LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 25 mai 2023
Cassation partielle
Mme LEROY-GISSINGER, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 520 F-D
Pourvoi n° H 22-15.826
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 25 MAI 2023
La société Axa France IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° H 22-15.826 contre l'arrêt rendu le 10 mars 2022 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-3), dans le litige l'opposant à la société Le Jardin, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, Ã l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Brouzes, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Axa France IARD, et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 avril 2023 où étaient présents Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Brouzes, conseiller référendaire rapporteur, Mme Isola, conseiller, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 10 mars 2022), la société Le Jardin, exploitant un fonds de commerce de restaurant, a souscrit le 14 juin 2011, auprès de la société Axa France IARD (l'assureur), un contrat d'assurance « multirisque professionnelle » renouvelé le 14 mai 2019, incluant une garantie « protection financière ».
2. À la suite d'un arrêté, publié au Journal officiel le 15 mars 2020, portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19, qui a édicté notamment l'interdiction pour les restaurants et débits de boissons d'accueillir du public du 15 mars 2020 au 15 avril 2020, prorogée jusqu'au 2 juin 2020 par décret du 14 avril 2020, la société Le Jardin a effectué une déclaration de sinistre auprès de l'assureur afin d'être indemnisée de ses pertes d'exploitation en application d'une clause du contrat stipulant que : « La garantie est étendue aux pertes d'exploitation consécutives à la fermeture provisoire totale ou partielle de l'établissement assuré, lorsque les deux conditions suivantes sont réunies : 1. La décision de fermeture a été prise par une autorité administrative compétente, et extérieure à vous-même. 2. La décision de fermeture est la conséquence d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication ».
3. L'assureur a refusé de garantir le sinistre en faisant valoir que l'extension de garantie ne pouvait pas être mise en oeuvre en raison de la clause excluant : « ... les pertes d'exploitation, lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l'objet, sur le même territoire départemental que celui de l'établissement assuré, d'une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique ».
4. La société Le Jardin a assigné l'assureur devant un tribunal de commerce à fin de garantie.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses onzième et douzième branches
Enoncé du moyen
5. L'assureur fait grief à l'arrêt de constater que les critères d'indemnisation de la société Le Jardin, concernant ses pertes d'exploitation, garanties par le contrat souscrit auprès de lui, étaient réunis, d'avoir déclaré non écrite la clause d'exclusion de garantie dont il se prévalait, d'avoir dit et jugé qu'il devait garantir les sinistres perte financière à la suite de la fermeture administrative de la société Le Jardin et de l'avoir condamné à régler à la société Le Jardin la somme de 3 000 euros à titre de provision avant calcul définitif de l'indemnisation, alors :
« 11°/ qu'en jugeant, par motifs réputés adoptés du jugement, que la clause d'exclusion litigieuse devait être réputée non écrite en application de l'article 1170 du code civil, quand la validité de cette clause était régie par un texte spécial, à savoir l'article L. 113-1 du code des assurances, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 1170 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
12°/ que la cour d'appel ne pouvait réputer non écrite la clause d'exclusion litigieuse en se fondant sur l'article 1170 du code civil, qui énonce que « toute clause qui prive de sa substance l'obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite », sans vérifier si l'obligation de l'assureur limitée par la clause d'exclusion était essentielle compte tenu des autres risques garantis par celui-ci aux termes du contrat d'assurance ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1170 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
6. L'assureur ne saurait faire grief à la cour d'appel d'avoir retenu que la clause d'exclusion devait être réputée non écrite sur le fondement de l'article 1170 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 10 février 2016, dès lors qu'elle a également jugé que la clause d'exclusion litigieuse ne satisfaisait pas aux conditions de l'article L. 113-1 du code des assurances prévoyant que les exclusions de garantie doivent être formelles et limitées.
7. Le moyen est, dès lors, inopérant.
Mais sur le moyen, pris en ses deux premières branches
Enoncé du moyen
8. L'assureur fait les mêmes griefs à l'arrêt, alors :
« 1°/ que l'absence de définition contractuelle du terme « épidémie » ne rend pas la clause d'exclusion imprécise dès lors que ce terme ne figure pas dans cette clause et que ladite clause s'applique en cas de fermeture administrative d'au moins un autre établissement sur le même territoire départemental pour une « cause identique », de sorte qu'il suffit de rapprocher la cause de fermeture des établissements, ce qui est suffisamment clair et précis, chacun étant à même de connaître la cause ayant justifié, selon l'autorité administrative tenue de motiver ses décisions en fait et en droit, ces fermetures et leur nombre ; qu'ainsi, à supposer même – ce qui est contesté – que les contours de la cause de fermeture (l'épidémie) soient flous du fait que le terme « épidémie » ne soit pas défini dans le contrat, cela n'affecte aucunement la précision de la clause d'exclusion, dont l'application dépend uniquement de savoir si les fermetures administratives ont une « cause identique », soit en l'occurrence si elles sont fondées sur la même épidémie, quelle que soit la nature, l'origine ou l'étendue de cette épidémie ; qu'en jugeant que la clause d'exclusion n'était pas formelle du fait de l'absence de définition contractuelle du terme « épidémie » et de sa prétendue imprécision, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du code des assurances ;
2°/ qu'en énonçant que « la cause identique, figurant dans la clause d'exclusion, renvoie nécessairement à la cause de la fermeture administrative garantie, soit une maladie contagieuse, un meurtre, un suicide, une épidémie ou une intoxication » et que « la clause de garantie et celle d'exclusion ne peuvent être dissociées et doivent s'interpréter l'une par rapport à l'autre » pour en déduire que « la notion d'épidémie visée à la clause de garantie a, ainsi, une incidence sur le caractère formel de la clause d'exclusion puisque l'épidémie est un élément constitutif de l'exclusion de garantie dont l'application est revendiquée par l'assureur » et que la clause d'exclusion n'est pas formelle du fait de la prétendue imprécision de la notion d'épidémie, quand cette notion relève de la clause relative à l'objet de la garantie, et non pas de la clause d'exclusion litigieuse, dont le critère d'application repose sur l'identité de cause à la fermeture des établissements, ce qui est précis, quel que soit le sens retenu pour telle ou telle cause, notamment pour l'épidémie, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 113-1 du code des assurances :
9. Il résulte de ce texte que les clauses d'exclusion de garantie qui privent l'assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de la réalisation du risque doivent être formelles et limitées.
