LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 15 février 2023
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 134 FS-B
Pourvoi n° C 21-13.288
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 15 FÉVRIER 2023
La société Orefa, société à responsabilité limitée de droit luxembourgeois, dont le siège est [Adresse 3] (Luxembourg), élisant domicile au cabinet GRV associés, [Adresse 2], a formé le pourvoi n° C 21-13.288 contre l'ordonnance rendue le 3 mars 2021 par le premier président de la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 15), dans le litige l'opposant au directeur général des finances publiques, représenté par l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction nationale d'enquêtes fiscales, domicilié [Adresse 5], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lion, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Orefa, de la SCP Foussard et Froger, avocat du directeur général des finances publiques, représenté par l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction nationale d'enquêtes fiscales, et l'avis de Mme Gueguen, premier avocat général, à la suite duquel le président a demandé aux avocats s'ils souhaitaient présenter des observations complémentaires, après débats en l'audience publique du 3 janvier 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Lion, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, Mmes Graff-Daudret, Daubigney, M. Ponsot, Mmes Fèvre, Ducloz, M. Alt, conseillers, MM. Guerlot, Blanc, Mmes Lefeuvre, Tostain, M. Maigret, conseillers référendaires, Mme Gueguen, premier avocat général, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Paris, 3 mars 2021), un juge des libertés et de la détention (JLD) a, sur le fondement de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, autorisé des agents de l'administration fiscale à effectuer des visites et saisies dans des locaux situés [Adresse 4] et/ou à [Localité 6], susceptibles d'être occupés, notamment, par la société Orefi orientale et financière et/ou la société Vente-privée.com et/ou la société de droit luxembourgeois Orefa et/ou toute entité du groupe informel dirigé directement ou indirectement par M. [J], et [Adresse 1], susceptibles d'être occupés par M. et Mme [J] et/ou Mme [E] [R] et/ou la société Orefa, en vue de rechercher la preuve de la commission, par la société Orefa, d'une fraude fiscale. Les opérations se sont déroulées le 27 juin 2019.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches
Enoncé du moyen
3. La société Orefa fait grief à l'ordonnance de confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance d'autorisation de visite et saisies du 26 juin 2019 et de déclarer régulières les opérations de visites et saisies subséquentes, alors :
« 2°/ qu'une visite domiciliaire ne satisfait aux exigences de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qu'à la condition que la loi qui l'autorise précise en termes clairs et de manière suffisante en quelles circonstances et sous quelles conditions elle habilite la puissance publique à recourir à des mesures affectant l'inviolabilité du domicile ; que l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales n'autorise une visite domiciliaire qu'en cas d'omission volontaire de passer des écritures comptables ; qu'en considérant au contraire que des présomptions relevant des articles 1741 et 1743 du code général des impôts pouvaient fonder une autorisation de visite et saisies ou encore que le juge pouvait retenir le défaut de souscription des déclarations fiscales comme constituant un indice de l'omission de passation des écritures comptables et des présomptions d'agissements visés par la loi, justifiant la mesure autorisée sans exiger un élément intentionnel, la conseillère déléguée, qui a étendu le champ d'application de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales au-delà des prévisions expresses de la loi, a violé l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
3°/ que l'obligation pour une société domiciliée dans un autre Etat membre de l'Union européenne de tenir également une comptabilité en France, pays d'un établissement stable supposé, constitue une contrainte discriminatoire contraire aux principes de non-discrimination et de liberté d'établissement ; que si la lutte contre la fraude fiscale peut, par dérogation, justifier que, dans certaines conditions, des règles soient spécialement imposées aux seules sociétés ayant leur siège social dans un autre Etat membre, une présomption générale d'évasion ou de fraude fiscale ne peut jamais suffire à justifier une mesure qui porte atteinte aux objectifs du traité ; qu'en affirmant au contraire qu'une simple présomption d'absence de déclaration en France suffisait à justifier une visite domiciliaire à l'encontre d'une société domiciliée dans un autre Etat membre et qu'il importait peu que la société tienne une comptabilité régulière dans le pays de son siège social, la conseillère déléguée a violé les articles 18 et 49 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) ;
