultant d'un manquement de la société Axyalis patrimoine à ses obligations de conseil et de mise en garde, M. et Mme [C] l'ont assignée en responsabilité.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. M. et Mme [C] font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme prescrite leur action en responsabilité contre la société Axyalis patrimoine, alors « que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; que le dommage résultant du manquement d'une société de conseil en gestion de patrimoine à son devoir de conseil, de mise en garde et d'assurer l'adéquation des supports d'investissement avec le profil de risque déclaré des investisseurs se réalise et ne peut être connu de ces derniers qu'à l'échéance des unités de compte constituées de produits structurés dont le résultat n'est acquis qu'à cette échéance ; qu'à l'appui de sa décision, la cour d'appel a estimé que, dès la conclusion des contrats en cause, M. et Mme [C] savaient que les supports conseillés comportaient des risques de perte en capital, le point de départ du délai de prescription de leur action en responsabilité contre cette société de conseil en gestion de patrimoine se situant en conséquence à la date de conclusion desdits contrats ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu le devoir de conseil, de mise en garde et d'assurer l'adéquation des supports conseillés avec le profil de risque déclaré des investisseurs, violant les articles 1134 ancien et 2224 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce :
4. Il résulte de la combinaison de ces textes que les obligations entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
5. Le manquement d'un conseiller en gestion de patrimoine à son obligation d'informer le souscripteur d'un contrat d'assurance-vie libellé en unités de compte sur le risque de pertes présenté par un support d'investissement, ou à son obligation de le conseiller au regard d'un tel risque, prive ce souscripteur d'une chance d'éviter la réalisation de ces pertes. Celles-ci ne se réalisent qu'au rachat du contrat d'assurance-vie, quand bien même le support en cause aurait fait antérieurement l'objet d'un désinvestissement. Le préjudice résultant d'un tel manquement doit être évalué au regard, non de la variation de la valeur de rachat de l'ensemble du contrat, mais de la moins-value constatée sur ce seul support, modulée en considération du rendement que, dûment informé ou conseillé, le souscripteur aurait pu obtenir du placement des sommes initialement investies sur ce support jusqu'à la date du rachat du contrat.
6. Il en résulte que le délai de prescription de l'action en indemnisation d'un tel dommage commence à courir, non à la date où l'investissement a lieu, mais à la date du rachat du contrat d'assurance-vie.
7. Pour déclarer prescrite l'action de M. et Mme [C], l'arrêt retient qu'il résulte de divers éléments que, dès leur premier investissement sous forme d'unités de compte, qu'il s'agisse de l'unité de compte « Axyalis coupons » ou de l'unité de compte « Kairos », M. et Mme [C] étaient informés du risque inhérent à ce type de placement et de l'aléa que représente l'interdépendance entre les actions du panier, qu'ainsi, dès le 14 décembre 2010 pour M. [C] et le 10 mai 2011 pour Mme [C], ils savaient qu'un dommage caractérisé par la perte du capital investi était susceptible de se réaliser et qu'ils en assumaient intégralement le risque et que, par conséquent, le point de départ du délai de prescription doit être fixé à ces dates.
8. En statuant ainsi, alors qu'à ces dates, le dommage invoqué par M. et Mme [C], tenant aux pertes subies sur les sommes investies dans les contrats d'assurance-vie qu'ils avaient souscrits, ne s'était pas réalisé, de sorte que le délai de prescription n'avait pas commencé à courir, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Chambéry ;
Condamne la société Axyalis patrimoine aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Axyalis patrimoine et la condamne à payer à M. et Mme [C] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un juin deux mille vingt-trois.