LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
AF1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 10 mai 2023
Cassation partielle
Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 519 F-D
Pourvoi n° B 21-20.509
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 10 MAI 2023
M. [J] [X], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° B 21-20.509 contre l'arrêt rendu le 2 juin 2021 par la cour d'appel de Montpellier (2e chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société Dyese France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Rouchayrole, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [X], de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Dyese France, après débats en l'audience publique du 29 mars 2023 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Rouchayrole, conseiller rapporteur, Mme Cavrois, conseiller, et Mme Aubac, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 2 juin 2021), M. [X] a été engagé en qualité de technico-commercial le 8 août 2007 par la société Dyese France.
2. Il a saisi la juridiction prud'homale le 1er septembre 2015 de demandes en résiliation judiciaire de son contrat de travail et en paiement de diverses sommes.
3. Il a été licencié le 7 décembre 2015.
Examen des moyens
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
4. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes de dommages-intérêts pour harcèlement moral, en résiliation judiciaire de son contrat de travail et en paiement de dommages-intérêts subséquents, alors :
« 1°/ que la cassation à intervenir sur le premier et/ou deuxième moyen emportera la cassation, par voie de conséquence, du chef de l'arrêt qui a débouté le salarié de sa demande de dommages et intérêt pour harcèlement moral en application de l'article 624 du code de procédure civile ;
2°/ que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié ; qu'en écartant l'existence d'un harcèlement moral sans tenir compte ni de la résiliation par l'employeur de la ligne téléphonique professionnelle du salarié quelques jours après l'envoi de son arrêt de travail initial du 18 juin 2015, ni des difficultés rencontrées par le salarié pour obtenir le remboursement de ses notes de frais, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
5. La cour d'appel n'ayant pas statué dans le dispositif de sa décision sur la demande en paiement de dommages-intérêts pour harcèlement moral présentée par le salarié et visée par le moyen, ce dernier dénonce en réalité une omission de statuer qui, pouvant être réparée par la procédure prévue à l'article 463 du code de procédure civile, ne donne pas ouverture à cassation.
6. En conséquence, le moyen n'est pas recevable.
Mais sur le premier moyen
Enoncé du moyen
7. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes en rappel de commissions, en résiliation judiciaire de son contrat de travail et en paiement de dommages-intérêts subséquents ainsi que d'une indemnité légale de licenciement, de limiter à une certaine somme l'indemnité compensatrice de préavis, outre congés payés afférents, alors « que lorsque le calcul de la rémunération du salarié dépend d'éléments détenus par l'employeur, celui-ci est tenu de les produire en vue d'une discussion contradictoire, en sorte que le juge ne peut débouter le salarié de ses demandes au motif qu'il ne fournit aucun élément de nature à les établir ; qu'après avoir relevé que ‘‘ le contrat de travail de M. [X] prévoit expressément que les commissions sont dues sur le chiffre d'affaires réalisé par le salariée'', la cour d'appel l'a cependant débouté de sa demande en paiement des commissions aux motifs propres que le tableau produit par les deux parties porte sur ‘‘l'intégralité du chiffre d'affaires réalisé par la société sans que soit précisé le chiffre d'affaires que [le salarié] aurait lui-même réalisé'' et ‘‘ne permet pas de déterminer le chiffre d'affaires qui aurait été éventuellement réalisé par le salarié'' et, par motifs adoptés, que le salarié ‘‘ne rapporte la preuve de réalisation d'un chiffre d'affaires'' ; qu'en statuant ainsi, quand il appartenait à l'employeur de justifier du chiffre d'affaires réalisé par le salarié pendant la période sur laquelle portait la réclamation, la cour d'appel a violé l'article 1315 devenu 1353 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1315, devenu 1353, du code civil :
8. Aux termes de ce texte, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver et, réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation. Il en résulte d'une part, que la charge de la preuve du paiement du salaire incombe à l'employeur qui se prétend libéré de son obligation, d'autre part, que lorsque le calcul de la rémunération dépend d'éléments détenus par l'employeur, celui-ci est tenu de les produire en vue d'une discussion contradictoire.
9. Pour confirmer le jugement et débouter le salarié de ses demandes en paiement d'un rappel de commissions, l'arrêt retient que le contrat de travail a expressément prévu que des commissions étaient dues sur le chiffre d'affaires réalisé par le salarié et que ce dernier avait produit un tableau récapitulatif de l'intégralité du chiffre d'affaires réalisé par la société sans que soit précisé le chiffre d'affaires qu'il aurait lui même réalisé. En l'absence de toute autre précision, éléments chiffrés ou attestations, il constate que ce tableau comporte de nombreuses opérations consistant en des prestations de services pour lesquelles le salarié exerçait des fonctions techniques et ne réalisait donc aucun chiffre d'affaires.
