LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
BD4
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 29 mars 2023
Rejet
M. SOMMER, président
Arrêt n° 344 FS-B+R
Pourvoi n° E 21-17.729
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 29 MARS 2023
La société Thales Six GTS France, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° E 21-17.729 contre l'arrêt rendu le 1er avril 2021 par la cour d'appel de Versailles (14e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ au comité social et économique central de la société Thales Six GTS France, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ au comité social et économique de l'établissement de [Localité 6] de la société Thales Six GTS France, dont le siège est [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Le Masne de Chermont, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Thales Six GTS France, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat du comité social et économique central de la société Thales Six GTS France, et du comité social et économique de l'établissement de [Localité 6] de la société Thales Six GTS France, et l'avis de Mme Roques, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 15 février 2023 où étaient présents M. Sommer, président, M. Le Masne de Chermont, conseiller référendaire rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, M. Rinuy, Mmes Ott, Bouvier, Bérard, conseillers, Mmes Lanoue, Ollivier, conseillers référendaires, Mme Roques, avocat général référendaire, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 1er avril 2021), rendu en matière de référé, la société Thales Six GTS France (la société), appartenant au groupe Thales, compte plusieurs établissements dont un situé à [Localité 6].
2. Cet établissement comprend un secteur CCO qui inclut une activité « Cyber Operations Security » (COS). Le département COS emploie 133 salariés.
3. A été conclu, le 24 avril 2019, au sein du groupe Thales, un accord relatif à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, intitulé « Accord groupe visant à favoriser le développement professionnel et l'emploi par des démarches d'anticipation ».
4. Le 24 octobre 2019, le comité social et économique de l'établissement de [Localité 6] a été informé de « l'avancement du Plan équilibre concernant les départements BID et COS du secteur CCO ».
5. Estimant qu'ils auraient dû être consultés sur ce plan préalablement à sa mise en oeuvre, le comité social et économique central et le comité social et économique de l'établissement de [Localité 6] ont, par acte du 11 mars 2020, saisi le tribunal judiciaire.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa sixième branche
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en ses première à cinquième branches
Enoncé du moyen
7. La société fait grief à l'arrêt de lui ordonner d'ouvrir une consultation du comité social et économique central et du comité social et économique de l'établissement de [Localité 6] sur le projet de Plan équilibre, sous astreinte, de lui ordonner de communiquer au comité social et économique central et au comité social et économique de l'établissement de [Localité 6] l'ensemble des informations nécessaires pour lui permettre d'appréhender le projet de Plan équilibre et ses conséquences sur les conditions de travail et l'emploi des salariés, de suspendre la mise en oeuvre de ce plan tant que la procédure de consultation du comité social et économique central et du comité social et économique de l'établissement de [Localité 6] sur ce projet n'aura pas été menée à son terme et de la condamner à verser au comité social et économique central et au comité social et économique de cet établissement, à titre de provision à valoir sur l'indemnisation de leur préjudice, à chacun, une certaine somme, alors :
« 1°/ que les entreprises ayant conclu un accord relatif à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ne sont pas soumises, dans ce domaine, à l'obligation de consultation du comité social et économique ; que dès lors qu'une décision de l'employeur est la mise en oeuvre d'un accord de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, l'employeur n'est donc pas tenu de consulter le comité social et économique sur cette décision au titre des dispositions légales relatives à la consultation du comité social et économique, dont l'article L. 2312-8 du code du travail qui dispose que le comité social et économique est informé et consulté sur les questions intéressant l'organisation, la gestion et la marche générale de l'entreprise ; qu'en l'espèce, en retenant l'existence d'un trouble manifestement illicite résultant de l'absence d'information et de consultation par la société Thales Six GTS France du comité social et économique central tant au titre de l'article L. 2312-8 du code du travail que des dispositions de "l'accord de groupe visant à favoriser le développement professionnel et l'emploi par des démarches d'anticipation" du 24 avril 2019, quand elle ne pouvait inférer une obligation de consultation de l'article L. 2312-8 du code du travail dès lors qu'elle considérait que le projet entrait dans le champ d'application de l'accord de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, la cour d'appel a violé l'article L. 2312-14, alinéa 3, du code du travail, ensemble l'article 835 du code de procédure civile ;
