LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° X 22-83.851 F-D
N° 00417
ECF
4 AVRIL 2023
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 4 AVRIL 2023
Mme [Y] [H], épouse [L], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Riom, chambre correctionnelle, en date du 2 juin 2022, qui, dans la procédure suivie contre Mmes [X] [R] et [P] [F], épouse [V], du chef de harcèlement moral, s'est déclarée incompétente pour statuer sur ses demandes de réparation.
Des mémoires en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.
Sur le rapport de M. Coirre, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme [Y] [H], épouse [L], les observations de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de Mmes [P] [F], épouse [V], [X] [R] et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 mars 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Coirre, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Mme [Y] [H], épouse [L], a porté plainte et s'est constituée partie civile devant le juge d'instruction.
3. Par ordonnance de ce magistrat, Mmes [X] [R] et [P] [F], épouse [V], ont été renvoyées devant le tribunal correctionnel du chef de harcèlement moral au travail.
4. Par jugement du 27 mai 2021, les prévenues ont été déclarées coupables de ce délit et condamnées à diverses peines.
5. Les juges du premier degré ont reçu la constitution de partie civile de Mme [L], déclaré les prévenues responsables de son préjudice, ordonné deux expertises et condamné Mmes [R] et [V], à payer chacune à Mme [L], la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts.
6. Mmes [R] et [V], ainsi que le ministère public ont relevé appel de cette décision.
7. Mme [L] a interjeté appel de ses dispositions civiles.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a décidé que les fautes de Mmes [V] et [R] n'étaient pas détachables du service et, en conséquence, a renvoyé Mme [L] à mieux se pourvoir en saisissant la juridiction administrative pour la liquidation de son préjudice, alors « que si la responsabilité de l'Etat, des collectivités territoriales et de leurs établissements publics est engagée en raison des fautes commises par leurs agents lorsque ces fautes ne sont pas dépourvues de tout lien avec le service, cette responsabilité n'est pas exclusive de celle des agents auxquels est reproché un manquement volontaire et inexcusable à des obligations d'ordre professionnel et déontologique ; que les juridictions de l'ordre judiciaire, spécialement la juridiction répressive statuant sur les intérêts civils, sont compétentes pour connaître de la responsabilité personnelle de ces agents lorsque la faute qui leur est reprochée constitue un manquement volontaire et inexcusable à des obligations d'ordre professionnel et déontologique ; que, après être entré en voie de condamnation contre les deux fonctionnaires du chef de harcèlement moral sur une de leur collègue, l'arrêt attaqué a écarté la compétence de la juridiction répressive aux fins de statuer sur l'action civile au prétexte que la faute commise n'était pas détachable du service dès lors que les faits avaient été perpétrés par les prévenues exclusivement à l'occasion de l'exercice de la profession d'enseignante, que leurs agissements fautifs consistaient pour l'essentiel à décrédibiliser la victime quant à ses qualités professionnelles d'enseignante, que celle-ci ne s'était jamais plainte d'un prolongement du comportement des prévenues en dehors des murs du lycée, que, consciente des difficultés au sein du service, la hiérarchie s'en était occupée par différents moyens, dont la mutation d'office des deux enseignantes et, enfin, que la victime avait bénéficié de la protection fonctionnelle et ses arrêts de travail avaient été pris en charge comme accidents de service ; qu'en se déterminant ainsi, alors que la seule circonstance que les prévenues avaient commis les faits reprochés dans l'exercice de leurs fonctions ne pouvait exclure que leur comportement eût relevé d'un manquement volontaire et inexcusable à des obligations d'ordre professionnel et déontologique, et qu'en l'occurrence il résulte des constatations de l'arrêt sur l'action publique que, par leurs agissements répétés, les prévenues poursuivaient un objectif sans rapport avec les nécessités du service, c'est-à-dire évincer la partie civile de ses responsabilités professionnelles, et que cette situation avait altéré la santé de cette dernière, qui avait subi des arrêts de travail durant plusieurs mois, ainsi que compromis son avenir professionnel, la cour d'appel, ne tirant pas les conséquences légales de ses propres constatations, a fait une inexacte application de l'article 13 de la loi des 16-24 août 1790, du décret du 16 fructidor an III, de l'article 3 du code de procédure pénale et du principe ci-dessus rappelé. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III, et l'article 3 du code de procédure pénale :
9. Selon ces textes, si la responsabilité de l'Etat, des collectivités territoriales et de leurs établissements publics est engagée en raison des fautes commises par leurs agents lorsque celles-ci ne sont pas dépourvues de tout lien avec le service, cette responsabilité n'est pas exclusive de celle des agents auxquels est reproché un manquement volontaire et inexcusable à des obligations d'ordre professionnel et déontologique.
10. Pour déclarer la juridiction judiciaire incompétente aux fins de statuer sur l'action civile, après confirmation du jugement sur la déclaration de culpabilité, l'arrêt attaqué énonce que le harcèlement moral commis par les prévenues dans le cadre de leurs fonctions d'enseignante a constitué une faute non détachable du service dès lors que celui-ci a joué un rôle dans les circonstances ayant permis sa commission.
11. Les juges retiennent que les prévenues ont dénigré, en présence de tiers, les compétences professionnelles de la partie civile, formulé à son encontre des réflexions désobligeantes, insinué qu'elle avait obtenu des stages pour ses étudiants en contrepartie de faveurs sexuelles et usé de manoeuvres pour l'empêcher de faire passer des examens.
12. Ils relèvent que la partie civile ne s'est jamais plainte de ce que le comportement des prévenues se serait prolongé hors de leur lieu de travail.
13. Ils observent que ces événements ont été traités par leur hiérarchie, que la partie civile a bénéficié de la protection fonctionnelle et que ses arrêts de travail ont été pris en charge au titre d'un accident de service.
14. En prononçant ainsi, alors que les seules circonstances ci-dessus rappelées ne pouvaient exclure que le comportement des prévenues relevât d'un manquement volontaire et inexcusable à des obligations d'ordre professionnel et déontologique et, qu'en l'occurrence, il résulte des énonciations de l'arrêt sur l'action publique que, par leurs agissements multiples, Mmes [R] et [V] poursuivaient un objectif sans rapport avec les nécessités du service et que cette situation a, non seulement, altéré la santé physique et morale de la partie civile qui a subi des arrêts de travail, mais encore compromis son avenir professionnel, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a fait une inexacte application des textes susvisés et du principe ci-dessus rappelé.
15. La cassation est, par conséquent, encourue.
Portée et conséquences de la cassation
16. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions ayant dit que les fautes des prévenues ne sont pas détachables du service et, en conséquence, ayant renvoyé la partie civile à mieux se pourvoir en saisissant la juridiction administrative pour la liquidation de son préjudice. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Riom, en date du 2 juin 2022, mais en ses seules dispositions ayant dit que les fautes des prévenues ne sont pas détachables du service et, en conséquence, ayant renvoyé la partie civile à mieux se pourvoir en saisissant la juridiction administrative pour la liquidation de son préjudice, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Lyon, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Riom et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du quatre avril deux mille vingt-trois.