LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 6 avril 2023
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 264 F-D
Pourvoi n° C 21-17.888
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 6 AVRIL 2023
Mme [F] [W], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° C 21-17.888 contre l'arrêt rendu le 2 avril 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 3), dans le litige l'opposant à la société Pierre rénovation tradition (PRT), société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], venant aux droits de la société Foncière de la [Adresse 3], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Grall, conseiller, les observations de Me Haas, avocat de Mme [W], de la SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon, avocat de la société Pierre rénovation tradition, après débats en l'audience publique du 28 février 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Grall, conseiller rapporteur, Mme Andrich, conseiller, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 avril 2021), le 6 février 1973, la société Dreyfus, aux droits de laquelle est venue la société Pierre rénovation tradition (la bailleresse), a donné à bail à [R] [W], son salarié, un logement accessoire à son contrat de travail.
2. [R] [W] étant décédé le 6 juin 2002, Mme [W], sa veuve, a continué à occuper le logement.
3. Le 22 février 2017, la bailleresse a délivré à Mme [W] un congé avec dénégation du droit au maintien dans les lieux au visa de l'article 10, 8°, de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948.
4. La bailleresse a assigné Mme [W] en validation du congé et, à titre subsidiaire, en résiliation du bail et en expulsion ainsi qu'en paiement d'une indemnité d'occupation.
Examen du moyen
Sur le moyen pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. Mme [W] fait grief à l'arrêt de prononcer la résiliation du bail, d'ordonner son expulsion et de la condamner au paiement d'une indemnité d'occupation, alors « que le droit au bail du local, sans caractère professionnel ou commercial, qui sert effectivement à l'habitation de deux époux est, quel que soit leur régime matrimonial et nonobstant toute convention contraire, et même si le bail a été conclu avant le mariage, réputé appartenir à l'un et à l'autre des époux ; qu'il en va ainsi même si le bail a été consenti en considération de la fonction de l'un des conjoints ; qu'en prononçant la résiliation judiciaire du bail au motif que le maintien de Mme [W] dans les lieux après le décès de son époux constituait un manquement suffisamment grave au contrat, cependant qu'il était constant que l'appartement avait servi de local d'habitation aux époux [W], de sorte qu'au décès de son époux, Mme [W], cotitulaire du bail, était en droit d'occuper les lieux, de sorte que cette occupation n'était pas constitutive d'un manquement, la cour d'appel a violé, par refus d'application, l'article 1751 du code civil, dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 24 mars 2014, applicable au litige. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1751, alinéa 1er, du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 62-902 du 4 août 1962 :
6. Selon ce texte, le droit au bail du local, qui sert effectivement à l'habitation de deux époux, est réputé appartenir à l'un ou l'autre des conjoints dès lors que le local est à usage exclusif d'habitation.
7. Pour prononcer la résiliation judiciaire du bail, l'arrêt retient que la stipulation qu'il contient, selon laquelle la cessation du contrat de travail entraîne sa résiliation, faisant obstacle à la naissance de tout droit au maintien dans les lieux, l'occupation du logement durant plus de quinze ans par Mme [W], postérieurement au décès de son conjoint, est constitutive d'un manquement suffisamment grave.
8. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations, que Mme [W], cotitulaire du bail, était en droit, postérieurement au décès de son conjoint, d'occuper le logement servant à l'habitation des époux, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare nul le congé délivré le 22 février 2017 à Mme [W], l'arrêt rendu le 2 avril 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la société Pierre rénovation tradition aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Pierre rénovation tradition et la condamne à payer à Mme [W] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six avril deux mille vingt-trois.