2°/ que le juge ne saurait dénaturer les éléments de la cause ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu qu'en rapprochant les données transmises le 24 octobre 2019, en particulier quant à l'adaptation prévue des compétences pour 15 à 20 postes du département COS, aux dires de la direction tels que figurant dans l'extrait du procès-verbal du comité central d'entreprise du 3 juillet 2019, il pouvait en être légitimement déduit qu'il s'agissait "en réalité d'une prévision de suppression d'effectifs" ; qu'en statuant ainsi, tandis qu'il ressortait sans équivoque des déclarations de la direction figurant dans l'extrait du procès-verbal du 3 juillet 2019 que l'employeur considérait qu'il y avait tellement de demandes au sein du groupe pour des compétences en Cyber sécurité que les personnes concernées par le projet pourraient être mutées ou détachées sans difficulté et qu'il fallait faire en sorte de ne pas perdre de compétences, ce dont il s'évinçait que l'employeur n'envisageait aucunement de suppression d'effectifs du seul fait qu'il y aurait, le cas échéant, lieu de redéployer de 10 à 20 salariés vers d'autres fonctions et compétences, la cour d'appel a dénaturé les déclarations de la direction de la société Thales Six GTS France figurant dans le procès-verbal du 3 juillet 2019, en violation de l'interdiction faite au juge de dénaturer les éléments de la cause ;
3°/ qu'un projet d'adaptation des compétences impliquant une mobilité de salariés au sein de l'entreprise ou du groupe basée sur le volontariat et s'inscrivant dans le cadre d'un accord de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ne constitue pas un projet de suppression d'effectifs au sens de l'article L. 2312-8 du code du travail ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que lors de la réunion du 24 octobre 2019, le comité social et économique de l'établissement de [Localité 6] avait été informé sur l'avancement du Plan Equilibre qui consistait au 1er octobre 2019 en une "adaptation des compétences (15 à 20 postes)" portant sur les métiers "Business development, bid et project management, Build et integration, pilotes techniques et Run" et pouvant potentiellement concerner les sites d'[Localité 3], [Localité 4], [Localité 5] et [Localité 6] et que les "principes du plan d'action mis en place" consistaient en "une information collective des salariés" et "une démarche basée sur le volontariat se traduisant par des opportunités de mobilité au sein de Thales Six GTS France et du groupe Thales", soit par "mutation interne sur des postes où les compétences en Cyber sécurité seraient appréciées (actuellement très recherchées au sein du Groupe)", soit par "possibilité de détachement au sein de Thales Six également très demandeur de compétences en Opérations de Cyber sécurité" ; qu'en affirmant néanmoins qu'en rapprochant les données transmises le 24 octobre 2019 aux dires de la direction tels que figurant dans l'extrait du procès-verbal du comité central d'entreprise du 3 juillet 2019, il pouvait en être légitimement déduit qu'il s'agissait en réalité d'une prévision de suppression d'effectifs, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations dont il s'évinçait que le projet Plan Equilibre, tel que présenté le 24 octobre 2019, n'était pas un projet de suppression d'effectifs mais un projet d'adaptation des compétences impliquant une mobilité de salariés, dont les compétences étaient très recherchées, au sein de l'entreprise ou du groupe, basée sur le volontariat et s'inscrivant dans le cadre de l'accord de GPEC, la cour d'appel a violé l'article L. 2312-8 du code du travail, ensemble l'article 835 du code de procédure civile ;
4°/ qu'un projet d'adaptation des compétences impliquant une mobilité de salariés au sein de l'entreprise ou du groupe basée sur le volontariat et s'inscrivant dans le cadre d'un accord de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences n'est pas un projet de suppression d'effectifs au sens de l'article L. 2312-8 du code du travail ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que le fait que le projet Plan Equilibre soit mis en oeuvre sur la base du volontariat ne permettait pas à la direction de se soustraire à ses obligations d'information et de consultation dès lors qu'aucune précision n'était apportée sur les conséquences du projet pour les conditions de travail et l'emploi de salariés refusant une mobilité ou sur les conséquences de départs pour les salariés restant et qu'aucune mesure d'accompagnement n'avait été présentée ni aucune précision donnée sur les conséquences de l'absence d'un nombre de volontaires suffisants ; qu'en statuant par de tels motifs, impropres à caractériser que le projet était en réalité un projet de suppression d'effectifs justifiant une obligation de consultation spécifique du comité social et économique central au titre de l'article L. 2312-8 du code du travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 2312-8 et L. 2312-14 du code du travail, ensemble l'article 835 du code de procédure civile.
