La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/04/2023 | FRANCE | N°21-25885

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 19 avril 2023, 21-25885


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

CZ

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 19 avril 2023

Rejet

M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 424 F-D

Pourvoi n° V 21-25.885

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 19 AVRIL 2023

1°/ La Fédération nationale des syndicats et des

salariés des mines et de l'énergie CGT, dont le siège est [Adresse 10],

2°/ M. [C] [ES], domicilié [Adresse 2],

3°/ Mme [MH] [N], domiciliée [A...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

CZ

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 19 avril 2023

Rejet

M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 424 F-D

Pourvoi n° V 21-25.885

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 19 AVRIL 2023

1°/ La Fédération nationale des syndicats et des salariés des mines et de l'énergie CGT, dont le siège est [Adresse 10],

2°/ M. [C] [ES], domicilié [Adresse 2],

3°/ Mme [MH] [N], domiciliée [Adresse 3],

4°/ M. [KU] [EL], domicilié [Adresse 4],

5°/ M. [M] [S], domicilié [Adresse 1],

6°/ M. [B] [Y], domicilié [Adresse 24],

7°/ Mme [I] [TJ], domiciliée [Adresse 12],

8°/ M. [U] [FL], domicilié [Adresse 27],

9°/ M. [K] [F], domicilié [Adresse 7],

10°/ M. [ZL] [UX], domicilié [Adresse 13],

11°/ Mme [G] [HT], domiciliée [Adresse 11],

12°/ M. [Y] [P], domicilié [Adresse 8],

13°/ M. [CK] [O], domicilié [Adresse 17],

14°/ Mme [R] [P], domiciliée [Adresse 25],

15°/ M. [L] [NV], domicilié [Adresse 15],

16°/ M. [DY] [Z], domicilié [Adresse 23],

17°/ Mme [CY] [A], domiciliée [Adresse 20],

18°/ M. [E] [RC], domicilié [Adresse 9],

19°/ M. [D] [X], domicilié [Adresse 18],

20°/ M. [J] [RW], domicilié [Adresse 6],

21°/ M. [V] [T], domicilié [Adresse 22],

22°/ M. [H] [PI], domicilié [Adresse 14],

23°/ Mme [JG] [AM], domiciliée [Adresse 19],

24°/ M. [KA] [GF], domicilié [Adresse 26],

25°/ Mme [GZ] [W], domiciliée [Adresse 16],

26°/ M. [IM] [AC], domicilié [Adresse 5],

ont formé le pourvoi n° V 21-25.885 contre l'arrêt rendu le 30 septembre 2021 par la cour d'appel de Versailles (14e chambre), dans le litige les opposant :

1°/ à la société Enedis, dont le siège est [Adresse 28],

2°/ à la société Gaz réseau distribution de France, société anonyme, dont le siège est [Adresse 21],

défendeurs à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Ott, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la Fédération nationale des syndicats et des salariés des mines et de l'énergie CGT, de MM. [ES], [EL], [S], [Y], [FL], [F], [UX], [P], [O], [NV], [Z], [RC], [X], [RW], [T], [PI], [GF], [AC], et de Mmes [N], [TJ], [HT], [P], [A], [AM], [W], la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat des sociétés Enedis et Gaz réseau distribution de France, après débats en l'audience publique du 8 mars 2023 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Ott, conseiller rapporteur, M. Rinuy, conseiller, Mme Roques, avocat général référendaire, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 30 septembre 2021), statuant en référé,
la société ERDF devenue Enedis, gestionnaire du réseau de distribution d'électricité, et la société Gaz réseau distribution France (GrdF), gestionnaire du réseau de distribution de gaz naturel, partagent un service commun, non doté de la personnalité morale, résultant de l'article L. 111-71 du code de l'énergie, qui est composé de directions régionales Enedis exerçant une activité 100 % électricité, de directions réseaux et de directions clients territoire GrdF exerçant une activité 100 % gaz et d'une partie mixte Enedis-GrdF, elle-même composée de quatre unités opérationnelles nationales (UON), à savoir : l'unité comptable opérationnelle, l'opérateur informatique et télécom, l'unité opérationnelle Serval (logistique) et l'unité opérationnelle nationale RH et médical et social.