10. Il en conclut qu'ainsi c'est à juste titre que l'employeur ne lui a versé aucune commission et que le jugement l'a débouté de sa demande de rappel de commissions.
11. En statuant ainsi, alors qu'il appartenait à l'employeur de justifier du chiffre d'affaires réalisé par le salarié en communiquant les éléments qu'il détenait, nécessaires au calcul de la part revenant à ce dernier, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé le texte susvisé.
Et sur le deuxième moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
12. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes au titre des heures supplémentaires, de l'indemnité relative au repos compensateur, en paiement de dommages-intérêts pour défaut d'information sur le droit au repos compensateur et pour violation de la durée maximale de travail, de le débouter de ses demandes d'indemnité pour travail dissimulé, en résiliation judiciaire de son contrat de travail et en paiement de dommages-intérêts subséquents, en paiement d'une indemnité légale de licenciement, de limiter à 5 000 euros la somme allouée au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre congés payés afférents, alors « qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; qu'en l'espèce, après avoir relevé que ‘‘le salarié produit un tableau récapitulatif de ses feuilles de route établissant selon lui les heures supplémentaires qu'il aurait effectuées'', la cour d'appel l'a débouté de ses demandes au titre des heures supplémentaires motifs pris ‘‘qu'il existait un désaccord sur les heures réalisées, le salarié travaillant souvent à son domicile, en toute liberté, sans aucun contrôle de l'employeur'', qu' ‘‘en outre, au vu des attestations versées aux débats, le salarié a profité de certains déplacements professionnels pour passer les fins de semaine sur place, notamment pour rendre visite à son fils. Ces heures ne peuvent à l'évidence, être comptabilisées comme des heures supplémentaires'' et que ‘‘l'employeur produit l'attestation de Mme [F], assistante de direction qui affirme que les technico-commerciaux effectuaient des horaires normaux lorsqu'ils n'étaient pas en intervention et que leurs heures supplémentaires, en cas d'intervention en urgence, leur ont toutes été payées comme en attestent les déclarations annuelles des données sociales'' ; qu'en écartant ainsi par des motifs inopérants l'existence des heures supplémentaires dont le paiement était réclamé par le salarié, la cour d'appel lui en a fait supporter seul la charge de la preuve en violation de l'article L. 3171-4 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 3171-4 du code du travail :
13. Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l'article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l'employeur tient à la disposition de l'inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.
14. Enfin, selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
15. Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.
16. Pour débouter le salarié de sa demande en paiement d'un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires et de ses demandes subséquentes, l'arrêt retient que le salarié a produit un tableau récapitulatif de ses feuilles de route établissant selon lui les heures supplémentaires qu'il aurait effectuées mais qu'il résulte de courriers échangés entre l'employeur et le salarié qu'il existait un désaccord sur les heures réalisées, le salarié travaillant souvent à son domicile, en toute liberté, sans aucun contrôle de l'employeur.
17. Il relève en outre que les attestations versées aux débats par le salarié montrent que ce dernier, profitant de certains de ses déplacements professionnels, passait les fins de semaine sur place, notamment pour rendre visite à son fils, estime dès lors que les heures correspondantes ne sauraient être comptabilisées comme des heures supplémentaires.
18. Enfin, l'arrêt constate que l'attestation de l'assistante de direction produite par l'employeur, affirmant que les technico-commerciaux effectuaient des horaires normaux lorsqu'ils n'étaient pas en intervention et qu'en cas d'intervention en urgence, les heures supplémentaires ont toutes été payées, se trouve corroborée par les déclarations annuelles des données sociales versées également à la procédure.
19. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations, d'une part, que le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre, d'autre part, que ce dernier ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [X] de ses demandes en paiement de rappels de salaire au titre des heures supplémentaires et de commissions sur le chiffre d'affaire, en résiliation judiciaire de son contrat de travail et en paiement de dommages-intérêts subséquents, d'une indemnité relative au repos compensateur, de dommages-intérêts pour défaut d'information sur le droit au repos compensateur et pour violation de la durée maximale de travail, et en ce qu'il limite à la somme de 5000 euros l'indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés afférents, l'arrêt rendu le 2 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;
Condamne la société Dyese France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Dyese France et la condamne à payer à M. [X] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix mai deux mille vingt-trois.