LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 9 mars 2023
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 181 F-D
Pourvoi n° V 21-16.064
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 MARS 2023
M. [O] [S], domicilié [Adresse 3], a formé le pourvoi n° V 21-16.064 contre l'arrêt rendu le 20 mai 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 3), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [U] [N], domicilié [Adresse 2],
2°/ à Mme [V] [R], épouse [X], domiciliée [Adresse 4],
3°/ à Mme [B] [X], épouse [J], domiciliée [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
M. [N] et Mmes [R] et [X] ont formé, par un mémoire déposé au greffe, un pourvoi incident contre le même arrêt ;
Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation annexé au présent arrêt ;
Les demandeurs au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Davoine, conseiller référendaire, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de M. [S], de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat de M. [N] et de Mmes [R] et [X], après débats en l'audience publique du 24 janvier 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Davoine, conseiller référendaire rapporteur, Mme Andrich, conseiller, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 mai 2020), le 22 juin 2005, M. [N] et Mmes [R] et [X] (les bailleurs), propriétaires de locaux commerciaux donnés à bail à M. [S] (le locataire), lui ont délivré un congé avec offre de renouvellement à effet au 1er janvier 2006, avant de lui signifier le 24 février 2010 un acte de rétractation de l'offre de renouvellement.
2. Le 12 juillet 2011, le locataire a assigné les bailleurs en fixation d'une indemnité d'éviction.
3. Le 19 juin 2015, les bailleurs ont exercé leur droit de repentir.
Examen des moyens
Sur le second moyen du pourvoi incident, ci-après annexé
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
5. Le locataire fait grief à l'arrêt de juger régulier l'exercice par les bailleurs de leur droit de repentir et de rejeter sa demande en paiement d'une indemnité d'éviction, alors « que le propriétaire peut, jusqu'à l'expiration d'un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle la décision est passée en force de chose jugée, se soustraire au paiement de l'indemnité d'éviction, à charge par lui de supporter les frais de l'instance et de consentir au renouvellement du bail dont les conditions, en cas de désaccord, sont fixées conformément aux dispositions réglementaires prises à cet effet ; que le délai d'exercice du droit de repentir commence à courir quinze jours après la décision condamnant le bailleur à payer une indemnité d'éviction est passée en force de chose jugée et non pas celle qui en fixe le montant ; qu'en jugeant que, bien que le texte ne le précise pas, il est communément admis que la décision à laquelle le texte fait référence n'est pas la décision qui reconnaît le principe au droit à indemnité d'éviction, mais celle qui en fixe le montant, et que le délai de l'article L. 145-58 du code de commerce était un délai ultime d'exercice de ce droit, les bailleurs peuvent l'exercer antérieurement, pour juger qu'était valable et devait porter effet le droit de repentir exercé après le dépôt du rapport d'expertise, mais avant la fixation du montant de l'indemnité par une décision de justice passée en force de chose jugée, la cour d'appel a violé l'article L. 145-58 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
6. La cour d'appel a exactement énoncé que la décision visée à l'article L. 145-58 du code de commerce, qui, une fois passée en force de chose jugée, ouvre un ultime délai de quinze jours au propriétaire pour exercer son droit de repentir, n'est pas celle qui reconnaît en son principe le droit du locataire au paiement d'une indemnité d'éviction, mais celle qui en fixe le montant.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le premier moyen du pourvoi incident
Enoncé du moyen
8. Les bailleurs font grief à l'arrêt de les condamner à payer au locataire une certaine somme en réparation du préjudice résultant de la suppression de l'accès aux WC situés dans la cour, alors « que le juge ne peut statuer ultra petita, au détriment notamment des termes du litige tels qu'ils sont déterminés par les prétentions respectives des parties ; qu'en l'espèce, le preneur n'avait jamais formulé dans le dispositif de ses conclusions, que ce soit celles de première instance ou celles d'appel, une quelconque demande en indemnisation fondée sur les difficultés qu'il aurait rencontrées pour accéder aux commodités des lieux loués ; qu'en décidant que cette difficulté pratique à laquelle se heurtait le preneur ne faisait pas obstacle au droit de repentir des bailleurs, mais qu'il lui ouvrait droit à indemnisation, la cour d'appel a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile, ensemble le principe selon lequel le juge ne peut statuer ultra petita. »
Réponse de la Cour
9. Le locataire ayant demandé, à titre subsidiaire, la condamnation des bailleurs à lui verser des dommages-intérêts en réparation du préjudice découlant de la suppression de l'accès aux WC, la cour d'appel, qui n'a pas modifié les termes du litige, n'a pas statué ultra petita.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf mars deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour M. [S] (demandeur au pourvoi principal)