4°/ que l'obligation pour une société domiciliée dans un autre Etat membre de l'Union européenne de tenir également une comptabilité en France, pays d'un établissement stable supposé, constitue une contrainte discriminatoire contraire aux principes de non-discrimination et de liberté d'établissement ; que si la lutte contre la fraude fiscale peut, par dérogation, justifier que dans certaines conditions, des règles soient spécialement imposées aux seules sociétés ayant leur siège social dans un autre Etat membre, une présomption générale d'évasion ou de fraude fiscale ne peut jamais suffire à justifier une mesure qui porte atteinte aux objectifs du traité ; qu'en considérant qu'une simple présomption de fraude fiscale suffisait à justifier une visite domiciliaire à l'encontre d'une société régulièrement domiciliée dans un autre Etat membre ou encore que le juge autorisant la saisie n'était pas compétent pour apprécier si la société domiciliée dans un autre Etat membre disposait ou non d'un établissement stable en France, la conseillère déléguée a établi une présomption générale de fraude fiscale, en violation des articles 18 et 49 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). »
Réponse de la Cour
4. Une société de droit étranger est tenue, lorsqu'elle exerce une activité en France par l'intermédiaire d'un établissement stable, aux obligations résultant des articles 54, 209 et 286, I, 3°, du code général des impôts, qui exigent la passation d'écritures comptables permettant de justifier des opérations imposables en France, de sorte que lorsqu'elle a méconnu ses obligations déclaratives, elle peut être présumée avoir omis sciemment de passer ou de faire passer des écritures ou avoir passé ou fait passer sciemment des écritures inexactes ou fictives dans des documents comptables dont la tenue est imposée par le code général des impôts.
5. En premier lieu, l'ordonnance relève, par motifs propres et adoptés, que la société Orefa, qui a pour objet social l'acquisition, l'aliénation, la gestion et la valorisation de participations, d'oeuvres d'art et d'avions, ne disposerait pas, au Luxembourg, de moyens matériels et humains suffisants pour mettre en oeuvre cet objet social, qu'elle disposerait, en France, de sa détention capitalistique mais également de sa direction effective, et qu'elle y exercerait une activité professionnelle consistant notamment en la location d'oeuvres d'art et d'aéronefs et qu'elle n'est pas répertoriée dans la base nationale des données déclaratives et de paiement des entreprises de la direction générale des finances publiques, intitulée « compte fiscal des professionnels ». Elle retient, par motifs propres et adoptés, qu'il peut être présumé que cette société exerce, sur le territoire français, une activité professionnelle sans avoir comptabilisé les recettes provenant de cette activité au titre des années 2009 à 2014 et sans souscrire les déclarations fiscales correspondantes et, ainsi, qu'elle omet de passer, en France, les écritures comptables y afférentes.
6. De ces constatations et appréciations, et abstraction faite des motifs surabondants, critiqués par la deuxième branche, le premier président, qui n'avait pas à caractériser l'élément intentionnel de l'omission de passation des écritures comptables, a pu déduire l'existence de présomptions d'agissements entrant dans le champ d'application de l'article L. 16 B à l'encontre de la société Orefa.
7. En second lieu, après avoir relevé que l'administration fiscale ne reprochait pas à la société Orefa de tenir sa comptabilité au Luxembourg, mais d'exercer une activité sur le territoire national sans respecter ses obligations comptables en France, le premier président a retenu, à bon droit, que la mise en oeuvre de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales n'entraînait pas la violation des principes de liberté d'établissement et de non-discrimination des sociétés au sein de l'Union européenne, dès lors que ce texte ne constitue pas une mesure fiscale interdisant, gênant ou rendant moins attrayant l'exercice de la liberté d'établissement, en ce qu'il n'impose aucune obligation particulière aux contribuables, et qu'aucune disposition nationale n'exige des sociétés domiciliées dans un autre Etat membre de l'Union qui exercent une activité taxable en France par l'intermédiaire d'un établissement stable qu'elles tiennent une comptabilité complète en France, établie selon la réglementation nationale et conservée sur le territoire national, le code général des impôts prévoyant seulement qu'elles passent certaines écritures comptables permettant de justifier des opérations imposables qu'elles réalisent en France.
8. Par conséquent, le moyen, pour partie inopérant, n'est pas fondé pour le surplus.
9. Et en l'absence de doute raisonnable quant à l'interprétation du droit de l'Union européenne sur les questions soulevées par le moyen, il n'y a pas lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Orefa aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Orefa et la condamne à payer au directeur général des finances publiques, représenté par l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction nationale d'enquêtes fiscales, la somme de 2 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quinze février deux mille vingt-trois.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société Orefa.
