LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° S 23-81.136 F-D
N° 00770
RB5
23 MAI 2023
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 23 MAI 2023
M. [F] [R] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes, en date du 3 février 2023, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de tentatives de meurtre en bande organisée, infractions à la législation sur les armes, association de malfaiteurs, en récidive, importation de stupéfiants en bande organisée et infractions à la législation sur les stupéfiants, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention le plaçant en détention provisoire.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Chaline-Bellamy, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [F] [R], et les conclusions de M. Aubert, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 23 mai 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Chaline-Bellamy, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Sur mandat d'arrêt émis par le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Rennes le 9 septembre 2019, ayant fait l'objet de décisions autorisant son extradition par les autorités du Royaume du Maroc requises, M. [F] [R] a été remis temporairement pour une durée de deux mois à compter du 27 octobre 2021 et mis en examen le 29 octobre suivant des chefs, visés au mandat d'arrêt, de tentatives de meurtre en bande organisée, infractions à la législation sur les armes et association de malfaiteurs.
3. Le 16 décembre 2021, le juge d'instruction a décerné un mandat d'arrêt pour de nouveaux faits faisant l'objet d'un réquisitoire supplétif. Après prolongation de la remise jusqu'à son retour au Maroc le 22 février 2022, une extension de la décision d'extradition sollicitée a été accordée par l'Etat requis, avec le consentement de l'intéressé.
4. Remis et interpellé le 10 janvier 2023 à son arrivée à l'aéroport de Roissy, M. [R] a été présenté au juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Bobigny puis transféré et présenté le 13 janvier 2023 au juge d'instruction mandant qui l'a mis en examen des chefs visés au second mandat d'arrêt.
5. Le juge des libertés et de la détention a rejeté les moyens de nullité pris de la caducité du premier mandat, de l'irrégularité du second mandat et de la présentation tardive devant le magistrat instructeur et a ordonné le placement de M. [R] en détention provisoire.
6. M. [R] a relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les moyens de nullité tendant à l'annulation de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Rennes ordonnant le placement en détention provisoire de M. [R] et a confirmé cette ordonnance, alors « qu'est nulle l'ordonnance par laquelle le juge des libertés et de la détention a ordonné le placement en détention provisoire de la personne mise en examen sans répondre aux moyens opérants invoqués dans ses écritures ; que la question de la régularité des mandats d'arrêts en vertu desquels la personne est remise aux autorités françaises, interpellée puis présentée au juge des libertés et de la détention relève de l'unique objet du contentieux de la détention ; qu'aux termes de conclusions régulièrement versées devant le juge, la défense faisait valoir que le placement en détention provisoire était impossible, en raison de la caducité et de l'irrégularité des deux mandat d'arrêt en vertu desquels il avait été appréhendé ; que le juge des libertés et de la détention a expressément refusé de répondre à ce moyen, en arguant de son incompétence ; qu'en retenant, pour refuser d'annuler l'ordonnance litigieuse, qu'il n'incombait pas au juge des libertés et de la détention d'examiner la régularité des mandats d'arrêts et des moyens de procédure, quand ces moyens opérants participent de l'unique objet du contentieux de la détention, la Chambre de l'instruction a violé la règle de l'unique objet du contentieux de la détention, ensemble les articles 5 de la Convention européenne des droits de l'Homme, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
8. Pour écarter le moyen de nullité de l'ordonnance déférée selon lequel le juge des libertés et de la détention n'a pas répondu aux arguments avancés relatifs à la caducité et à l'irrégularité des mandats d'arrêt en se bornant à répondre qu'il n'avait pas compétence pour statuer sur un tel moyen, l'arrêt attaqué énonce qu'en application de l'article 137-3 du code de procédure pénale, il n'incombe pas au juge des libertés et de la détention d'examiner la régularité des mandats d'arrêt, un tel rôle revenant à la seule chambre de l'instruction pendant la durée de l'instruction, sous le contrôle de la Cour de cassation.
9. Les juges procèdent ensuite à l'examen des moyens de nullité relatifs aux mandats d'arrêt pour les rejeter.
10. En l'état de ces énonciations, c'est à tort que la chambre de l'instruction a estimé que la règle de l'unique objet du contentieux de la détention pouvait être opposée par le juge des libertés et de la détention à la personne mise en examen qui faisait valoir l'irrégularité de mandats d'arrêt, constituant des titres de détention, en vertu desquels elle a été appréhendée.
11. Pour autant, l'arrêt n'encourt pas la censure à ce titre dès lors que l'absence de réponse du juge des libertés et de la détention aux moyens pris de l'irrégularité des mandats d'arrêt ne constitue pas une cause de nullité de l'ordonnance de placement en détention provisoire et que la chambre de l'instruction a statué sur les moyens de nullité avancés.
12. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
13. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les moyens de nullité tendant à l'annulation de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Rennes ordonnant le placement en détention provisoire de M. [R] et confirmé cette ordonnance, alors :
« 1°/ d'une part qu'est nulle l'ordonnance de placement en détention provisoire rendue au terme d'une procédure au cours de laquelle la personne mise en examen a été présentée au juge des libertés et de la détention sur la base d'un mandat d'arrêt caduc ; qu'au cas d'espèce, il résulte de la procédure que le mandat d'arrêt délivré le 9 septembre 2019 est caduc pour avoir été exécuté le 27 octobre 2021, à l'occasion de la remise provisoire de Monsieur [R] par les autorités marocaines aux autorités françaises ; que la défense faisait valoir que la Monsieur [R] avait été présenté au juge des libertés et de la détention en exécution de ce mandat d'arrêt, pourtant caduc ; qu'en retenant, pour refuser d'ordonner l'annulation de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, que le mandat délivré à l'encontre de Monsieur [R] le 9 septembre 2019 « n'a pas été exécuté dans la mesure où le mis en examen a été remis temporairement pour une durée de deux mois », la Chambre de l'instruction a violé les articles 5 de la Convention européenne des droits de l'Homme, 122, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
2°/ d'autre part qu'est nulle l'ordonnance de placement en détention provisoire rendue au terme d'une procédure au cours de laquelle la personne mise en examen a été présentée au juge des libertés et de la détention sur la base d'un mandat d'arrêt irrégulier ; qu'est irrégulier le mandat d'arrêt émis à l'encontre d'une personne qui n'était ni en fuite, ni ne résidait à l'étranger ; qu'au cas d'espèce, le juge d'instruction a, le 16 décembre 2021, tandis que Monsieur [R] n'était ni en fuite, ni à l'étranger, puisqu'il était précisément détenu en vertu de sa remise temporaire aux autorités françaises par les autorités marocaines, délivré à l'encontre de l'exposant un nouveau mandat d'arrêt ; que la défense faisait valoir que la Monsieur [R] avait été présenté au juge des libertés et de la détention en exécution de ce mandat d'arrêt, pourtant irrégulier ; qu'en retenant, pour refuser d'ordonner l'annulation de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, que « la délivrance du mandat d'arrêt du 16 décembre 2021 est l'application de la convention internationale entre deux Etats qui s'impose aux parties et qui préserve les droits d'[F] [R] puisque le premier mandat ne visait qu'une partie des faits », quand ce motif est impropre à établir la régularité du mandat d'arrêt litigieux, émis au mépris des dispositions de l'article 131 du Code de procédure pénale, la Chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard de cet article, ensemble les articles 5 de la Convention européenne des droits de l'Homme, 8 de la Convention d'extradition entre la France et le Maroc du 18 avril 2008, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
14. Pour rejeter les moyens de nullité relatifs aux mandats d'arrêt, l'arrêt attaqué retient, s'agissant de celui du 9 septembre 2019, qu'un tel acte ne cesse de produire ses effets que s'il est rapporté, ce qui n'est pas le cas, ou exécuté, ce qui n'est pas davantage le cas dès lors que l'intéressé a été remis temporairement pour une durée de deux mois et que l'objet du mandat d'arrêt est la recherche mais aussi l'éventuelle détention laissée à l'appréciation de l'autorité judiciaire requérante.
15. L'arrêt attaqué énonce encore, s'agissant du mandat du 16 décembre 2021, qu'il a été délivré en application de la convention internationale entre deux Etats qui s'impose aux parties et qui préserve les droits de M. [R] puisque le premier mandat ne visait qu'une partie des faits.
16. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a justifié sa décision et n'a méconnu aucun des textes visés au moyen pour les motifs qui suivent.
17. En effet, d'une part, l'ordonnance de placement en détention provisoire contestée n'est pas fondée sur le mandat d'arrêt du 9 septembre 2019.
18. D'autre part, les circonstances de la remise temporaire de l'intéressé sur le fondement d'un premier mandat d'arrêt visant des infractions déterminées et le principe de spécialité auquel il n'avait pas renoncé justifiaient la délivrance d'un nouveau mandat d'arrêt préalable à l'examen de toute demande d'extension de l'extradition pour de nouveaux faits, antérieurs à sa remise et visés à un réquisitoire supplétif, dans les conditions prévues par les articles 6 et 8 de la convention d'extradition entre la France et le Royaume du Maroc en date du 18 avril 2008. Par ailleurs, le mandat d'arrêt décerné à cette fin le 16 décembre 2021 a été pris conformément aux dispositions de l'article 696-47-1 du code de procédure pénale applicable en cas de demande d'extension d'extradition à l'encontre d'une personne déjà remise à la suite d'une demande d'extradition émanant du gouvernement français et qui prévoit la délivrance d'un nouveau mandat d‘arrêt lorsqu'un premier mandat d'arrêt a déjà été décerné.
