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15/03/2023 | FRANCE | N°21-12493

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 15 mars 2023, 21-12493


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

SG

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 15 mars 2023

Cassation

M. CHAUVIN, président

Arrêt n° 183 F-D

Pourvoi n° P 21-12.493

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 15 MARS 2023

Mme [R] [F], veuve [W], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi

n° P 21-12.493 contre l'arrêt rendu le 17 décembre 2020 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 2-3), dans le litige l'opposant à Mme [U]...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

SG

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 15 mars 2023

Cassation

M. CHAUVIN, président

Arrêt n° 183 F-D

Pourvoi n° P 21-12.493

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 15 MARS 2023

Mme [R] [F], veuve [W], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° P 21-12.493 contre l'arrêt rendu le 17 décembre 2020 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 2-3), dans le litige l'opposant à Mme [U] [Z], veuve [W], domiciliée [Adresse 2] (Algérie), défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Beauvois, conseiller, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de Mme [F], veuve [W], de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme [Z], veuve [W], et l'avis de Mme Caron-Deglise, avocat général, après débats en l'audience publique du 31 janvier 2023 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Beauvois, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Layemar, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 17 décembre 2020), un jugement algérien du 19 juin 2006 a prononcé le divorce de Mme [Z] et de [I] [W], tous deux de nationalité algérienne.

2. Le 7 octobre 2010, [I] [W], devenu français par décret de réintégration du 28 mai 2009, s'est marié, en Algérie, avec Mme [F], de nationalité algérienne.

3. Après le décès de [I] [W], survenu le 19 avril 2013, Mme [Z] a assigné Mme [F] aux fins de voir ordonner l'exequatur de l'arrêt de la cour d'appel d'Alger du 23 juin 2015 ayant confirmé le mariage coutumier du 20 novembre 2006 et, en conséquence, l'annulation du mariage du 7 octobre 2010.

4. En appel, Mme [Z] n'a maintenu que cette dernière demande.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. Mme [F] fait grief à l'arrêt de prononcer la nullité de son mariage avec [I] [W] et d'ordonner la transcription de la décision en marge des actes d'état civil, alors « que l'efficacité des jugements étrangers concernant l'état des personnes n'est reconnue en France que sous réserve du contrôle de leur régularité internationale ; que, s'agissant des relations entre la France et l'Algérie, la Convention franco-algérienne du 27 août 1964 prévoit, à son article 1er que les décisions contentieuses et gracieuses rendues en matière civile et commerciale par les juridictions siégeant en France ou en Algérie ont de plein droit autorité de la chose jugée sur le territoire de l'autre Etat à condition que la décision émane d'une juridiction compétente selon les règles de compétence internationale du for, que les parties aient été légalement citées, représentées, ou déclarées défaillantes selon la loi de l'Etat où la décision a été rendue, que la décision soit, d'après la loi de l'Etat où elle a été rendue, passée en force de chose jugée et susceptible d'exécution et que la décision ne contienne rien de contraire à l'ordre public de l'Etat où elle est invoquée ; que l'article 4 de cette même Convention prévoit que l'autorité requise doit procéder d'office à la vérification des conditions de reconnaissance prévues à l'article 1er et "doit constater le résultat dans la décision" ; qu'en l'espèce, la cour d'appel s'est bornée, pour prononcer, en application de l'article 147 du code civil, la nullité du mariage conclu le 7 octobre 2010 entre [I] [W] et Mme [F], à admettre l'existence et la validité du mariage coutumier célébré entre [I] [W] et Mme [Z] le 26 novembre 2006, sur le seul constat que " ce mariage a été reconnu par les autorités judiciaires algériennes "; qu'en statuant ainsi, sans vérifier, comme elle y était tenue, la régularité internationale des décisions algériennes sur lesquelles elle fondait sa décision, cependant que ces décisions, en ce qu'elles avaient pour effet de créer une situation de bigamie impliquant un ressortissant français, étaient contraire à l'ordre public international français, la Cour d'appel a violé les articles 1er et 4 de la Convention franco-algérienne du 27 août 1964, ensemble les principes qui régissent la compétence internationale. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

6. Mme [Z] conteste la recevabilité du moyen, comme étant nouveau.

7. Cependant, le moyen est né de la décision attaquée.

8. Il est donc recevable.

Bien fondé du moyen

Vu les articles 1er et 4 de la Convention franco-algérienne du 27 août 1964 :

9. Le dernier de ces textes impose au juge devant qui est invoquée une décision rendue dans l'autre Etat de vérifier, d'office, si celle-ci remplit les conditions prévues à l'article 1er de la convention pour jouir de plein droit de l'autorité de chose jugée et de constater, dans sa propre décision, le résultat de cet examen.

10. Pour prononcer la nullité du mariage célébré le 7 octobre 2010 entre [I] [W] et Mme [F], l'arrêt retient que les autorités de justice algériennes ont reconnu le mariage coutumier contracté le 20 novembre 2006 entre [I] [W] et Mme [Z] et qu'il convient d'en tirer les conséquences, en faisant application de l'article 147 du code civil qui interdit de contracter un second mariage avant la dissolution du premier.