5°/ que le comité social et économique est informé et consulté sur les questions intéressant l'organisation, la gestion et la marche générale de l'entreprise et en particulier sur les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs ; qu'en l'espèce, en retenant que le projet Plan Equilibre était un projet qui, ayant "un impact sur le volume de l'emploi du département COS", portait sur la marche générale de l'entreprise au sens de l'article L. 2312-8 du code du travail et exigeait donc la consultation du comité social et économique central, quand il ressortait de ses propres constatations que ce projet ne concernait que 15 à 20 salariés sur les 7 600 salariés de la société Thales Six GTS France, soit au plus 0,26 % des effectifs de l'entreprise, la cour d'appel a violé les articles L. 2312-8 et L. 2316-1 du code du travail, ensemble l'article 835 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
8. D'abord, aux termes de l'article L. 2312-14, alinéa 3, du code du travail, les entreprises ayant conclu un accord relatif à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ne sont pas soumises, dans ce domaine, à l'obligation de consultation du comité social et économique.
9. Aux termes de l'article L. 2312-24, alinéa 1, du même code, le comité social et économique est consulté sur les orientations stratégiques de l'entreprise, définies par l'organe chargé de l'administration ou de la surveillance de l'entreprise, et sur leurs conséquences sur l'activité, l'emploi, l'évolution des métiers et des compétences, l'organisation du travail, le recours à la sous-traitance, à l'intérim, à des contrats temporaires et à des stages. Cette consultation porte, en outre, sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, sur les orientations de la formation professionnelle et sur le plan de développement des compétences.
10. Ensuite, selon l'article L. 2312-37 de ce code, outre les thèmes prévus à l'article L. 2312-8 du même code, le comité social et économique est consulté dans les cas de restructuration et de compression des effectifs. Selon l'article L. 2312-8, alinéa 2, le comité social et économique est informé et consulté sur les questions intéressant l'organisation, la gestion et la marche générale de l'entreprise et, notamment, sur les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs.
11. Aux termes de l'article 5 de la directive 2002/14/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 2002, établissant un cadre général relatif à l'information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne, intitulé « Information et consultation découlant d'un accord », les États membres peuvent confier aux partenaires sociaux au niveau approprié, y compris au niveau de l'entreprise ou de l'établissement, le soin de définir librement et à tout moment par voie d'accord négocié les modalités d'information et de consultation des travailleurs. Ces accords, et les accords existant à la date figurant à l'article 11, ainsi que les éventuelles prorogations ultérieures de ces accords, peuvent prévoir, dans le respect des principes énoncés à l'article 1 et dans des conditions et limites fixées par les États membres, des dispositions différentes de celles visées à l'article 4.
12. Selon l'article 1, § 2, de cette directive, les modalités d'information et de consultation sont définies et mises en oeuvre conformément à la législation nationale et aux pratiques en matière de relations entre les partenaires sociaux en vigueur dans les différents États membres, de manière à assurer l'effet utile de la démarche.
