LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
OR
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 13 avril 2023
Cassation partielle sans renvoi
Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 374 F-D
Pourvoi n° K 21-15.986
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 13 AVRIL 2023
La société Fidutech conseils, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° K 21-15.986 contre l'arrêt rendu le 21 janvier 2021 par la cour d'appel de Caen (chambre sociale, section 1), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [N] [G], domicilié [Adresse 1],
2°/ à Pôle emploi de Caen, dont le siège est [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Cavrois, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société Fidutech conseils, de la SCP Krivine et Viaud, avocat de M. [G], après débats en l'audience publique du 2 mars 2023 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Cavrois, conseiller rapporteur, M. Sornay, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 21 janvier 2021), M. [G] a été engagé en qualité de chef de mission par la société Fidutech conseils, à compter du 14 février 2011.
2. Licencié le 31 octobre 2016, le salarié a saisi la juridiction prud'homale, le 8 août 2017, aux fins de contester le bien-fondé de son licenciement et d'obtenir paiement de diverses sommes.
Sur les deuxième et troisième moyens
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à verser au salarié une certaine somme au titre de la prime contractuelle, outre congés payés afférents, alors « que les juges ont l'obligation de ne pas dénaturer les écrits qui leur sont soumis ; que procède à une dénaturation, la cour qui, sous couvert d'interprétation, ampute purement et simplement une clause de l'une de ses conditions d'application ; qu'en l'espèce, l'article 7.2 du contrat de travail du salarié soumettait le paiement d'une prime à diverses conditions, puis précisait que "en cas de départ de M. [G] du cabinet, cette prime ne sera pas versée puisque la 2e condition ne pourra être vérifiée" ; qu'en décidant pourtant, sous couvert d'interprétation, que le salarié peut bénéficier de cette prime pour l'ensemble de ses années de présence dans l'entreprise y compris l'année de son départ, la cour d'appel a méconnu le principe susvisé. »
Réponse de la Cour
5. L'article 7-2 du contrat de travail du salarié prévoit : « Cette prime sera versée sur la base de la note définitive de la première année de chaque client apporté (non compris les 5 % de frais de chancellerie) et sous réserve :
- que les honoraires soient payés ;
- que le client n'ait pas démissionné du cabinet au cours de la 2è ou 3è année ;
- d'une franchise d'honoraires de 63 000 euros qui sera appliquée pour tenir compte de la constitution du portefeuille.
En cas de départ de M. [N] [G] du cabinet, cette prime ne sera pas reversée puisque la 2è condition ne pourra être vérifiée. »
6. C'est par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, que l'ambiguïté des termes de cette clause rendait nécessaire, que la cour d'appel a retenu que le salarié avait droit à une prime sur les nouveaux clients apportés au cabinet par l'intermédiaire de son réseau ou de ses clients, calculée sur la note définitive de la fin de première année, à la condition que les honoraires soient payés et que le client n'ait pas « démissionné » au cours de la deuxième ou troisième année, que si le salarié « part », ce qui inclut toutes les hypothèses de départ, il est privé de prime, le motif donné étant que la « deuxième condition » ne pourrait alors être vérifiée, et qu'il peut donc bénéficier de cette prime pour l'ensemble de ses années de présence, y compris l'année de son départ, sous les conditions posées (paiement des honoraires et pas de démission du client au cours des deux années suivant son arrivée).
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le premier moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
8. L'employeur fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'en soulignant pour décider que le salarié avait le droit au paiement de la prime y compris pour l'année de son départ, que " pour vérifier que le client n'ait pas démissionné au cours des 2 et 3é année, il est nécessaire de différer le paiement de la prime, cela ne saurait justifier que M. [G] soit privé de sa prime en cas de départ ", quand il ne lui appartenait pas de vérifier la nécessité de l'exclusion expressément voulue par les parties en cas de départ du salarié, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, devenu l'article 1203. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
9. Selon ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
10. Pour condamner l'employeur à payer certaines sommes au titre de la prime contractuelle et des congés payés afférents, l'arrêt retient que le salarié peut bénéficier de cette prime pour l'ensemble de ses années de présence dans l'entreprise, y compris l'année de son départ dans les conditions posées et évalue les primes dues au titre des honoraires de 2012, 2013 et 2014, déduction faite de la franchise d'honoraires et des sommes perçues.
11. En statuant ainsi, en condamnant l'employeur à une certaine somme au titre de la prime, y compris au titre de l'année 2014, alors qu'elle avait retenu que le salarié pouvait bénéficier de cette prime sous les conditions posées et que la deuxième condition portant sur la non-démission du client ne pouvait, pour cette année là, être vérifiée au départ du salarié, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
12. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
13. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
14. La cassation prononcée au titre de la prime et des congés payés afférents ne portant que sur l'année 2014, la Cour trouve dans l'arrêt de la cour d'appel les éléments de fait pour évaluer la somme restant due par l'employeur au titre des primes de 2012 et 2013.
15. Les sommes constatées par la cour d'appel sont respectivement de 3 225 euros en 2012 et de 5 542 euros en 2013 dont il convient de déduire la somme déjà perçue par le salarié de 2 950 euros, soit une somme restant due de 5 817 euros, outre 518, 70 euros au titre des congés payés afférents, avec intérêts à compter du 9 août 2017.
16. La cassation prononcée n'atteint pas les condamnations de l'employeur aux dépens et au paiement d'une indemnité par application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiées par des dispositions de l'arrêt non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Fidutech conseils à verser à M. [G] la somme de 29 253,80 euros brut de rappels de salaire au titre de la prime contractuelle outre 2 925,38 euros brut au titre des congés payés afférents, l'arrêt rendu le 21 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ;
Dit n'y avoir lieu à renvoi ;
Condamne la société Fidutech conseils à verser à M. [G] la somme de 5 817 euros brut de rappels de salaire au titre de la prime contractuelle outre 581,70 euros brut au titre des congés payés afférents, pour les années 2012 et 2013, avec intérêts au taux légal à compter du 9 août 2017 ;
Déboute M. [G] de sa demande de prime et congés payés afférents au titre de l'année 2014 ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize avril deux mille vingt-trois.