La société luxembourgeoise OREFA fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir confirmé en toutes ses dispositions l'ordonnance d'autorisation de visite et saisie du 26 juin 2019 et déclaré régulières les opérations de visites et saisies subséquentes ;
1°) ALORS QUE les dispositions de l'article L 16B du livre des procédures fiscales, telles qu'interprétées par la Cour de cassation, sont contraires aux articles 34 et 66 de la Constitution, ainsi qu'aux articles 3, 5, 6, 8 et 16 et de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 en tant qu'elles aboutissent à considérer qu'une ordonnance d'autorisation de visite et saisie est légalement justifiée non seulement lorsque le juge judiciaire constate l'existence de l'un des agissements mentionnés par l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, « mais aussi lorsque sont constatées des présomptions d'agissements ou manquements relevant des articles 1741 ou 1743 du code général des impôts », ou encore que le juge qui autorise une visite n'a pas à rechercher le caractère intentionnel des agissements frauduleux, procédant ainsi à une extension manifeste du champ d'application d'une telle mesure au-delà des prévisions expresses du législateur ; que l'annulation par le Conseil constitutionnel saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité, en application de l'article 61-1 de la Constitution, de l'article L 16 B du livre des procédures fiscales, tel qu'interprété par la Cour de cassation, privera de base légale l'ordonnance attaquée ;
2°) ALORS QU'une visite domiciliaire ne satisfait aux exigences de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme qu'à la condition que la loi qui l'autorise précise en termes clairs et de manière suffisante en quelles circonstances et sous quelles conditions elle habilite la puissance publique à recourir à des mesures affectant l'inviolabilité du domicile ; que l'article L 16 B du livre des procédures fiscales n'autorise une visite domiciliaire qu'en cas d'omission volontaire de passer des écritures comptables ; qu'en considérant au contraire que des présomptions relevant des articles 1741 et 1743 du code général des impôts pouvaient fonder une autorisation de visite et saisie ou encore que le juge pouvait retenir le défaut de souscription des déclarations fiscales comme constituant un indice de l'omission de passation des écritures comptables et des présomptions d'agissements visés par la loi justifiant la mesure autorisée sans exiger un élément intentionnel, la conseillère déléguée qui a étendu le champ d'application de l'article L 16 B du livre des procédures fiscales au-delà des prévisions expresses de la loi, a violé l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
3°) ALORS QUE l'obligation pour une société domiciliée dans un autre Etat membre de l'Union européenne de tenir également une comptabilité en France, pays d'un établissement stable supposé, constitue une contrainte discriminatoire contraire aux principes de non-discrimination et de liberté d'établissement ; que si la lutte contre la fraude fiscale peut, par dérogation, justifier que, dans certaines conditions, des règles soient spécialement imposées aux seules sociétés ayant leur siège social dans un autre Etat membre, une présomption générale d'évasion ou de fraude fiscale ne peut jamais suffire à justifier une mesure qui porte atteinte aux objectifs du traité ; qu'en affirmant au contraire qu'une simple présomption d'absence de déclaration en France suffisait à justifier une visite domiciliaire à l'encontre d'une société domiciliée dans un autre Etat membre et qu'il importait peu que la société tienne une comptabilité régulière dans le pays de son siège social, la conseillère déléguée a violé les articles 18 et 49 du TFUE ;
4°) ALORS QUE l'obligation pour une société domiciliée dans un autre Etat membre de l'Union européenne de tenir également une comptabilité en France, pays d'un établissement stable supposé, constitue une contrainte discriminatoire contraire aux principes de non-discrimination et de liberté d'établissement ; que si la lutte contre la fraude fiscale peut, par dérogation, justifier que dans certaines conditions, des règles soient spécialement imposées aux seules sociétés ayant leur siège social dans un autre Etat membre, une présomption générale d'évasion ou de fraude fiscale ne peut jamais suffire à justifier une mesure qui porte atteinte aux objectifs du traité ; qu'en considérant qu'une simple présomption de fraude fiscale suffisait à justifier une visite domiciliaire à l'encontre d'une société régulièrement domiciliée dans un autre Etat membre ou encore que le juge autorisant la saisie n'était pas compétent pour apprécier si la société domiciliée dans un autre Etat membre disposait ou non d'un établissement stable en France, la conseillère déléguée a établi une présomption générale de fraude fiscale, en violation des articles 18 et 49 du TFUE.