13. Il en résulte qu'en application de l'article L. 2312-14, alinéa 3, du code du travail, interprété à la lumière des articles 1, § 2, et 5 de la directive 2002/14 précitée, si, en présence d'un accord relatif à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, le comité social et économique n'a pas à être consulté sur cette gestion prévisionnelle dans le cadre de la consultation récurrente sur les orientations stratégiques, sont, en revanche, soumises à consultation les mesures ponctuelles intéressant l'organisation, la gestion et la marche générale de l'entreprise au sens de l'article L. 2312-8 du code du travail, notamment celles de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, quand bien même elles résulteraient de la mise en oeuvre de l'accord de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.
14. L'arrêt retient que le Plan équilibre, présenté par la société, prévoyait, au 1er octobre 2019, l'adaptation des compétences de quinze à vingt postes des départements BID et COS se traduisant par des mobilités au sein de celle-ci et du groupe Thales et affectant le volume d'emploi du département COS.
15. La cour d'appel, qui a ainsi fait ressortir l'existence d'une mesure de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs au sens de l'article L. 2312-8 du code du travail, a pu en déduire que le défaut de consultation constituait un trouble manifestement illicite.
16. Le moyen, qui est inopérant en ses deuxième à cinquième branches, n'est donc pas fondé pour le surplus.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
17. La société fait grief à l'arrêt de lui ordonner d'ouvrir une consultation du comité social et économique de l'établissement de [Localité 6] sur le projet de Plan équilibre, sous astreinte, de lui ordonner de communiquer au comité social et économique de l'établissement de [Localité 6] l'ensemble des informations nécessaires pour lui permettre d'appréhender le projet de Plan équilibre et ses conséquences sur les conditions de travail et l'emploi des salariés, de suspendre la mise en oeuvre du Plan équilibre tant que la procédure de consultation du comité social et économique central et du comité social et économique de l'établissement de [Localité 6] sur ce projet n'aura pas été menée à son terme et de la condamner à verser au comité social et économique de l'établissement de [Localité 6] à titre de provision à valoir sur l'indemnisation de son préjudice une certaine somme, alors :
« 1°/ que l'article 1.2.1 de "l'accord de groupe visant à favoriser le développement professionnel et l'emploi par des démarches d'anticipation" du 24 avril 2019 conclu au sein du groupe Thales dispose que "Afin de donner la meilleure visibilité sur l'activité de la société et d'anticiper les orientations opérationnelles envisagées et leurs conséquences, une information sera donnée aux CSEC/CSE (sociétés mono-établissement) : (...) sur les éventuels projets d'équilibre de charges entre établissements en France d'un même domaine d'activité. Dans cette situation, en cas d'impact sur l'emploi dans l'un des établissements, une information/consultation sera alors réalisée au niveau de l'établissement" ; qu'en l'espèce, pour retenir l'existence d'un trouble manifestement illicite résultant de l'absence d'information du comité social et économique de l'établissement de [Localité 6] sur le projet Plan Equilibre, la cour d'appel s'est bornée à relever que "le Plan Equilibre litigieux vise le département cyber sécurité dit "COS de l'activité CCO" et mentionne que sont concernés les sites d'[Localité 3], [Localité 4], [Localité 5] et [Localité 6], lesquels dépendent d'au moins deux établissements différents" ; qu'en statuant ainsi, quand le fait que le projet Plan Equilibre concerne au moins deux établissements ne suffisait pas pour qu'il puisse être qualifié de projet d'équilibre de charges entre établissements d'un même domaine d'activité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1.2.1 de l'accord d'anticipation du 24 avril 2019, ensemble l'article 835 du code de procédure civile ;