2. Chacune des deux entreprises est dotée d'un comité social et économique central (CSEC) pour les fonctions centrales et de plusieurs comités sociaux et économiques d'établissement (CSEE), soit, pour Enedis, vingt-cinq CSEE pour les directions régionales et, pour GrdF, six CSEE pour les directions réseaux et les directions clients territoires. Ces entreprises sont également dotées d'un comité social et économique d'établissement commun, correspondant aux quatre UON.

3. Par ailleurs, est mise en place, par application de l'article R. 713-14 du code du travail ancien, une délégation spéciale, composée de membres des comités centraux des deux entreprises, « pour l'examen des questions intéressant spécifiquement des services communs » et exerçant pour ces questions les attributions du comité central d'entreprise.

4. Face à l'épidémie de la covid-19, l'activité se poursuivant sans interruption au sein des deux entreprises, les plans de continuité de l'activité (PCA), existants pour chacune d'entre elles en raison de leur qualité d'opérateur de services essentiels, ont été adaptés en fonction des décisions gouvernementales.

5. Des membres des comités sociaux et économiques centraux des deux entreprises ont exercé un droit d'alerte pour danger grave et imminent, respectivement le 17 mars 2020 pour GrdF et le 23 mars 2020 pour Enedis. Ce droit d'alerte, instruit par chacune des deux entreprises en lien avec son comité social et économique central, a été levé à l'issue de plusieurs réunions.

6. Le 7 avril 2020, certains membres de la représentation du personnel des deux comités sociaux et économiques centraux ont déposé un droit d'alerte commun aux deux entreprises en demandant la réunion de la délégation spéciale.

7. Par acte d'huissier du 9 juin 2020, douze membres élus CGT du comité social et économique central d'Enedis : M. [ES], Mme [N], M. [EL], M. [S], M. [Y], Mme [TJ], M. [FL], M. [F], M. [UX], Mme [HT], M. [P] et M.[O] et treize membres élus CGT du comité social et économique central GrdF : Mme [P], M. [NV], M. [Z], Mme [A], M. [RC], M. [X], M. [RW], M. [T], M. [PI], Mme [AM], M. [GF], Mme [W] et M. [AC], tous membres de la délégation spéciale, ainsi que la Fédération nationale des syndicats des salariés des mines et de l'énergie CGT (la FNME-CGT) ont assigné les sociétés Enedis et GrdF aux fins de leur ordonner, sous astreinte, d'engager une enquête conjointe avec les représentants du personnel CGT siégeant en délégation spéciale des CSEC d'Enedis et GrdF suite au droit d'alerte exercé le 7 avril 2020 dans un délai de 8 jours et, en cas de divergences sur la réalité du risque ou la façon de le faire cesser, de convoquer une réunion de la délégation spéciale des CSEC dans un délai de 24 heures. Ils ont en outre sollicité le paiement d'une provision à valoir sur des dommages-intérêts en raison de l'atteinte portée aux missions et prérogatives des salariés CGT siégeant en délégation spéciale et à l'intérêt collectif de la profession.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

8. Les vingt-cinq salariés et la FNME-CGT font grief à l'arrêt de constater que la délégation spéciale des CSEC d'Enedis et GrdF n'était pas compétente et de les débouter de leurs demandes tendant à voir constater que le refus des directions Enedis et GrdF d'engager une enquête conjointe avec les représentants du personnel CGT siégeant en délégation spéciale des CSEC d'Enedis et GrdF et de procéder à la réunion de ladite délégation spéciale constituait un trouble manifestement illicite, à voir, en conséquence, ordonner sous astreinte aux sociétés Enedis et GrdF d'engager une enquête conjointe avec les représentants du personnel CGT siégeant à la délégation spéciale des CSEC d'Enedis et de GrdF à la suite du droit d'alerte exercé le 7 avril 2020 et, en cas de divergences sur la réalité du risque ou la façon de le faire cesser, de convoquer une réunion de la délégation spéciale des CSEC dans un délai de 24 heures à compter de la notification d'une telle divergence et à voir condamner les sociétés Enedis et GrdF à leur verser une somme à titre de provision sur dommages-intérêts en raison de l'atteinte portée aux missions et prérogatives des représentants des salariés CGT siégeant en délégation spéciale et à l'intérêt collectif de la profession, alors :

