LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
BD4
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 10 mai 2023
Cassation partielle
Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 517 F-D
Pourvoi n° H 21-18.283
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 10 MAI 2023
M. [N] [P], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° H 21-18.283 contre l'arrêt rendu le 25 mars 2021 par la cour d'appel de Grenoble (chambre sociale, section B), dans le litige l'opposant à la société Espace 4, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Rouchayrole, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [P], de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Espace 4, après débats en l'audience publique du 29 mars 2023 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Rouchayrole, conseiller rapporteur, Mme Cavrois, conseiller, et Mme Aubac, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 25 mars 2021), M. [P] a été engagé en qualité d'assistant chef de projet, le 5 avril 2004, par la société Espace 4. Il a été promu responsable grands comptes, statut cadre, moyennant une rémunération forfaitaire pour 169 heures mensuelles de travail et une rémunération variable versée sous forme de prime annuelle.
2. Le salarié a saisi, le 12 juin 2017, la juridiction prud'homale de demandes en résiliation judiciaire de son contrat de travail et en paiement de diverses sommes.
3. Il a pris acte de la rupture de son contrat de travail le 5 octobre 2017.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
5. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en paiement d'un rappel de salaire à titre d'heures supplémentaires, outre congés payés afférents, de dire que sa prise d'acte de rupture du contrat de travail s'analyse en une démission, de le débouter de ses demandes à titre d'indemnité compensatrice de préavis, d'indemnités de licenciement, pour licenciement nul et pour violation du statut protecteur, et de le condamner à payer à l'employeur une somme à titre d'indemnité compensatrice de préavis, alors :
« 1°/ qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; que le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences découlant des articles L. 3171-2, alinéa 1er, L. 3171-3 et L. 3171-4 du code du travail ; que pour débouter le salarié de ses demandes, la cour d'appel a retenu, par motifs propres, d'une part, que le décompte des heures supplémentaires revendiquées au-delà du forfait contractuel en heure qu'il avait produit en pièce n° 23 ne constituait aucunement des éléments suffisamment précis pour mettre en situation l'employeur d'y répondre puisqu'il ne faisait qu'indiquer un nombre d'heures supplémentaires alléguées comme effectuées et non payées au-delà du forfait en renseignant par ailleurs des lieux de déplacement, sans jamais indiquer des horaires de début et de fin de travail par jour, entretenant de surcroît une confusion entre temps travail effectif et temps de trajet inhabituel entre domicile et lieux de missions et, d'autre part, que le seul fait qu'il puisse produire des extraits d'agenda et des courriels ne permettait pas davantage de considérer qu'il avait apporté des éléments précis permettant à l'employeur d'y répondre faute de les exploiter en explicitant les horaires de travail qu'il avait effectivement réalisés pour en déduire de possibles heures supplémentaires dépassant le forfait et non payées ; que la cour d'appel a encore retenu, par motifs adoptés, que le tableau récapitulant les heures supplémentaires qu'il avait produit en pièce n° 25, très succincte, ne permettait pas d'établir la réalité des heures effectuées par le salarié faute d'éléments factuels permettant de s'assurer qu'il ne s'agissait pas que de temps de trajets professionnels habituels ; qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations, d'une part, que le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre, d'autre part, que ce dernier ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé l'article L. 3171-4 du code du travail ;
2°/ qu'en tout cas, à l'appui de sa demande, le salarié avait produit non seulement la pièce n° 23, les extraits de son agenda et de courriels, mais aussi des tableaux indiquant pour chaque semaine le nombre d'heures supplémentaires travaillées en distinguant les heures majorées de 25 % et celles majorées de 50 % ; qu'en s'abstenant d'examiner ces tableaux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 3171-4 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 3171-4 du code du travail :
6. Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l'article L. 3171-3 du même code, l'employeur tient à la disposition des membres compétents de l'inspection du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.
7. Enfin, selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
8. Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.
9. Pour débouter le salarié de sa demande au titre des heures supplémentaires et des congés payés afférents, l'arrêt retient que le décompte des heures supplémentaires revendiquées au-delà du forfait contractuel que le salarié produit ne constitue aucunement des éléments suffisamment précis pour mettre en situation l'employeur d'y répondre puisqu'il ne fait, sur la période de mai 2014 à mai 2017, qu'indiquer un nombre d'heures supplémentaires alléguées comme effectuées et non payées au-delà du forfait, en renseignant par ailleurs des lieux de déplacement, sans jamais indiquer des horaires de début et de fin de travail par jour, entretenant de surcroît une confusion entre temps de travail effectif et temps de trajet inhabituel entre domicile et lieux de missions, ces derniers ne pouvant, en aucune façon, être assimilés à du temps de travail effectif et répondant à un régime spécifique d'indemnisation ou de compensation.
10. Il relève ensuite que le seul fait que le salarié puisse produire des extraits d'agenda et des courriels ne permet pas davantage de considérer qu'il apporte des éléments précis permettant à l'employeur d'y répondre, faute de les exploiter en explicitant les horaires de travail qu'il a effectivement réalisés pour en déduire de possibles heures supplémentaires dépassant le forfait et non payées. Il conclut que, la cour d'appel n'ayant pas à se substituer à une partie dans la formulation des moyens à l'appui de ses prétentions, elle n'a pas, faute d'une présentation par le salarié d'éléments suffisamment précis à l'appui de sa demande d'heures supplémentaires, à analyser les justifications des horaires de travail fournies par l'employeur, qui conteste l'accomplissement de toute heure supplémentaire non rémunérée.
11. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il condamne la société Espace 4 à payer à M. [P] la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution fautive du contrat de travail, l'arrêt rendu le 25 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Chambéry ;
Condamne la société Espace 4 aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Espace 4 et la condamne à payer à M. [P] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix mai deux mille vingt-trois.