M. [S] FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué D'AVOIR confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a dit régulier le repentir exercé par M. [U] [N], Mme [V] [R] épouse [X] et [C] [L], aux droits desquels viennent M. [U] [N], Mmes [V] [R] épouse [X] et [B] [X] épouse [J] le 19 juin 2015 et DE L'AVOIR débouté de sa demande que soient condamnés les ayants droits de Mme [C] [N] née [L] décédée le 4 juin 2016, soit M. [U] [N], Mm. [V] [X] née [R] et Mme [B] [J] née [X] conjointement et solidairement, au paiement d'une indemnité d'éviction au montant de 150 000 euros toute cause de préjudice confondue ;
ALORS QUE le propriétaire peut, jusqu'à l'expiration d'un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle la décision est passée en force de chose jugée, se soustraire au paiement de l'indemnité d'éviction, à charge par lui de supporter les frais de l'instance et de consentir au renouvellement du bail dont les conditions, en cas de désaccord, sont fixées conformément aux dispositions réglementaires prises à cet effet ; que le délai d'exercice du droit de repentir commence à courir quinze jours après la décision condamnant le bailleur à payer une indemnité d'éviction est passée en force de chose jugée et non pas celle qui en fixe le montant ; qu'en jugeant que « [b]ien que le texte ne le précise pas, il est communément admis que la décision à laquelle le texte fait référence n'est pas la décision qui reconnaît le principe au droit à indemnité d'éviction, mais celle qui en fixe le montant, et que le délai de l'article L. 145-58 du code de commerce était un délai ultime d'exercice de ce droit, les bailleurs peuvent l'exercer antérieurement » (p. 6 de l'arrêt attaqué) pour juger qu'était valable et devait porter effet le droit de repentir exercé par M. [U] [N], Mme [V] [R] épouse [X] et [C] [L], aux droits desquels viennent M. [U] [N], Mmes [V] [R] épouse [X] et [B] [X] épouse [J] après le dépôt du rapport d'expertise, mais avant la fixation du montant de l'indemnité par une décision de justice passée en force de chose jugée, la cour d'appel a violé l'article L. 145-58 du code de commerce. Moyens produits par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat aux Conseils, pour M. [N] et Mmes [R] et [X] (demandeurs au pourvoi incident)
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Les exposants (bailleurs) font grief à l'arrêt attaqué d'avoir ajouté, après confirmation du jugement qui lui était déféré, l'octroi d'une indemnité de 10.000 euros au profit de M. [S] (preneur) en réparation du préjudice lié au fait que celui-ci se serait trouvé privé au cours du bail d'accéder aux commodités afférentes aux lieux loués, et de les avoir en outre condamnés aux dépens d'appel ainsi qu'à une somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
ALORS QUE le juge ne peut statuer ultra petita, au détriment notamment des termes du litige tels qu'ils sont déterminés par les prétentions respectives des parties ; qu'en l'espèce, le preneur n'avait jamais formulé dans le dispositif de ses conclusions, que ce soit celles de première instance ou celles d'appel, une quelconque demande en indemnisation fondée sur les difficultés qu'il aurait rencontrées pour accéder aux commodités des lieux loués ; qu'en décidant que cette difficulté pratique à laquelle se heurtait le preneur ne faisait pas obstacle au droit de repentir des bailleurs, mais qu'il lui ouvrait droit à indemnisation, la cour d'appel a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile, ensemble le principe selon lequel le juge ne peut statuer ultra petita.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Les exposants (bailleurs) font grief à l'arrêt attaqué d'avoir ajouté, après confirmation du jugement qui lui était déféré, l'octroi d'une indemnité de 10.000 euros au profit de M. [S] (preneur) en réparation du préjudice lié au fait que celui-ci se serait trouvé privé au cours du bail d'accéder aux commodités afférentes aux lieux loués, et de les avoir en outre condamnés aux dépens d'appel ainsi qu'à une somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Alors que la simple autorisation donnée par les bailleurs au preneur d'utiliser les WC afférents aux lieux loués, lorsque ces WC ne sont pas compris dans l'assiette du bien donné à bail et que leur suppression ultérieure ne rend pas impossible la cession du fonds de commerce, constitue une mesure à laquelle les premiers peuvent, sans avoir à se justifier, mettre fin sans accord du second ; qu'en l'espèce, les juges du fond ont considéré que les WC litigieux n'appartenaient pas à l'assiette des lieux loué, et que s'ils constituaient un accessoire indispensable au bien, sa suppression ne rendait néanmoins pas impossible la cession du fonds de commerce ; qu'en décidant néanmoins que les bailleurs avaient commis une faute en mettant fin à la simple autorisation d'autoriser le preneur à utiliser les commodités, sans l'accord de ce dernier, la cour d'appel a violé l'article 1334 du code civil (devenu l'article 1103 du code civil).