« 1°/ que lorsqu'un représentant du personnel au comité social et économique, constatant l'existence d'une cause de danger grave et imminent, en alerte l'employeur selon la procédure prévue au premier alinéa de l'article L. 4132-2 du code du travail, il appartient à ce dernier de procéder immédiatement à une enquête avec le représentant du comité social et économique qui lui a signalé le danger et de prendre les dispositions nécessaires pour y remédier ; qu'en cas de divergence sur la réalité du danger ou la façon de le faire cesser, le comité social et économique est réuni d'urgence, dans un délai n'excédant pas vingt-quatre heures ; qu'à défaut d'accord entre l'employeur et la majorité du comité social et économique sur les mesures à prendre et leurs conditions d'exécution, l'inspecteur du travail est saisi immédiatement par l'employeur et met en oeuvre soit l'une des procédures de mise en demeure prévues à l'article L. 4721-1, soit la procédure de référé prévue aux articles L. 4732-1 et L. 4732-2 ; qu'il en résulte qu'en présence d'une alerte portant sur une situation alléguée de danger grave et imminent émanant d'un représentant du personnel au comité social et économique, l'employeur ne peut refuser de procéder à l'enquête prévue à l'article L. 4132-2 alinéa 2 au motif que ce droit d'alerte serait irrecevable ou infondé ; qu'en l'espèce, ayant constaté que, le 7 avril 2020, des représentants du personnel des deux CSE centraux des sociétés Enedis et GrdF, membres de la délégation spéciale, avaient exercé leur droit d'alerte pour danger grave et imminent, la cour d'appel a néanmoins estimé que le refus opposé, par courriers des 10 et 13 avril 2020, par les sociétés Enedis et GrdF à la mise en oeuvre de la procédure d'alerte au motif que « ce droit d'alerte n'[était] pas recevable dans sa forme et appara[issai]t infondé » ne caractérisait pas un trouble manifestement illicite et a, en conséquence débouté les exposants de leurs demandes ; qu'en statuant ainsi, elle a violé les dispositions des articles L. 2312-60, L. 4131-2 et L. 4132-2 à L. 4132-4 du code du travail ;

2°/ que l'exercice du droit d'alerte en situation de danger grave et imminent prévu aux articles L. 4131-2 et L. 4132-2 et suivants du code du travail appartient aux membres de la délégation du personnel au comité social et économique et non à ce comité ; qu'en l'espèce, pour considérer que le refus des sociétés Enedis et GrdF de mettre en oeuvre la procédure d'alerte pour danger grave et imminent ne caractérisait pas un trouble manifestement illicite et débouter en conséquence les exposants de leurs demandes, la cour d'appel a retenu que, lorsqu'existent des comités sociaux et économiques centraux et d'établissement, le droit d'alerte est exercé dans le cadre des attributions dévolues au comité d'établissement quand seul celui-ci est concerné et, ayant relevé que le droit d'alerte était consacré spécifiquement aux salariés des unités mixtes qui disposent d'une instance représentative propre, à savoir d'un comité social et économique d'établissement, elle en a déduit que la délégation spéciale n'avait pas compétence pour l'exercer ; qu'en se prononçant ainsi en considération des attributions dévolues aux comités sociaux et économiques alors que le droit d'alerte appartient, non pas à ces comités mais à leurs membres, la cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 2312-60, L. 4131-2 et L. 4132-2 à L. 4132-4 du code du travail ;

3°/ que tout membre de la délégation du personnel au comité social et économique est compétent pour exercer le droit d'alerte en situation de danger grave et imminent prévu aux articles L. 4131-2 et L. 4132-2 et suivants du code du travail dès lors que le personnel concerné par la situation de danger grave et imminent constatée entre dans le champ de compétence du comité auquel appartient le membre qui l'exerce ; qu'en l'espèce, pour considérer que le refus des sociétés Enedis et GrdF de mettre en oeuvre la procédure d'alerte pour danger grave et imminent ne caractérisait pas un trouble manifestement illicite et débouter en conséquence les exposants de leurs demandes, la cour d'appel a retenu que, lorsqu'existent des comités sociaux et économiques centraux et d'établissement, le droit d'alerte est exercé dans le cadre des attributions dévolues au comité d'établissement quand seul celui-ci est concerné et, ayant relevé que le droit d'alerte était consacré spécifiquement aux salariés des unités mixtes qui disposent d'une instance représentative propre, à savoir d'un comité social et économique d'établissement, elle en a déduit que la délégation spéciale n'avait pas compétence pour l'exercer ; qu'en statuant par de tels motifs, alors qu'il ressortait pas ailleurs de ses constatations que les salariés concernés par la situation de danger grave et imminent dénoncée par les représentants du personnel entraient dans le champ de compétence de la délégation spéciale dont ces représentants du personnel étaient membres, la cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 2312-60, L. 4131-2, L. 4132-2 à L. 4132-4 et R. 713-14 du code du travail ;