2°/ que les entreprises ayant conclu un accord relatif à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ne sont pas soumises, dans ce domaine, à l'obligation de consultation du comité social et économique ; que dès lors qu'une décision de l'employeur est la mise en oeuvre d'un accord de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, l'employeur n'est donc pas tenu de consulter le comité social et économique sur cette décision au titre des dispositions légales relatives à la consultation du comité social et économique, dont l'article L. 2312-8 du code du travail qui dispose que le comité social et économique est informé et consulté sur les questions intéressant l'organisation, la gestion et la marche générale de l'entreprise ; qu'en l'espèce, en retenant l'existence d'un trouble manifestement illicite résultant de l'absence d'information et de consultation par la société Thales Six GTS France du comité social et économique d'établissement de [Localité 6] sur le Plan Equilibre, tant au titre des textes légaux que de l'accord d'anticipation du 24 avril 2019, quand elle ne pouvait inférer une obligation de consultation au titre des textes légaux dès lors qu'elle considérait que le projet entrait dans le champ d'application de l'accord de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, la cour d'appel a violé l'article L. 2312-14, alinéa 3, du code du travail, ensemble l'article 835 du code de procédure civile ;
3°/ que le juge ne saurait dénaturer les éléments de la cause ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu qu'en rapprochant les données transmises le 24 octobre 2019, en particulier quant à l'adaptation prévue des compétences pour 15 à 20 postes du département COS, aux dires de la direction tels que figurant dans l'extrait du procès-verbal du comité central d'entreprise du 3 juillet 2019, il pouvait en être légitimement déduit qu'il s'agissait "en réalité d'une prévision de suppression d'effectifs" ; qu'en statuant ainsi, tandis qu'il ressortait sans équivoque des déclarations de la direction figurant dans l'extrait du procès-verbal du 3 juillet 2019 que l'employeur considérait qu'il y avait tellement de demandes au sein du groupe pour des compétences en Cyber sécurité que les personnes concernées par le projet pourraient être mutées ou détachées sans difficulté et qu'il fallait faire en sorte de ne pas perdre de compétences, ce dont il s'évinçait que l'employeur n'envisageait aucunement de suppression d'effectifs du seul fait qu'il y aurait, le cas échéant, lieu de redéployer de 10 à 20 salariés vers d'autres fonctions et compétences, la cour d'appel a dénaturé les déclarations de la direction de la société Thales Six GTS France figurant dans le procès-verbal du 3 juillet 2019, en violation de l'interdiction faite au juge de dénaturer les éléments de la cause ;
4°/ qu'un projet d'adaptation des compétences impliquant une mobilité de salariés au sein de l'entreprise ou du groupe basée sur le volontariat et s'inscrivant dans le cadre d'un accord de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ne constitue pas un projet de suppression d'effectifs au sens de l'article L. 2312-8 du code du travail ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que lors de la réunion du 24 octobre 2019, le comité social et économique de l'établissement de [Localité 6] avait été informé sur l'avancement du Plan Equilibre qui consistait au 1er octobre 2019 en une "adaptation des compétences (15 à 20 postes)" portant sur les métiers "Business development, bid et project management, Build et integration, pilotes techniques et Run" et pouvant potentiellement concerner les sites d'[Localité 3], [Localité 4], [Localité 5] et [Localité 6] et que "les principes du plan d'action mis en place" consistaient en "une information collective des salariés" et "une démarche basée sur le volontariat se traduisant par des opportunités de mobilité au sein de Thales Six GTS France et du groupe Thales", soit par "mutation interne sur des postes où les compétences en Cyber sécurité seraient appréciées (actuellement très recherchées au sein du Groupe)", soit par "possibilité de détachement au sein de Thales Six également très demandeur de compétences en opérations de cyber sécurité" ; qu'en affirmant néanmoins qu'en rapprochant les données transmises le 24 octobre 2019 aux dires de la direction tels que figurant dans l'extrait du procès-verbal du comité central d'entreprise du 3 juillet 2019, il pouvait en être légitimement déduit qu'il s'agissait en réalité d'une prévision de suppression d'effectifs, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations dont il s'évinçait que le projet Plan Equilibre, tel que présenté le 24 octobre 2019, n'était pas un projet de suppression d'effectifs mais un projet d'adaptation des compétences impliquant une mobilité de salariés, dont les compétences étaient très recherchées, au sein de l'entreprise ou du groupe, basée sur le volontariat et s'inscrivant dans le cadre de l'accord de GPEC, la cour d'appel a violé l'article L. 2312-8 du code du travail, ensemble l'article 835 du code de procédure civile ;
