LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CH9
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 7 juin 2023
Cassation partielle
Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 674 FS-B
Pourvoi n° F 21-22.445
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 7 JUIN 2023
La société Dekra Automotive Solutions France, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° F 21-22.445 contre l'arrêt rendu le 2 juillet 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-3), dans le litige l'opposant à M. [D] [R], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Techer, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de la société Dekra Automotive Solutions France, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [R], et l'avis de M. Halem, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 11 mai 2023 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Techer, conseiller référendaire rapporteur, Mme Cavrois, conseiller le plus ancien faisant fonction de doyen, MM. Sornay, Rouchayrole, Flores, Mme Deltort, conseillers, Mmes Ala, Thomas-Davost, conseillers référendaires, M. Halem, avocat général référendaire, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 2 juillet 2021), M. [R] a été engagé en qualité d'enquêteur mystère par la société Dekra Automotive Solutions France, suivant contrats à durée déterminée, entre 2008 et 2014.
2. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale le 26 juin 2017 de diverses demandes relatives à l'exécution de son contrat de travail.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à verser au salarié diverses sommes à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires, outre congés payés afférents, et d'indemnités pour travail dissimulé et pour exécution fautive du contrat de travail, et de lui ordonner de remettre un bulletin de salaire et les documents de fin de contrat rectifiés, alors :
« 1°/ que le lieu d'hébergement dans lequel un salarié se repose et peut vaquer librement à des occupations personnelles, sans se tenir à la disposition de l'employeur, ne constitue pas un lieu de travail ; qu'en conséquence, le trajet effectué par un salarié de ce lieu d'hébergement à son lieu de travail, et inversement, constitue un simple temps de déplacement professionnel non assimilé à un temps de travail effectif ; qu'en l'espèce, dès lors que l'employeur contestait la qualification de lieux de travail aux hôtels où le salarié se rendait pour y dormir et que la cour d'appel constatait elle-même "qu'une seule visite de concession était effectuée par jour et que le salarié partait en déplacement pour la semaine avec des frais d'hôtel pris en charge par l'employeur", en sorte que les trajets en semaine effectués par le salarié hors domicile-temps de travail comprenaient nécessairement, et principalement, des déplacements hôtels-lieu de travail, la cour d'appel ne pouvait accorder à M. [R] un rappel d'heures supplémentaires au titre de ses heures de déplacement effectuées en semaine sur la base de son décompte hors trajets domicile-travail, en se bornant à énoncer que les trajets effectués par le salarié entre deux lieux de travail successifs dans le cadre de déplacements prolongés sans retour au domicile devaient être assimilés à du temps de travail effectif, sans vérifier, comme elle y était invitée, si les temps de trajets effectués par le salarié pour se rendre à l'hôtel pour y dormir et y repartir constituaient, non pas des temps de trajets entre deux lieux de travail, mais des simples déplacements professionnels non assimilés à du temps de travail effectif ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 3121-1, L. 3121-4 et L. 3171-4 du code du travail ;
2°/ qu'un salarié ne peut prétendre à un rappel de salaire à titre d'heures supplémentaires pour des temps de déplacement qu'à la condition que ceux-ci constituent du temps de travail effectif, entendu comme le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives, sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ; qu'en l'espèce, dès lors qu'elle constatait elle-même "qu'une seule visite de concession était effectuée par jour et que le salarié partait en déplacement pour la semaine avec des frais d'hôtel pris en charge par l'employeur", et relevait elle-même que "le salarié disposait d'une certaine liberté dans l'organisation de son temps de travail", qu'"en l'état des pièces produites, il ne pouvait être déterminé de manière certaine que l'organisation des visites de concessions s'établissait à partir d'un planning impératif et sur un quota de concessions par semaine", la cour d'appel ne pouvait accorder à M. [R] un rappel d'heures supplémentaires au titre des heures de déplacement effectuées en semaine sur la base de son décompte hors trajets domicile-travail, en se bornant simplement à affirmer que devaient être assimilés à du temps de travail effectif les trajets effectués entre deux lieux de travail successifs différents dans le cadre de déplacements prolongés sans retour au domicile, nécessités par l'organisation du travail selon des plannings d'intervention déterminés par l'employeur du travail qui plaçaient le salarié dans une situation où il restait à la disposition de l'employeur, sans caractériser que, pendant l'ensemble de ses heures de déplacement en semaine, et en particulier pendant ses temps de trajets pour se rendre à l'hôtel afin d'y dormir, et y repartir, le salarié était tenu de se conformer aux directives de l'employeur et dans l'impossibilité de pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 3121-1, L. 3121-4 et L. 3171-4 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 3121-1 du code du travail :
4. Aux termes de ce texte, la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles.
5. Pour condamner l'employeur au paiement d'un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires, l'arrêt, après avoir relevé qu'il n'était pas contesté qu'une seule visite de concession était effectuée par jour et que le salarié partait en déplacement pour la semaine avec des frais d'hôtel pris en charge par l'employeur, retient que doivent être assimilés à un temps de travail effectif les trajets effectués par le salarié entre deux lieux de travail successifs différents dans le cadre de déplacements prolongés sans retour au domicile, nécessité par l'organisation du travail selon des plannings d'interventions déterminés par l'employeur qui plaçaient le salarié dans une situation où il restait à sa disposition.
6. En se déterminant ainsi, alors qu'elle constatait que le salarié ne visitait qu'une concession par jour et sans vérifier si les temps de trajets effectués par le salarié pour se rendre à l'hôtel pour y dormir, et en repartir, constituaient, non pas des temps de trajets entre deux lieux de travail, mais de simples déplacements professionnels non assimilés à du temps de travail effectif, ni caractériser que, pendant ces temps de déplacement en semaine, et en particulier pendant ses temps de trajets pour se rendre à l'hôtel afin d'y dormir, et en repartir, le salarié était tenu de se conformer aux directives de l'employeur sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
Portée et conséquences de la cassation
7. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation prononcée entraîne la cassation, par voie de conséquence, du chef de dispositif de l'arrêt portant sur l'indemnité de précarité, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
8. En revanche, elle n'atteint pas les chefs de dispositif de l'arrêt ayant condamné l'employeur au titre des frais irrépétibles et des dépens, qui sont justifiés par une autre condamnation prononcée à l'encontre de celui-ci et non remise en cause.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres moyens, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Dekra Automotive Solutions France à payer à M. [R] les sommes de 4 400 euros à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires, outre congés payés afférents, 440 euros à titre de rappel de prime de précarité, 6 000 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution fautive du contrat de travail et 11 824 euros à titre d'indemnité de travail dissimulé, l'arrêt rendu le 2 juillet 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;
Condamne M. [R] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du sept juin deux mille vingt-trois.