4°/ que le comité social et économique d'établissement a les mêmes attributions que le comité social et économique d'entreprise, dans la limite des pouvoirs confiés au chef de cet établissement ; que le comité social et économique central d'entreprise exerce les attributions qui concernent la marche générale de l'entreprise et qui excèdent les limites des pouvoirs des chefs d'établissement ; qu'en l'espèce, après avoir affirmé que lorsqu'existent des comités sociaux et économiques centraux et d'établissement, le droit d'alerte est exercé dans le cadre des attributions dévolues au comité d'établissement quand seul celui-ci est concerné, la cour d'appel a relevé que le droit d'alerte du 7 avril 2020 concernait « presqu'exclusivement » les salariés des unités mixtes des sociétés Enedis et GrdF, que, s'agissant du point consacré à la sécurité des salariés, l'ensemble des récriminations avaient trait aux conditions de travail des salariés de l'Unité Serval, hormis le premier paragraphe" et que le droit d'alerte dénonçait des insuffisances de mesures principalement" pour les salariés des unités mixtes, la situation des salariés relevant du service commun étant abordée quant à elle de manière relativement vague (au sujet des coordonnées téléphoniques du médecin du travail) ou isolée (au sujet des mesures de prévention communes aux deux entreprises)" ; qu'en en déduisant, pour débouter les exposants de leurs demandes, que, s'agissant d'un droit d'alerte consacré spécifiquement aux salariés des unités mixtes qui disposent d'une instance représentative propre, à savoir d'un CSE d'établissement, la délégation spéciale n'avait pas compétence pour l'exercer, quand il ressortait au contraire de ses constatations que, si ce droit d'alerte concernait principalement les salariés des unités mixtes, il ne les concernait pas pour autant exclusivement si bien qu'il échappait à la compétence du CSE d'établissement, la cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 2312-60, L. 4131-2 et L. 4132-2 à L. 4132-4 du code du travail ensemble celles des articles L. 2316-1, L. 2316-20 et R. 713-14 du code du travail ;

5°/ que le comité social et économique d'établissement a les mêmes attributions que le comité social et économique d'entreprise, dans la limite des pouvoirs confiés au chef de cet établissement ; que le comité social et économique central d'entreprise exerce les attributions qui concernent la marche générale de l'entreprise et qui excèdent les limites des pouvoirs des chefs d'établissement ; qu'en l'espèce, les exposants faisaient valoir, à titre subsidiaire, qu'à supposer que les règles d'articulation des compétences entre CSE central et CSE d'établissement aient été applicables à l'exercice du droit d'alerte, les mesures en cause dans le cadre du droit d'alerte litigieux excédaient, en toute hypothèse, la compétence du chef d'établissement des Unités Opérationnelles Nationales (UON), s'agissant de règles de sécurité et de protection de la santé élaborées au niveau des deux entreprises, et relevaient donc de la compétence de la délégation spéciale ; que, pour débouter les exposants de leurs demandes, la cour d'appel a retenu que, s'agissant d'un droit d'alerte consacré spécifiquement aux salariés des unités mixtes qui disposent d'une instance représentative propre, à savoir d'un CSE d'établissement, la délégation spéciale n'avait pas compétence pour l'exercer ; qu'en statuant ainsi sans rechercher si, à supposer même qu'il concerne spécifiquement les salariés des unités mixtes, le droit d'alerte exercé ne mettait pas en cause des mesures excédant les pouvoirs du chef d'établissement de ces unités et relevant, à ce titre, de la compétence de la délégation spéciale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 2312-60, L. 4131-2 et L. 4132-2 à L. 4132-4 du code du travail ensemble des articles L. 2316-1, L. 2316-20 et R. 713-14 du code du travail. »

Réponse de la Cour

9. Selon l'article L. 2312-60 du code du travail, un membre de la délégation du personnel au comité social et économique exerce le droit d'alerte en situation de danger grave et imminent dans les conditions prévues par les articles L. 4132-1 à L. 4132-5 du code du travail.