5°/ qu'un projet d'adaptation des compétences impliquant une mobilité de salariés au sein de l'entreprise ou du groupe basée sur le volontariat et s'inscrivant dans le cadre d'un accord de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences n'est pas un projet de suppression d'effectifs au sens de l'article L. 2312-8 du code du travail ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que le fait que le projet Plan Equilibre soit mis en oeuvre sur la base du volontariat ne permettait pas à la direction de se soustraire à ses obligations d'information et de consultation dès lors qu'aucune précision n'était apportée sur les conséquences du projet pour les conditions de travail et l'emploi de salariés refusant une mobilité ou sur les conséquences de départs pour les salariés restant et qu'aucune mesure d'accompagnement n'avait été présentée ni aucune précision donnée sur les conséquences de l'absence d'un nombre de volontaires suffisants ; qu'en statuant par de tels motifs, impropres à caractériser que le projet était en réalité un projet de suppression d'effectifs au titre de l'article L. 2312-8 du code du travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 2312-8 et L. 2312-14 du code du travail, ensemble l'article 835 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
18. L'arrêt constate d'abord qu'il existe au sein du groupe Thales un « Accord groupe visant à favoriser le développement professionnel et l'emploi par des démarches d'anticipation », dit « accord d'anticipation », conclu le 24 avril 2019, qui stipule notamment en son article 1.2.1 intitulé « Information et consultation du CSEC/CSE (sociétés mono établissement) » que : « Afin de donner la meilleure visibilité sur l'activité de la société et d'anticiper les orientations opérationnelles envisagées et leurs conséquences, une information sera donnée au CSEC/CSE (sociétés mono établissement) :
(...)
- sur les éventuels projets d'équilibre de charges entre établissements en France d'un même domaine d'activité. Dans cette situation, en cas d'impact sur l'emploi dans l'un des établissements, une information/consultation sera alors réalisée au niveau de l'établissement.
(...)
Sur la base notamment de ces éléments, le CSEC/CSE (sociétés mono établissement) sera informé et consulté sur les évolutions prévisibles des emplois et des qualifications par établissement dans le cadre de la consultation sur les orientations stratégiques telles que prévues par les dispositions légales et réglementaires en vigueur. »
19. L'arrêt retient ensuite que l'accord d'anticipation du 24 avril 2019 prévoit, outre la consultation du comité social et économique central sur les évolutions prévisibles des emplois et qualifications par établissement, celle du comité social et économique d'établissement lorsqu'en cas d'impact sur l'emploi dans un des établissements, le projet porte sur un "équilibre de charges entre établissements en France d'un même domaine d'activité" et que le Plan Equilibre litigieux vise le département cyber sécurité dit "COS de l'activité CCO", prévoit une adaptation de quinze à vingt postes par mutations ou détachements au sein de la société et du groupe Thales et mentionne que sont concernés les sites d'[Localité 3], [Localité 4], [Localité 5] et [Localité 6], lesquels dépendent d'au moins deux établissements différents.
20. La cour d'appel a pu en déduire que le non-respect des obligations d'information-consultation du comité social et économique de l'établissement de [Localité 6] résultant de cet accord collectif du 24 avril 2019 constituait un trouble manifestement illicite.
21. Le moyen, qui est inopérant en ses deuxième à cinquième branches, n'est pas fondé pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Thales Six GTS France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Thales Six GTS France et la condamne à payer au comité social et économique central de cette société et au comité social et économique de l'établissement de [Localité 6] de la même société la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf mars deux mille vingt-trois.