19. Dès lors, le moyen, inopérant en sa première branche en ce qu'il vise le mandat d'arrêt du 9 septembre 2019, doit être rejeté.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
20. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les moyens de nullité tendant à l'annulation de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Rennes ordonnant le placement en détention provisoire de M. [R] et a confirmé cette ordonnance, alors « que la personne saisie en vertu d'un mandat d'arrêt est présentée dans les vingt-quatre heures suivant son arrestation devant le juge d'instruction mandant ; que ce délai n'est porté à quatre jours que si la personne est arrêtée à plus de deux cents kilomètres du siège du juge d'instruction qui a délivré le mandat et qu'il n'est pas possible de la conduire dans un délai de vingt-quatre heures devant ce magistrat ; que ces dernières dispositions ont pour objet d'éviter l'allongement inutile et systématique de la privation de liberté à laquelle est soumise la personne arrêtée ; qu'il s'ensuit que les circonstances ayant rendu impossible la présentation du mis en cause au juge mandant doivent être établies par les juges ; qu'à défaut, la présentation de la personne arrêtée au juge d'instruction postérieurement au délai légal est irrégulière ; qu'au cas d'espèce, l'exposant a été présenté au juge d'instruction du tribunal judiciaire de Rennes trois jours après avoir été arrêté ; que rien pourtant ne permettait de justifier ce retard, compte tenu de l'information du juge des libertés et de la détention du lieu d'arrestation cinq jours auparavant et de l'absence de circonstances rendant impossible l'organisation d'un transfert pendant ce délai ; que la défense faisait dès lors valoir que l'exposant aurait dû être remis en liberté, de sorte que sa présentation au juge des libertés et de la détention appelé à statuer sur la détention provisoire et l'ordonnance subséquente le plaçant en détention étaient irrégulières ; qu'en retenant, pour dire toutefois l'ordonnance critiquée régulière que l'article 133 du code de procédure pénale n'exige pas que soient mentionnées en procédure les circonstances rendent impossible la conduite dans les vingt-quatre heures, de la personne interpellée en vertu d'un mandat d'arrêt devant le juge mandant, et en justifiant ce retard par des motifs inopérants à écarter l'impossibilité pour le juge des libertés et de la détention du lieu d'arrestation de l'exposant d'organiser le transfert de ce dernier dans un délai de cinq jours, la Chambre de l'instruction a violé les articles 5 de la Convention européenne des droits de l'Homme, 133, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
21. Pour rejeter le moyen de nullité tiré d'une présentation tardive devant le juge d'instruction mandant, l'arrêt attaqué fait mention d'une jurisprudence selon laquelle « l'article 133 du code de procédure pénale n'exige pas que soient mentionnées en procédure les circonstances rendant impossible la conduite dans les vingt-quatre heures de la personne interpellée en vertu d'un mandat d'arrêt devant le juge mandant » (Crim., 6 décembre 2016, pourvoi n° 16-86.021).
22. Les juges ajoutent que, si la présentation de M. [R] devant le juge d'instruction mandant n'a pas été possible dans un délai de vingt-quatre heures, elle a été effectuée dans les conditions prévues par les articles 130 et 133 du code de procédure pénale.
23. Ils relèvent que les modalités de transport existant entre l'aéroport de [Localité 1] et la ville de [Localité 2] mises en avant par la défense de M. [R] ne répondent pas aux exigences en terme de sécurité pénitentiaire d'un transfèrement judiciaire en soulignant que l'intéressé a pris la fuite lorsque les policiers ont tenté de l'interpeller le 26 avril 2019, que lors de son interpellation au Maroc presqu'un an après, il a donné aux autorités un faux nom, de sorte qu'il présentait un profil nécessitant une organisation sécurisée du transfèrement, illustrée par l'escorte assurée par quatre fonctionnaires du service national des transfèrements, que la programmation de son transfèrement devait tenir compte du profil de la personne interpellée et était rendue complexe par l'heure d'arrivée en fin de journée ainsi que par l'intervention de plusieurs services à compter de la notification des pièces de justice avant de pouvoir procéder à l'organisation de son transfèrement par l'autorité de régulation et de de programmation des extractions judiciaires.
24. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application des textes visés au moyen.
25. En effet, d'une part, l'article 133 du code de procédure pénale n'exige pas que soient mentionnées en procédure les circonstances rendant impossible la conduite dans les vingt-quatre heures de la personne interpellée en vertu d'un mandat d'arrêt devant le juge mandant, d'autre part, il revient aux juges de contrôler l'application des conditions prévues par cette disposition et, en conséquence, d'apprécier les circonstances ne permettant pas la présentation au juge d'instruction mandant de la personne appréhendée en vertu d'un mandat d'arrêt dans le délai de vingt-quatre heures.
26. En l'espèce, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la chambre de l'instruction a constaté l'existence de circonstances matérielles, objectives et précises, ayant fait obstacle à la conduite de l'intéressé dans un délai de vingt-quatre heures devant le juge d'instruction de Rennes.
27. En conséquence, le moyen n'est pas fondé.
28. Par ailleurs, l'arrêt est régulier, tant en la forme qu'au regard des dispositions des articles 137-3, 143-1 et suivants du code de procédure pénale.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois mai deux mille vingt-trois.