LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
OR
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 13 avril 2023
Rejet
Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 476 F-D
Pourvois n°
T 21-23.054
F 21-24.032 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 13 AVRIL 2023
I. La Société SPL M TAG, société anonyme à conseil d'administration, dont le siège est [Adresse 1], anciennement dénommée Société d'économie mixte des transports publics de l'agglomération grenobloise, a formé le pourvoi n° T 21-23.054,
II. M. [T] [S], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° F 21-24.032,
contre un même arrêt rendu le 9 septembre 2021 par la cour d'appel de Grenoble (chambre sociale, section B), dans les litiges les opposant.
La demanderesse au pourvoi n° T 21-23.054 invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le demandeur au pourvoi n° F 21-24.032 invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de M. Flores, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société SPL M TAG, de la SCP Jean-Philippe Caston, avocat de M. [S], après débats à l'audience publique du 15 mars 2022 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Flores, conseiller rapporteur, M. Sornay, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° T 21-23.054 et F 21-24.032 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 9 septembre 2021), M. [S] a été engagé en qualité de receveur par la Société d'économie mixte des transports publics de l'agglomération grenobloise, devenue la société SPL M TAG, à compter du 22 mai 1978.
3. A la suite d'une maladie professionnelle, le salarié a été placé en arrêt de travail à compter du 26 mars 2014. Le 13 octobre 2016, à l'issue de la seconde visite médicale de reprise, le salarié a été déclaré inapte à son poste de travail. Il a été licencié le 13 décembre 2016.
4. Le 20 juillet 2017, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de demandes en paiement de diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi n° F 21-24.032 du salarié
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le second moyen du pourvoi n° T 21-23.054 de l'employeur, qui est préalable
Enoncé du moyen
6. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer une certaine somme à titre de rappel de salaire pour congés payés, alors « qu'une directive européenne ne peut permettre, dans un litige entre des particuliers, d'écarter les effets d'une disposition de droit national contraire ; qu'il n'en va autrement que dans l'hypothèse où les dispositions inconditionnelles et suffisamment précises d'une directive sont invoquées par un particulier à l'encontre d'un organisme qui, quelle que soit sa forme juridique, a été chargé en vertu d'un acte de l'autorité publique d'accomplir, sous le contrôle de cette dernière, un service d'intérêt public et qui dispose, à cet effet, de pouvoirs exorbitants par rapport aux règles applicables dans les relations entre les particuliers ; que ces conditions sont cumulatives et ne sauraient résulter du seul fait qu'une autorité publique a délégué l'exploitation et la gestion d'un service public à une entreprise privée ; qu'au cas présent, pour faire valoir que l'article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 ne pouvait pas produire un effet direct à son égard, la société Semitag, société de droit privé dont le capital social était détenu à 40 % par la société Transdev, démontrait qu'elle était autonome dans l'exploitation et la gestion du réseau de transport en commun de la ville de [Localité 3], l'autorité délégante (le Syndicat Mixte des Mobilités de l'Aire Grenobloise) se bornant à définir des objectifs du service public à atteindre ; que néanmoins, pour considérer que l'article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 était directement invocable par M. [S] à l'encontre de la société Semitag, la cour d'appel s'est bornée à relever que celle-ci était délégataire de l'exploitation d'un réseau de transport en commun intérieur » et « qu'un tel délégataire assure un service public dont l'étendue, les modalités et les tarifs sont fixés par l'autorité publique", qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si la société Semitag, société de droit privé détenue à 40 % par la société Transdev, ne disposait pas d'une large autonomie dans la gestion et l'exécution du service public de transport en commun qui lui était délégué, ce dont il résultait qu'elle n'était pas soumise au contrôle de l'autorité étatique au sens de la jurisprudence de l'Union européenne, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 288 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et le principe selon lequel une directive européenne ne peut permettre, dans un litige entre des particuliers, d'écarter les effets d'une disposition de droit national contraire. »
Réponse de la Cour
7. La cour d'appel, qui a constaté que l'employeur était délégataire de l'exploitation d'un réseau de transport en commun intérieur, qu'un tel délégataire assurait un service public dont l'étendue, les modalités et les tarifs sont fixés par l'autorité publique et que les agents du réseau de transport public sont habilités par la loi et le règlement à constater les contraventions afférentes, a caractérisé l'existence d'un organisme chargé en vertu d'un acte de l'autorité publique d'accomplir, sous le contrôle de cette dernière, un service d'intérêt public et disposant à cet effet de pouvoirs exorbitants par rapport aux règles applicables dans les relations entre particuliers, qui peut se voir opposer les dispositions d'une directive susceptible d'avoir des effets directs.
8. En l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a légalement justifié sa décision.
Sur le premier moyen du pourvoi n° T 21-23.054
Enoncé du moyen
9. L'employeur fait le même grief à l'arrêt, alors « que l'article 7 § 1 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, qui impose aux Etats-membres de prendre les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d'un congé annuel payé d'au moins quatre semaines, doit être interprété au regard des objectifs de la directive, à savoir l'amélioration de la sécurité, de l'hygiène et de la santé des travailleurs au travail" ; qu'il en résulte que le congé annuel payé est la contrepartie d'un travail qui génère une fatigue physique et mentale et nécessite ainsi que le travailleur se repose ; qu'il résulte de l'article L. 3141-5 5° du code du travail que sont considérées comme périodes de travail effectif pour la détermination du droit à congé payé les périodes pendant lesquelles l'exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle dans la limite ininterrompue d'un an ; que ces dispositions sont donc compatibles avec l'article 7 § 1 de la directive tel qu'interprété au regard des objectifs de celle-ci ; qu'en écartant l'article L. 3141-5 5° au profit de l'article 7 § 1 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, pour considérer que le salarié avait été en droit d'acquérir 36 jours de congés payés entre les mois de mars 2015 et septembre 2016 et condamner à ce titre la société Semitag à lui verser un rappel de salaire sur congés payés à hauteur de 4. 699,40 €, cependant que le salarié avait été placé en arrêt de travail pour maladie non professionnelle, puis pour maladie professionnelle, de sorte qu'il n'avait fourni aucun travail effectif durant plus de deux ans et demi (36 mois), la cour d'appel a violé l'article L. 3141-5 5° du code du travail, ensemble l'article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 et l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. »
Réponse de la Cour
10. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, n'opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d'un congé de maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période. Il s'ensuit que, s'agissant de travailleurs en congé maladie dûment prescrit, le droit au congé annuel payé conféré par cette directive à tous les travailleurs ne peut être subordonné par un Etat membre à l'obligation d'avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit Etat (CJUE, 20 janvier 2009, C-350/06, Schultz-Hoff, point 41 ; CJUE 24 janvier 2012, C-282/10, Dominguez, point 20).
11. Après avoir exactement énoncé que la directive 2003/88/CE, qui était directement invocable à l'égard de l'employeur, assimilé à un organe étatique, la cour d'appel, qui a retenu que le salarié était fondé à revendiquer l'application de l'article 7 de ladite directive, lui ouvrant droit à des congés payés d'au moins quatre semaines du seul fait de sa qualité de travailleur, peu important qu'il ait été absent à raison d'un arrêt de travail pour maladie, a statué à bon droit.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Condamne la société SPL M TAG, anciennement dénommée Société d'économie mixte des transports publics de l'agglomération grenobloise, aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la la société SPL M TAG, anciennement dénommée Société d'économie mixte des transports publics de l'agglomération grenobloise, et la condamne à payer à M. [S] la somme de 2 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize avril deux mille vingt-trois.