LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 19 avril 2023
Cassation partielle
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 407 F-D
Pourvois n°
N 22-10.219
V 22-11.054 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 19 AVRIL 2023
I) L'institution de retraite interprofessionnelle de retraites complémentaires de la Martinique (IRCOM), dont le siège est [Adresse 1],
a formé le pourvoi n° N 22-10.219 contre l'arrêt rendu le 15 octobre 2021 par la cour d'appel de Fort-de-France (chambre sociale), dans le litige l'opposant à :
Mme [K] [M], domiciliée [Adresse 2],
défenderesse à la cassation.
II) Mme [K] [M] a formé le pourvoi n° V 22-11.054 contre le même arrêt rendu entre les mêmes parties.
La demanderesse au pourvoi n° N 22-10.219 invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.
La demanderesse au pourvoi n° V 22-11.054 invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Barincou, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme [M], de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de l'institution de retraite interprofessionnelle de retraites complémentaires de la Martinique, après débats en l'audience publique du 7 mars 2023 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Barincou, conseiller rapporteur, M. Pietton, conseiller, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° N 22-10.219 et V 22-11.054 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Fort-de-France, 15 octobre 2021), Mme [M] a été engagée le 8 février 1999, par l'institution de retraite interprofessionnelle de retraites complémentaires de la Martinique, en qualité de responsable comptable et budgétaire.
3. Le 8 février 2016, la salariée a saisi la juridiction prud'homale pour faire cesser le harcèlement moral dont elle s'estimait victime et obtenir la condamnation de son employeur à lui payer des dommages-intérêts pour déloyauté et manquements à son obligation de sécurité.
4. Licenciée pour faute grave par lettre du 1er avril 2016, elle a ensuite demandé à la juridiction prud'homale de juger ce licenciement nul et d'ordonner sa réintégration.
Examen des moyens
Sur les premier et second moyens du pourvoi N 22-10.219
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen du pourvoi V 22-11.054
Enoncé du moyen
6. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande en paiement des salaires pour la période de mars 2016 à décembre 2019 faute de justification des revenus perçus pendant la totalité de cette période, alors « que lorsqu'un licenciement nul ou dépourvu de cause réelle et sérieuse fait suite à l'action en justice engagée par le salarié contre son employeur, il appartient à ce dernier d'établir que sa décision est justifiée par des éléments étrangers à toute volonté de sanctionner l'exercice, par le salarié, de son droit d'agir en justice ; qu'à défaut, le licenciement est nul comme portant atteinte à une liberté fondamentale constitutionnellement garantie et le salarié qui demande sa réintégration a droit au paiement d'une indemnité égale au montant de la rémunération qu'il aurait dû percevoir entre son éviction de l'entreprise et sa réintégration, sans déduction des éventuels revenus de remplacement dont il a pu bénéficier pendant cette période ; que la cour d'appel a constaté que la salariée avait saisi la juridiction prud'homale le 8 février 2016 et qu'elle avait été licenciée pour faute grave le 1er avril 2016, licenciement qu'elle a jugé entaché de nullité ; qu'il résultait de ses constatations que le licenciement avait été prononcé trois semaines après l'introduction de la demande en justice, de sorte qu'il appartenait à l'employeur d'établir que sa décision était justifiée par des éléments étrangers à toute volonté de sanctionner l'exercice par la salariée de son droit d'agir en justice ; qu'en écartant cependant une telle violation d'une liberté fondamentale au motif que la salariée ne démontrait pas que le licenciement pour faute grave était intervenu du fait de sa saisine du conseil de prud'hommes en dénonciation du harcèlement moral, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve, en violation des articles L. 1121-1, L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail, et de l'article 1353 (anciennement 1315) du code civil, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1121-1, L. 1152-1, L. 1154-1 du code du travail et les articles 1315 du code civil et 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
7. Il résulte du dernier de ces textes qu'est nul comme portant atteinte à une liberté fondamentale le licenciement intervenu en raison d'une action en justice introduite ou susceptible d'être introduite par le salarié à l'encontre de son employeur.
8. Lorsque le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse fait suite à l'action en justice engagée par le salarié contre son employeur, il appartient à ce dernier d'établir que sa décision est justifiée par des éléments étrangers à toute volonté de sanctionner l'exercice, par le salarié, de son droit d'agir en justice.
9. Pour débouter la salariée de sa demande en paiement des salaires qu'elle aurait dû percevoir entre son éviction de l'entreprise et sa réintégration, la cour d'appel, après avoir relevé que la dégradation des relations de la salariée avec sa direction générale ainsi que l'ensemble des faits reprochés au soutien du licenciement étaient antérieurs à la saisine de la juridiction prud'homale, retient que la salariée ne démontre pas que son licenciement est intervenu du fait de cette saisine.
10. En statuant ainsi, alors que le licenciement, qui était nul pour avoir été prononcé à l'encontre de la salariée ayant subi ou refusé de subir des agissements de harcèlement moral et faisait suite à l'action en justice de cette dernière pour obtenir la reconnaissance de ce harcèlement moral et son indemnisation, ce dont il résultait qu'il appartenait à l'employeur d'établir que sa décision était justifiée par des éléments étrangers à toute volonté de sanctionner l'exercice, par la salariée, de son droit d'agir en justice, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
11. La cassation prononcée n'emporte pas la cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'institution de retraite interprofessionnelle de retraites complémentaires de la Martinique aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celle-ci et non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi N 22-10.219 formé par l'institution de retraite interprofessionnelle de retraites complémentaires de la Martinique ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute Mme [M] de sa demande de paiement au titre des salaires pour la période de mars 2016 à décembre 2019, l'arrêt rendu le 15 octobre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Fort-de-France ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Fort-de-France autrement composée ;
Condamne l'institution de retraite interprofessionnelle de retraites complémentaires de la Martinique aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par l'institution de retraite interprofessionnelle de retraites complémentaires de la Martinique et la condamne à payer à Mme [M] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf avril deux mille vingt-trois.