10. En vertu de l'article L. 4131-2 du même code, le représentant du personnel du comité social et économique, qui constate une cause de danger grave et imminent, en alerte immédiatement l'employeur selon la procédure prévue au premier alinéa de l'article L. 4132-2, c'est-à-dire en consignant son avis par écrit dans des conditions déterminées par voie réglementaire.

11. Aux termes de l'article L. 4132-2, alinéa 2, du code du travail, l'employeur procède immédiatement à une enquête avec le représentant du comité social et économique qui lui a signalé le danger et prend les dispositions nécessaires pour y remédier. L'article L. 4132-3 de ce code dispose que, en cas de divergence sur la réalité du danger ou la façon de le faire cesser, notamment par arrêt du travail, de la machine ou de l'installation, le comité social et économique est réuni d'urgence, dans un délai n'excédant pas vingt-quatre heures et l'employeur informe immédiatement, notamment, l'agent de contrôle de l'inspection du travail mentionné à l'article L. 8112-1 qui peut assister à la réunion du comité social et économique. L'article L. 4132-4 du même code précise que, à défaut d'accord entre l'employeur et la majorité du comité social et économique sur les mesures à prendre et leurs conditions d'exécution, l'inspecteur du travail est saisi immédiatement par l'employeur et met en oeuvre soit l'une des procédures de mise en demeure prévues à l'article L. 4721-1, soit la procédure de référé prévue aux articles L. 4732-1 et L. 4732-2.

12. Par ailleurs, aux termes de l'article R. 713-14, alinéas 2 et 3, du code du travail ancien, dans les entreprises disposant de services communs en application de l'article 5 de la loi du 8 avril 1946, un nombre de sièges qui tient compte de l'importance de l'effectif de ces services rapporté à l'effectif total de l'entreprise doit être réservé à des représentants de ces services communs au sein de chacun des comités centraux desdites entreprises. Les membres titulaires des comités d'établissement des services communs sont électeurs pour chaque comité central d'entreprise. Pour l'examen des questions intéressant spécifiquement des services communs visés à l'alinéa précédent, les attributions du comité central d'entreprise sont exercées par une délégation spéciale représentant les deux comités centraux concernés. Cette délégation est composée de l'ensemble des membres desdits comités issus des services communs. Elle est présidée par un directeur responsable désigné par accord entre les présidents des comités centraux d'entreprise.

13. Il résulte de ces dispositions que l'exercice du droit d'alerte pour danger grave et imminent par un membre de la représentation du personnel de la délégation spéciale, en ce qu'il tend à la réunion d'urgence de la délégation spéciale en cas de divergence sur la réalité du danger ou la façon de le faire cesser, est limité aux situations de danger grave et imminent relevant des questions intéressant spécifiquement les services communs pour l'examen desquelles la délégation spéciale a seule compétence.

14. L'arrêt constate, par motifs adoptés, que, les 23 et 17 mars 2020,des représentants du personnel au sein respectivement du comité social et économique central d'Enedis et du comité social et économique central GrdF ont exercé un droit d'alerte pour danger grave et imminent concernant un certain nombre de mesures de sécurité jugées absentes ou insuffisantes pour assurer la protection des agents poursuivant le travail en période de pandémie de la covid-19 et que ces droits d'alerte ont été levés lors de réunions des 26 et 27 mars 2020.

15. L'arrêt constate encore, par motifs propres et adoptés, que, le 7 avril 2020 les mêmes membres élus des deux comités centraux, également membres de la délégation spéciale, ont déposé un droit d'alerte en demandant expressément dans leur écrit une réunion « dans le cadre d'une délégation spéciale afin de décider des mesures communes applicables dans les UON au regard des PCA et des fiches Réflexes" des deux entreprises », que les mesures critiquées ne concernent pas exclusivement le service commun, chaque société conservant une entité qui lui est propre, et que ces mesures concernent seulement une partie des salariés du service commun, ceux de la partie mixte Enedis-GrdF regroupant les UON et dont la situation entre dans le champ de compétence du comité social et économique des UON, lequel a rendu un avis lors de la réunion du 26 mars 2020.

16. La cour d'appel, qui n'était pas tenue d'opérer la recherche visée à la cinquième branche du moyen et rendue inopérante par ses constatations, a pu en déduire, sans encourir le grief de la première branche du moyen, l'inexistence du trouble manifestement illicite allégué.

17. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Sur le second moyen

18. Les vingt-cinq salariés et la FNME-CGT font le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que l'exercice du droit d'alerte pour risque grave pour la santé publique ou l'environnement prévu aux articles L. 4133-2 et suivants du code du travail appartient aux membres de la délégation du personnel au comité social et économique et non à ce comité ; qu'en l'espèce, pour considérer que le refus des sociétés Enedis et GrdF de mettre en oeuvre la procédure d'alerte pour risque grave pour la santé publique ne caractérisait pas un trouble manifestement illicite et débouter en conséquence les exposants de leurs demandes, la cour d'appel a retenu que, lorsqu'existent des comités sociaux et économiques centraux et d'établissement, le droit d'alerte est exercé dans le cadre des attributions dévolues au comité d'établissement quand seul celui-ci est concerné et, ayant relevé que le droit d'alerte était consacré spécifiquement aux salariés des unités mixtes qui disposent d'une instance représentative propre, à savoir d'un CSE d'établissement, elle en a déduit que la délégation spéciale n'avait pas compétence pour l'exercer ; qu'en se prononçant ainsi en considération des attributions dévolues aux comités sociaux et économiques alors que le droit d'alerte appartient, non pas à ces comités, mais à leurs membres, la cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 2312-60 et L. 4133-2 du code du travail ;

2°/ que tout membre de la délégation du personnel au comité social et économique est compétent pour exercer le droit d'alerte pour danger grave pour la santé publique prévu aux articles L. 4133-2 et suivants du code du travail ; qu'en l'espèce, pour considérer que le refus des sociétés Enedis et GrdF de mettre en oeuvre la procédure d'alerte pour risque grave pour la santé publique ne caractérisait pas un trouble manifestement illicite et débouter en conséquence les exposants de leurs demandes, la cour d'appel a retenu que, lorsqu'existent des comités sociaux et économiques centraux et d'établissement, le droit d'alerte est exercé dans le cadre des attributions dévolues au comité d'établissement quand seul celui-ci est concerné et, ayant relevé que le droit d'alerte était consacré spécifiquement aux salariés des unités mixtes qui disposent d'une instance représentative propre, à savoir d'un CSE d'établissement, elle en a déduit que la délégation spéciale n'avait pas compétence pour l'exercer ; qu'en statuant par de tels motifs, la cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 2312-60 et L. 4133-2 du code du travail ;

3°/ que le comité social et économique d'établissement a les mêmes attributions que le comité social et économique d'entreprise, dans la limite des pouvoirs confiés au chef de cet établissement ; que le comité social et économique central d'entreprise exerce les attributions qui concernent la marche générale de l'entreprise et qui excèdent les limites des pouvoirs des chefs d'établissement ; qu'en l'espèce, après avoir affirmé que lorsqu'existent des comités sociaux et économiques centraux et d'établissement, le droit d'alerte est exercé dans le cadre des attributions dévolues au comité d'établissement quand seul celui-ci est concerné, la cour d'appel a relevé que le droit d'alerte du 7 avril 2020 concernait presqu'exclusivement" les salariés des unités mixtes des sociétés Enedis et GrdF, que, s'agissant du point consacré à la sécurité des salariés, l'ensemble des récriminations avaient trait aux conditions de travail des salariés de l'Unité Serval, hormis le premier paragraphe" et que le droit d'alerte dénonçait des insuffisances de mesures principalement" pour les salariés des unités mixtes, la situation des salariés relevant du service commun étant abordée quant à elle de manière relativement vague (au sujet des coordonnées téléphoniques du médecin du travail) ou isolée (au sujet des mesures de prévention communes aux deux entreprises)" ; qu'en en déduisant, pour débouter les exposants de leurs demandes, que, s'agissant d'un droit d'alerte consacré spécifiquement aux salariés des unités mixtes qui disposent d'une instance représentative propre, à savoir d'un CSE d'établissement, la délégation spéciale n'avait pas compétence pour l'exercer, quand il ressortait au contraire de ses constatations que, si ce droit d'alerte concernait principalement les salariés des unités mixtes, il ne les concernait pas pour autant exclusivement si bien qu'il échappait à la compétence du CSE d'établissement, la cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 2312-60 et L. 4133-2 à L. 4132-4 du code du travail, ensemble celles des articles L. 2316-1, L. 2316-20 et R. 713-14 du code du travail ;

