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15/06/2023 | FRANCE | N°22-14380

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 2, 15 juin 2023, 22-14380


LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

FD

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 15 juin 2023

Cassation

Mme LEROY-GISSINGER, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 640 F-D

Pourvoi n° K 22-14.380

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 15 JUIN 2023

1°/ la société

Axa France IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],

2°/ la société Axa assurances IARD mutuelle, société d'assurance mutuelle, dont le...

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

FD

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 15 juin 2023

Cassation

Mme LEROY-GISSINGER, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 640 F-D

Pourvoi n° K 22-14.380

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 15 JUIN 2023

1°/ la société Axa France IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],

2°/ la société Axa assurances IARD mutuelle, société d'assurance mutuelle, dont le siège est [Adresse 1],

ont formé le pourvoi n° K 22-14.380 contre l'arrêt rendu le 10 février 2022 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-3), dans le litige les opposant :

1°/ à la société [Adresse 2], société par actions simplifiée unipersonnelle,

2°/ à la société Golf des Baux de Provence, société par actions simplifiée unipersonnelle,

ayant toutes deux leur siège [Adresse 2],

défenderesses à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Chauve, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat des sociétés Axa France IARD et Axa assurances IARD mutuelle, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat des sociétés [Adresse 2] et Golf des Baux de Provence, après débats en l'audience publique du 10 mai 2023 où étaient présents Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Chauve, conseiller rapporteur, Mme Isola, conseiller, et M. Carrasco, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 10 février 2022), la société [Adresse 2], exploitant un fonds de commerce d'hôtel restaurant, a souscrit auprès de la société Axa France IARD et de la société Axa assurances IARD mutuelle (les assureurs), un contrat d'assurance « multirisque professionnelle », qui la garantissait en cas de perte d'exploitation à la suite d'une fermeture administrative, notamment.

2. A la suite d'un arrêté, publié au Journal officiel le 15 mars 2020, portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19, qui a édicté notamment l'interdiction pour les restaurants et débits de boissons d'accueillir du public du 15 mars 2020 au 15 avril 2020, prorogée jusqu'au 2 juin 2020 par décret du 14 avril 2020, la société [Adresse 2] a été contrainte de fermer son établissement.

3. La société [Adresse 2] a effectué une déclaration de sinistre auprès des assureurs afin d'être indemnisée de ses pertes d'exploitation en application d'une clause du contrat stipulant que : « La garantie est étendue aux pertes d'exploitation consécutives à la fermeture provisoire totale ou partielle de l'établissement assuré, lorsque les deux conditions suivantes sont réunies : 1. La décision de fermeture a été prise par une autorité administrative compétente, et extérieure à vous-même. 2. La décision de fermeture est la conséquence d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication ».

4. Les assureurs ont refusé de garantir le sinistre en faisant valoir que l'extension de garantie ne pouvait pas être mise en oeuvre, en raison de la clause excluant : « ... les pertes d'exploitation, lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l'objet, sur le même territoire départemental que celui de l'établissement assuré, d'une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique ».

5. La société [Adresse 2] a assigné les assureurs devant le juge des référés d'un tribunal de commerce à fin de garantie, lequel a renvoyé l'affaire devant ce même tribunal statuant au fond. La société Golf des Baux de Provence est intervenue volontairement à l'instance.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses dixième et onzième branches,

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en ses trois premières branches

Enoncé du moyen

7. Les assureurs font grief à l'arrêt de réputer non écrite la clause d'exclusion de garantie dont ils se prévalent, de les dire tenus à indemniser la société [Adresse 2] de ses pertes d'exploitation subies dans son activité de bar-restaurant à destination de la clientèle extérieure à l'hôtel pendant les périodes de fermeture administrative de cette activité et dans son activité d'hôtel pendant la période de fermeture administrative de cette activité du 4 avril au 11mai 2020, de les dire tenus d'indemniser la société Golf des Baux de Provence de ses pertes d'exploitation subies durant les périodes de fermeture administrative de cette activité, de les condamner solidairement à payer à la société [Adresse 2] la somme de 20 000 euros et à la société Golf des Baux de Provence la somme de 40 000 euros à titre de provision à valoir sur leur indemnité définitive et de les condamner solidairement à payer à la société [Adresse 2] une provision complémentaire de 100 000 euros et à la société Golf des Baux de Provence une provision complémentaire de 50 000 euros, alors :