11. En se déterminant ainsi, sans vérifier, comme il le lui incombait, si les conditions exigées pour la reconnaissance des décisions étrangères ayant confirmé le mariage coutumier de [I] [W] et de Mme [Z] étaient réunies, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 17 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;

Condamne Mme [Z] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze mars deux mille vingt-trois.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Alain Bénabent, avocat aux Conseils, pour Mme [F], veuve [W]

Mme [R] [F] fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir prononcé la nullité du mariage célébré le 7 octobre 2010 à [Localité 3] (Algérie) entre [I] [W] et Madame [R] [F] et d'avoir ordonné, en application de l'article 1048 du code de procédure civile, la transcription de la décision en marge des actes d'état civil détenus par le service central d'état civil du ministère des affaires étrangères à [Localité 4], pour les actes détenus par ce service ainsi que sur tout acte d'état civil sur lequel il serait porté.

1°/ ALORS QUE l'efficacité des jugements étrangers concernant l'état des personnes n'est reconnue en France que sous réserve du contrôle de leur régularité internationale ; que, s'agissant des relations entre la France et l'Algérie, la Convention franco-algérienne du 27 août 1964 prévoit, à son article 1er que les décisions contentieuses et gracieuses rendues en matière civile et commerciale par les juridictions siégeant en France ou en Algérie ont de plein droit autorité de la chose jugée sur le territoire de l'autre Etat à condition que la décision émane d'une juridiction compétente selon les règles de compétence internationale du for, que les parties aient été légalement citées, représentées, ou déclarées défaillantes selon la loi de l'Etat où la décision a été rendue, que la décision soit, d'après la loi de l'Etat où elle a été rendue, passée en force de chose jugée et susceptible d'exécution et que la décision ne contienne rien de contraire à l'ordre public de l'Etat où elle est invoquée ; que l'article 4 de cette même Convention prévoit que l'autorité requise doit procéder d'office à la vérification des conditions de reconnaissance prévues à l'article 1er et « doit constater le résultat dans la décision » ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel s'est bornée, pour prononcer, en application de l'article 147 du code civil, la nullité du mariage conclu le 7 octobre 2010 entre [I] [W] et Mme [F], à admettre l'existence et la validité du mariage coutumier célébré entre [I] [W] et Mme [Z] le 26 novembre 2006, sur le seul constat que « ce mariage a été reconnu par les autorités judiciaires algériennes » (v. arrêt, p. 7) ; qu'en statuant ainsi, sans vérifier, comme elle y était tenue, la régularité internationale des décisions algériennes sur lesquelles elle fondait sa décision, cependant que ces décisions, en ce qu'elles avaient pour effet de créer une situation de bigamie impliquant un ressortissant français, étaient contraire à l'ordre public international français, la Cour d'appel a violé les articles 1er et 4 de la Convention franco-algérienne du 27 août 1964, ensemble les principes qui régissent la compétence internationale ;

2°/ ALORS QUE, subsidiairement, même à considérer inapplicable la Convention franco-algérienne du 27 août 1964 à la présente espèce, l'efficacité en France d'une décision de justice étrangère concernant l'état des personnes est, hors toute convention internationale, subordonnée à sa régularité internationale qui impose au juge français de vérifier que la décision remplit les conditions de compétence indirecte du juge étranger fondée sur le rattachement du litige au for saisi, de conformité à l'ordre public international de fond et de procédure et d'absence de fraude ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel s'est bornée, pour prononcer, en application de l'article 147 du code civil, la nullité du mariage conclu le 7 octobre 2010 entre [I] [W] et Mme [F], à admettre l'existence et la validité du mariage coutumier célébré entre [I] [W] et Mme [Z] le 26 novembre 2006, sur le seul constat que « ce mariage a été reconnu par les autorités judiciaires algériennes » (v. arrêt, p. 7) ; qu'en statuant ainsi, sans vérifier, comme elle y était tenue, la régularité internationale des décisions algériennes sur lesquelles elle fondait sa décision, cependant que ces décisions, en ce qu'elles avaient pour effet de créer une situation de bigamie impliquant un ressortissant français, étaient contraires à l'ordre public international français, la Cour d'appel a violé l'article 509 du code de procédure civile, ensemble les principes qui régissent la compétence internationale ;

3°/ ALORS QUE, en tout état de cause, le prononcé de la nullité d'un mariage célébré il y a dix ans, sur le fondement de l'article 147 du Code civil, porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale du conjoint survivant, lorsque la prétendue situation de bigamie est née de la reconnaissance judiciaire d'un mariage coutumier, intervenue postérieurement à la célébration du mariage contesté ; qu'en l'espèce, en prononçant la nullité du mariage de Mme [R] [F] et [I] [W], célébré en Algérie le 7 octobre 2010 et retranscrit sur les registres de l'état civil français, aux motifs que ce dernier avait contracté un mariage coutumier le 20 novembre 2006 avec Mme [U] [Z], rendu opposable seulement à compter de sa reconnaissance, en 2015, par les autorités judiciaires algériennes, sur demande de Mme [Z] aux seules fins de bénéficier de la qualité d'héritière à la succession de [I] [W], la Cour d'appel a violé l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme du 4 novembre 1950.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 21-12493
Date de la décision : 15/03/2023
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 17 décembre 2020


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 15 mar. 2023, pourvoi n°21-12493


Composition du Tribunal
Président : M. Chauvin (président)
Avocat(s) : SCP Alain Bénabent , SCP Thouvenin, Coudray et Grévy

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2023:21.12493
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