4°/ que le comité social et économique d'établissement a les mêmes attributions que le comité social et économique d'entreprise, dans la limite des pouvoirs confiés au chef de cet établissement ; que le comité social et économique central d'entreprise exerce les attributions qui concernent la marche générale de l'entreprise et qui excèdent les limites des pouvoirs des chefs d'établissement ; qu'en l'espèce, les exposants faisaient valoir, à titre subsidiaire, qu'à supposer que les règles d'articulation des compétences entre CSE central et CSE d'établissement aient été applicables à l'exercice du droit d'alerte, les mesures en cause dans le cadre du droit d'alerte litigieux excédaient, en toute hypothèse, la compétence du chef d'établissement des Unités Opérationnelles Nationales (UON), s'agissant de règles de sécurité et de protection de la santé élaborées au niveau des deux entreprises, et relevaient donc de la compétence de la délégation spéciale ; que, pour débouter les exposants de leurs demandes, la cour d'appel a retenu que, s'agissant d'un droit d'alerte consacré spécifiquement aux salariés des unités mixtes qui disposent d'une instance représentative propre, à savoir d'un CSE d'établissement, la délégation spéciale n'avait pas compétence pour l'exercer ; qu'en statuant ainsi sans rechercher si, à supposer même qu'il concerne spécifiquement les salariés des unités mixtes, le droit d'alerte exercé ne mettait pas en cause des mesures excédant les pouvoirs du chef d'établissement de ces unités et relevant, à ce titre, de la compétence de la délégation spéciale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 2312-60 et L. 4133-2 à L. 4132-4 du code du travail ensemble des articles L. 2316-1, L. 2316-20 et R. 713-14 du code du travail.»

Réponse de la Cour

19. Selon l'article L. 2312-60 du code du travail, un membre de la délégation du personnel au comité social et économique exerce le droit d'alerte en matière de santé publique et d'environnement dans les conditions prévues par les articles L. 4132-1 à L. 4132-5 du code du travail.

20. Aux termes de l'article L. 4133-2 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022, le représentant du personnel au comité social et économique qui constate, notamment par l'intermédiaire d'un travailleur, qu'il existe un risque grave pour la santé publique ou l'environnement en alerte immédiatement l'employeur. L'alerte est consignée par écrit dans des conditions déterminées par voie réglementaire. L'employeur examine la situation conjointement avec le représentant du personnel au comité social et économique qui lui a transmis l'alerte et l'informe de la suite qu'il réserve à celle-ci.

21. L'article L. 4133-3 du même code, dans la même rédaction, dispose qu'en cas de divergence avec l'employeur sur le bien-fondé d'une alerte transmise en application des articles L. 4133-1 et L. 4133-2 ou en l'absence de suite dans un délai d'un mois, le travailleur ou le représentant du personnel au comité social et économique peut saisir le représentant de l'Etat dans le département.

22. Aux termes de l'article L. 4133-4 de ce code, dans la même rédaction, le comité social et économique est informé des alertes transmises à l'employeur en application des articles L. 4133-1 et L. 4133-2, de leurs suites ainsi que des saisines éventuelles du représentant de l'Etat dans le département en application de l'article L. 4133-3.

23. Il résulte de ces dispositions qu'à la différence du droit d'alerte pour danger grave et imminent, ni l'enquête conjointe ni la réunion en urgence du comité social et économique ne sont prévus lors de l'exercice du droit d'alerte en cas de risque grave pour la santé publique ou l'environnement.

24. Le moyen est dès lors inopérant.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. [ES], Mme [N], M. [EL], M. [S], M. [Y], Mme [TJ], M. [FL], M. [F], M. [UX], Mme [HT], M. [P], M. [O], Mme [P], M. [NV], M. [Z], Mme [A], M. [RC], M. [X], M. [RW], M. [T], M. [PI], Mme [AM], M. [GF], Mme [W], M. [AC] et la Fédération nationale des syndicats des salariés des mines et de l'énergie CGT aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf avril deux mille vingt-trois.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21-25885
Date de la décision : 19/04/2023
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles, 30 septembre 2021


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 19 avr. 2023, pourvoi n°21-25885


Composition du Tribunal
Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Lyon-Caen et Thiriez

Origine de la décision
Date de l'import : 25/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2023:21.25885
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award