« 1°/ que l'absence de définition contractuelle des termes « épidémie », « maladie contagieuse » et « intoxication » ne rend pas la clause d'exclusion imprécise dès lors que ces termes ne figurent pas dans cette clause et que ladite clause s'applique en cas de fermeture administrative d'au moins un autre établissement sur le même territoire départemental pour une « cause identique », de sorte qu'il suffit de rapprocher la cause de fermeture des établissements, ce qui est suffisamment clair et précis, chacun étant à même de connaître la cause ayant justifié, selon l'autorité administrative tenue de motiver ses décisions en fait et en droit, ces fermetures et leur nombre ; qu'ainsi, à supposer même – ce qui est contesté – que les contours de la cause de fermeture (l'épidémie) soient flous du fait que le terme « épidémie » ne soit pas défini dans le contrat, cela n'affecte aucunement la précision de la clause d'exclusion, dont l'application dépend uniquement de savoir si les fermetures administratives ont une « cause identique », soit en l'occurrence si elles sont fondées sur la même épidémie, quelle que soit la nature, l'origine ou l'étendue de cette épidémie ; qu'en jugeant que la clause d'exclusion n'était pas formelle du fait de l'absence de définition contractuelle du terme « épidémie » et de sa prétendue ambiguïté, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du code des assurances ;

2°/ que si une clause d'exclusion n'est valable qu'à la condition d'être formelle et limitée, en revanche, le degré de précision dans les termes employés pour définir le risque couvert n'est pas encadré par la loi et relève de la liberté contractuelle ; qu'en énonçant que « la nature et la portée des garanties prévues au contrat d'assurance doivent être claires, limitées et compréhensibles par celui qui contracte afin de lui permettre de connaître l'étendue des garanties incluses dans le contrat qu'il a souscrit », pour en déduire l'absence de caractère formel de la clause d'exclusion litigieuse du fait de la prétendue ambiguïté du terme « épidémie », qui ne figure pourtant pas dans cette clause mais dans la clause relative à l'objet de la garantie, la cour d'appel, qui a étendu le régime des exclusions de garantie à la clause définissant l'objet de la garantie, a violé l'article L. 113-1 du code des assurances par fausse application ;

3°/ qu'en énonçant qu'« il apparaît clairement que la clause de garantie et celle d'exclusion ne peuvent être dissociées et doivent s'interpréter l'une par rapport à l'autre » et que « l'épidémie est un élément constitutif de l'exclusion de garantie dont l'application est revendiquée par l'assureur qui ne peut se contenter de soulever que le risque garanti est la fermeture administrative et non l'épidémie alors qu'il s'agit de la fermeture administrative pour épidémie », pour en déduire que « la notion d'épidémie figurant à la clause de garantie affecte nécessairement le caractère formel de la clause d'exclusion » et que la clause d'exclusion n'est pas formelle du fait de la prétendue ambiguïté de la notion d'épidémie, quand cette notion relève de la clause relative à l'objet de la garantie, et non pas de la clause d'exclusion litigieuse, dont le critère d'application repose sur l'identité de cause à la fermeture des établissements, ce qui est précis, quel que soit le sens retenu pour telle ou telle cause, notamment pour l'épidémie, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du code des assurances . »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 113-1 du code des assurances :

8. Il résulte de ce texte que les clauses d'exclusion de garantie qui privent l'assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de la réalisation du risque doivent être formelles et limitées.

9. Une clause d'exclusion n'est pas formelle lorsqu'elle ne se réfère pas à des critères précis et nécessite interprétation.

10. Pour dire que l'assureur doit garantir les sociétés [Adresse 2] et Golf des Baux de Provence de leurs pertes d'exploitation subies à la suite des fermetures administratives ordonnées en raison de l'épidémie de Covid-19, l'arrêt, après avoir rappelé les termes de l'extension de garantie et ceux de la clause d'exclusion, retient, d'abord, que cette clause qui fait référence à la clause de garantie en ce qu'elle vise « une cause identique », ne peut être dissociée de cette dernière, et que, même si elle ne figure pas dans la clause d'exclusion, la notion d'épidémie, dont l'ambiguïté est invoquée par l'assuré et qui est employée dans la clause de garantie, affecte nécessairement le caractère formel de la clause litigieuse puisqu'elle est un élément constitutif de l'exclusion de garantie dont l'application est revendiquée par l'assureur.

11. Il énonce ensuite que la définition du terme « épidémie », avancée par l'assureur qui réfute la contagion et l'impact sur une population étendue comme données constantes de l'épidémie, ne correspond pas à celles des dictionnaires, qui pointent au contraire, de manière commune, comme caractéristique de l'épidémie, la propagation à une population étendue, cette dernière acception étant la plus usitée dans la population.