10. Une clause d'exclusion n'est pas formelle lorsqu'elle ne se réfère pas à des critères précis et nécessite interprétation.
11. Pour réputer non écrite la clause d'exclusion de garantie dont l'assureur se prévaut, l'arrêt, après avoir rappelé les termes de l'extension de garantie et ceux de la clause d'exclusion, retient, d'abord, que la « cause identique » figurant dans la clause d'exclusion renvoie nécessairement à la cause de la fermeture administrative garantie, soit « une maladie contagieuse, un meurtre, un suicide, une épidémie ou une intoxication » de sorte que la clause de garantie et celle d'exclusion ne peuvent être dissociées et doivent s'interpréter l'une par rapport à l'autre.
12. Il énonce, ensuite, que la notion d'épidémie visée à la clause de garantie a, ainsi, une incidence sur le caractère formel de la clause d'exclusion puisque l'épidémie est un élément constitutif de l'exclusion de garantie dont l'application est revendiquée par l'assureur.
13. L'arrêt retient, enfin, que la définition du terme « épidémie » avancée par l'assureur ne correspond pas à celles des dictionnaires qui pointent, de manière commune, comme caractéristique de l'épidémie, la propagation à une population étendue, que cette dernière acception, la plus usitée, est inconciliable avec la possibilité qu'un seul établissement soit affecté et que la notion d'épidémie n'est pas définie dans la police d'assurance litigieuse, alors qu'elle n'est pas entendue dans le même sens par les deux parties.
14. Il en déduit l'absence de caractère formel de la clause litigieuse.
15. En statuant ainsi, alors que la circonstance particulière de réalisation du risque privant l'assuré du bénéfice de la garantie n'était pas l'épidémie mais la situation dans laquelle, à la date de la fermeture, un autre établissement faisait l'objet d'une mesure de fermeture administrative pour une cause identique à l'une de celles énumérées par la clause d'extension de garantie, de sorte que l'ambiguïté alléguée du terme « épidémie » était sans incidence sur la compréhension, par l'assuré, des cas dans lesquels l'exclusion s'appliquait, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le moyen, pris en sa sixième branche
Enoncé du moyen
16. L'assureur fait les mêmes griefs à l'arrêt, alors « que l'objet même d'une clause d'exclusion de garantie étant d'exclure des pertes et dommages de la garantie, le juge ne peut affirmer qu'elle prive de substance la garantie en se bornant à constater qu'elle exclut de la garantie les pertes dont l'assuré demande l'indemnisation ; qu'en l'espèce, en déduisant que la clause d'exclusion litigieuse vidait la garantie de sa substance des seules considérations inopérantes tirées de l'absence de garantie d'un sinistre particulier (à savoir, des pertes d'exploitation subies par l'assurée du fait de mesures administratives affectant son établissement en raison de l'épidémie de Covid-19) et de la prétendue absence de production par l'assureur d'un cas de figure concret dans lequel il aurait indemnisé un sinistre en exécution de la garantie litigieuse, se livrant ainsi à une appréciation in concreto du caractère non limité de l'exclusion, au lieu de l'apprécier in abstracto, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 113-1 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 113-1 du code des assurances :
17. Il résulte de ce texte que les clauses d'exclusion de garantie, qui privent l'assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de la réalisation du risque, doivent être formelles et limitées.
18. Une clause d'exclusion n'est pas limitée lorsqu'elle vide la garantie de sa substance, en ce qu'après son application elle ne laisse subsister qu'une garantie dérisoire.
19. Pour statuer comme il le fait, l'arrêt retient qu'en raison de l'imprécision de la notion d'épidémie à laquelle se réfère la clause d'exclusion litigieuse et de l'incertitude quant à la compréhension que peut avoir l'assuré du risque réellement garanti, la clause a pour effet de vider la garantie accordée de sa substance et n'apparaît pas limitée.
20. En statuant ainsi, alors que la garantie couvrait le risque de pertes d'exploitation consécutives, non à une épidémie, mais à une fermeture administrative ordonnée à la suite d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication, de sorte que l'exclusion considérée, qui laissait dans le champ de la garantie les pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative liée à ces autres causes ou survenue dans d'autres circonstances que celles prévues par la clause d'exclusion, n'avait pas pour effet de vider la garantie de sa substance, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
21. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation de la disposition de l'arrêt réputant non écrite la clause d'exclusion de garantie dont se prévaut l'assureur entraîne la cassation des chefs de dispositif ordonnant une expertise et étendant la mission de l'expert, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute la société Le Jardin de sa demande de dommages-intérêts pour résistance abusive, l'arrêt rendu le 10 mars 2022, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;
Condamne la société Le Jardin aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq mai deux mille vingt-trois.