LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 13 avril 2023
Cassation
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 294 F-D
Pourvoi n° C 21-25.777
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 13 AVRIL 2023
La société Delsys, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° C 21-25.777 contre l'arrêt rendu le 29 octobre 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 11), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Elcimaï software et services,
2°/ à la société Groupe Elcimaï,
ayant toutes deux leur siège [Adresse 1],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bellino, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon, avocat de la société Delsys, de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat des sociétés Elcimaï software et services et Groupe Elcimaï , après débats en l'audience publique du 28 février 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bellino, conseiller référendaire rapporteur, Mme Darbois, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 29 octobre 2021) et les productions, le 8 juin 2015, un contrat de prestation de services a été conclu entre la société Delsys, société d'ingénierie et d'assistance informatique, en qualité de fournisseur, et la société Elcimaï informatique, devenue Elcimaï software et services (la société Elcimaï), société de prestation de services et de commercialisation de produits informatiques, en qualité de client, confiant à la première la réalisation de travaux de conception et de programmation informatique au profit de la seconde.
2. Une clause de non-sollicitation était prévue au contrat, prévoyant que chacune des parties s'engageait réciproquement à ne pas engager ou faire travailler directement ou par personne interposée tout collaborateur de l'autre partie, pendant toute la durée des travaux objets du contrat, et pendant douze mois à compter de l'achèvement de ces travaux.
3. La prestation a été confiée à M. [L], salarié de la société Delsys, détaché auprès de la société Elcimaï, et s'est déroulée dans les locaux de la société Edmond de Rothschild, client final.
4. Par lettre du 25 février 2016, M. [L] a demandé à son employeur de mettre fin à son contrat de travail par rupture conventionnelle. La mission de M. [L] en tant que salarié de la société Delsys a pris fin le 20 mai 2016.
5. Soutenant que M. [L] avait collaboré après cette date avec la société Elcimaï et continué sa mission auprès de la société Edmond de Rothschild, au mépris des engagements contractuels, la société Delsys a assigné la société Elcimaï et la société Groupe Elcimaï en réparation de ses préjudices. Ces dernières ont demandé reconventionnellement le paiement de dommages et intérêts pour action abusive.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
6. La société Delsys fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes dirigées contre les sociétés Elcimaï et Groupe Elcimaï et de la condamner à payer à ces sociétés une somme de 5 000 euros, chacune, à titre de dommages et intérêts, alors « que les juges du fond sont tenus d'examiner, même sommairement, les pièces versées aux débats par les parties à l'appui de leurs prétentions ; qu'en écartant les demandes de la société Delsys, qui faisait valoir que la société Elcimaï avait fautivement continué à faire travailler M. [L] après le 20 mai 2016 pour son client, la société Edmond de Rothschild, sans examiner la lettre en date 24 septembre 2019, versée aux débats par laquelle la société Edmond de Rothschild elle-même admettait que "la mission de M. [E] [L] auprès de notre établissement pour le compte de la société Elcimaï a pris fin le 5 juillet 2016", la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
7. Il résulte de ce texte que les juges ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont fournis par les parties au soutien de leurs prétentions.
8. Pour rejeter les demandes de la société Delsys, l'arrêt retient que celle-ci fonde ses demandes sur deux rapports d'enquête du 14 octobre 2016, qu'elle ne produit pas l'avis de virement de la somme de 2 000 euros invoqué dans l'un de ces rapports comme ayant été opéré sur le compte de M. [L], ni aucun élément de nature à étayer le versement par la société Elcimaï ou la société Groupe Elcimaï de cette somme au profit de M. [L], que les deux rapports, qui se bornent à reproduire des affirmations sans indiquer la nature des investigations menées, ni l'identité des personnes entendues ni les circonstances dans lesquelles les propos ont été recueillis, sont dénués de force probante et sont contredits par les pièces produites par les sociétés Elcimaï et Groupe Elcimaï, en particulier le constat d'huissier de justice qui établit qu'aucun virement bancaire n'est intervenu des comptes de ces sociétés au profit de M. [L] et que celui-ci ne figurait pas parmi les salariés déclarés par chacune d'elles pour la période de juin à décembre 2016. L'arrêt en déduit que la société Delsys échoue à rapporter la preuve de la violation de la clause de non-concurrence par les sociétés Elcimaï et Groupe Elcimaï.
9. En statuant ainsi, sans examiner la pièce nouvelle n° 15 intitulée « Courriel de Edmond de Rothschild à Delsys en date du 24 Septembre 2019 », dans laquelle la société Edmond de Rothschild indiquait que « la mission de M. [E] [L] auprès de notre établissement pour le compte de la société Elcimaï a pris fin le 5 juillet 2016 », la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 octobre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne les sociétés Elcimaï software et services et Groupe Elcimaï aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Elcimaï software et services et Groupe Elcimaï et les condamne à payer à la société Delsys la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du treize avril deux mille vingt-trois.