12. Il ajoute qu'en raison de l'ambiguïté de la notion d'épidémie à laquelle se réfère la clause d'exclusion, celle-ci n'est pas conforme aux exigences de l'article L. 113-1 du code précité et retient que, dès lors que la notion d'épidémie n'est pas définie dans la police d'assurance, alors qu'elle n'est pas entendue dans le même sens par les deux parties, le contrat d'assurance, qui est un contrat d'adhésion, doit s'interpréter, dans le doute, contre l'assureur qui l'a proposé.

13. Il déduit, enfin, de la nécessité d'interpréter le terme « épidémie », l'absence de caractère formel de la clause litigieuse.

14. En statuant ainsi, alors que la circonstance particulière de réalisation du risque privant l'assuré du bénéfice de la garantie n'était pas l'épidémie mais la situation dans laquelle, à la date de la fermeture, un autre établissement faisait l'objet d'une mesure de fermeture administrative pour une cause identique à l'une de celles énumérées par la clause d'extension de garantie, de sorte que l'ambiguïté alléguée du terme « épidémie » était sans incidence sur la compréhension, par l'assuré, des cas dans lesquels l'exclusion s'appliquait, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le premier moyen, pris en sa sixième branche

Enoncé du moyen

15. Les assureurs font les mêmes griefs à l'arrêt, alors « que l'objet même d'une clause d'exclusion de garantie étant d'exclure des pertes et dommages de la garantie, le juge ne peut affirmer qu'elle prive de substance la garantie en se bornant à constater qu'elle exclut de la garantie les pertes dont l'assuré demande l'indemnisation ; qu'en l'espèce, en déduisant que la clause d'exclusion litigieuse vidait la garantie de sa substance des seules considérations inopérantes tirées de l'absence de garantie d'un sinistre particulier (à savoir, des pertes d'exploitation subies par l'assurée du fait de mesures administratives affectant son établissement en raison de l'épidémie de Covid-19) et de ce que «les sociétés AXA ne citent aucun cas d'une fermeture administrative isolée suite à une propagation par contagion » , se livrant ainsi à une appréciation in concreto du caractère non limité de l'exclusion, au lieu de l'apprécier in abstracto, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L.113-1 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 113-1 du code des assurances :

16. Il résulte de ce texte que les clauses d'exclusion de garantie qui privent l'assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de la réalisation du risque doivent être formelles et limitées.

17. Une clause d'exclusion n'est pas limitée lorsqu'elle vide la garantie de sa substance, en ce qu'après son application elle ne laisse subsister qu'une garantie dérisoire.

18. Pour statuer comme il le fait, l'arrêt énonce qu'il est illusoire qu'une fermeture administrative dans le cadre d'une épidémie, s'agissant d'une maladie contagieuse se propageant à une population étendue, ne puisse concerner qu'un unique établissement.

19. Il ajoute que l'assureur ne cite aucun cas d'une fermeture administrative isolée suite à une propagation par contagion mais uniquement des cas d'intoxications par des produits corrompus ou causées par un manque d'hygiène ou d'entretien.

20. Il constate encore que l'assureur soutient qu'un « cluster », défini comme une « épidémie circonscrite à un seul lieu avant de pouvoir être qualifiée de pandémie », ouvrirait droit à garantie, mais énonce que cette argumentation lui apparaît paradoxale, puisqu'une telle épidémie ou pandémie entraînera, nécessairement, une fermeture administrative collective excluant l'application de la garantie.

21. Il en déduit qu'au regard de l'absence de risque couvert par la garantie des pertes d'exploitation en cas d'épidémie, la clause d'exclusion vide de sa substance la garantie souscrite par l'assuré et n'apparaît pas limitée.

22. En statuant ainsi, alors que la garantie couvrait le risque de pertes d'exploitation consécutives, non à une épidémie, mais à une fermeture administrative ordonnée à la suite d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication, de sorte que l'exclusion considérée, qui laissait dans le champ de la garantie les pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative liée à ces autres causes ou survenue dans d'autres circonstances que celles prévues par la clause d'exclusion, n'avait pas pour effet de vider la garantie de sa substance, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

23. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation de la disposition de l'arrêt déclarant réputée non écrite la clause d'exclusion de garantie dont se prévalent les assureurs entraîne la cassation des chefs de dispositif ordonnant une expertise et étendant la mission de l'expert, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE en toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 10 février 2022, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;

Condamne la société [Adresse 2] et la société Golf des Baux de Provence aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze juin deux mille vingt-trois.


Synthèse
Formation : Chambre civile 2
Numéro d'arrêt : 22-14380
Date de la décision : 15/06/2023
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 10 février 2022


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 2e, 15 jui. 2023, pourvoi n°22-14380


Composition du Tribunal
Président : Mme Leroy-Gissinger (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Lyon-Caen et Thiriez

Origine de la décision
Date de l'import : 27/06/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2023:22.14380
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