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15/02/2023 | FRANCE | N°21-12975

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 15 février 2023, 21-12975


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

CH9

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 15 février 2023

Cassation partielle

Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 148 F-D

Pourvoi n° N 21-12.975

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 15 FÉVRIER 2023

M. [C] [F], domicilié [Ad

resse 2], a formé le pourvoi n° N 21-12.975 contre l'arrêt rendu le 14 janvier 2021 par la cour d'appel de Caen (chambre sociale, section 1), dans...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

CH9

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 15 février 2023

Cassation partielle

Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 148 F-D

Pourvoi n° N 21-12.975

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 15 FÉVRIER 2023

M. [C] [F], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° N 21-12.975 contre l'arrêt rendu le 14 janvier 2021 par la cour d'appel de Caen (chambre sociale, section 1), dans le litige l'opposant à la société Tokheim Sofitam applications, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Douxami, conseiller, les observations de la SCP Didier et Pinet, avocat de M. [F], de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Tokheim Sofitam applications, après débats en l'audience publique du 4 janvier 2023 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Douxami, conseiller rapporteur, M. Pietton, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 14 janvier 2021), M. [F] a été engagé par la société Tokheim Sofitam applications (la société) à compter du 15 mai 2002 et occupait en dernier lieu les fonctions de directeur de la coordination internationale DBU unité budgétaire.

2. Après avoir adhéré le 25 avril 2017 au contrat de sécurisation professionnelle qui lui avait été proposé, il a saisi la juridiction prud'homale pour contester la rupture de son contrat de travail et obtenir paiement de diverses sommes à ce titre et pour harcèlement moral.

Examen des moyens

Sur les premier et deuxième moyens, ci-après annexés

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le troisième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral, alors « que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral, à charge pour l'employeur, le cas échéant, de prouver que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; que pour débouter M. [F] de sa demande au titre du harcèlement moral, la cour d'appel a procédé à une appréciation séparée des éléments présentés par le salarié, en examinant pour chacun d'eux les éléments avancés par l'employeur pour les justifier ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si les éléments invoqués par le salarié, pris dans leur ensemble, ne permettaient pas de présumer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, si l'employeur prouvait que les agissements invoqués étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, la cour d'appel a violé l'article L. 1154-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail :

5. Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit
subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter
atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale
ou de compromettre son avenir professionnel. En vertu de l'article L. 1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement ; au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

6. Il résulte de ces dispositions que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

7. Sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.

8. Pour débouter le salarié de sa demande au titre du harcèlement moral, l'arrêt, après avoir constaté l'absence de matérialité de certains des faits invoqués par le salarié, retient que celui-ci ne s'explique pas sur le lien entre l'organigramme présenté comme étant celui de Dover Fueling solutions avec la société qui est son employeur, ce dernier versant quant à lui un autre organigramme dans lequel le salarié est présenté comme « directeur coordination internationale industrielle dispenser ».

9. Il relève ensuite que les échanges de courriels dont se prévaut le salarié, émanent de son supérieur hiérarchique lequel a usé de son pouvoir de direction quant aux projets en cours et à ses sollicitations.

10. Il ajoute que les propos que Mme [L] a tenus à son égard résultent d'un compte-rendu du témoin du salarié à l'entretien préalable et d'une attestation de M. [J] qui ont une valeur probante toute relative, en ce que M. [J] se borne à attester qu'il a assisté le salarié et que les deux autres compte-rendus ont été rédigés par le salarié lui-même sans être corroborés par aucun autre élément matériel. Il retient encore que s'agissant des entretiens informels dont le salarié fait état dans ses conclusions, celui-ci ne fournit aucune pièce et il conclut que le grief tenant aux comportements humiliants tenus à son égard par la directrice des ressources humaines, n'est donc pas établi matériellement.

11. Enfin, il relève que s'agissant des bonus de 2016 et 2017, le salarié ne pouvait pas prétendre à la totalité des sommes réclamées en raison des éléments de rémunération qu'il incluait à tort dans l'assiette de calcul de la prime ou de ce qu'il n'aurait pu prétendre pour 2017 qu'à un versement prorata temporis de cette prime, même si la société ne justifiait pas de la non-atteinte des objectifs collectifs et individuels.

12. En statuant ainsi, en procédant à une analyse séparée de chaque élément invoqué par le salarié et en examinant pour chacun d'eux les éléments avancés par l'employeur pour les justifier, alors qu'il lui appartenait de dire si, pris dans leur ensemble, les éléments matériellement établis et les certificats médicaux laissaient présumer l'existence d'un harcèlement moral, et dans l'affirmative, d'apprécier les éléments de preuve fournis par l'employeur pour démontrer que les mesures en cause étaient étrangères à tout harcèlement moral, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [F] de sa demande en dommages-intérêts pour harcèlement moral, l'arrêt rendu le 14 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rouen ;

Condamne la société Tokheim Sofitam applications aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Tokheim Sofitam applications et la condamne à payer à M. [F] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quinze février deux mille vingt-trois.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SCP Didier et Pinet, avocat aux Conseils, pour M. [F]

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

M. [F] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré irrecevable sa demande additionnelle au titre du rappel de bonus pour 2016 et 2017 et de l'AVOIR en conséquence débouté de sa demande de rappel d'indemnité conventionnelle de licenciement et d'AVOIR limité le montant du rappel d'indemnité compensatrice de préavis à la somme de 33.847,17 euros et celui des congés payés y afférents à celle de 3.384,71 ;

1°) ALORS QUE la demande additionnelle est recevable lorsqu'elle se rattache aux prétentions originaires par un lien suffisant ; qu'en déclarant irrecevable la demande de rappel de salaire formée par M. [F] au titre du bonus pour les années 2016 et 2017, quand elle constatait que le salarié « argu[ait] de ce que le calcul des indemnités de rupture implique d'y inclure les rémunérations variables » et qu'il invoquait la privation de bonus comme élément laissant supposer la situation de harcèlement moral dénoncée, ce dont il résultait l'existence d'un lien suffisant entre sa demande de rappel de bonus et ses demandes initiales en paiement de dommages et intérêts pour harcèlement moral et d'un complément d'indemnité conventionnelle, la cour d'appel a violé l'article 70 du code de procédure civile ;

2°) ET ALORS, subsidiairement, QUE les parties peuvent toujours, en cause d'appel, ajouter aux prétentions soumises aux premiers juges les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence, ou le complément ; qu'en déclarant irrecevable la demande de rappel de salaire formée par M. [F] au titre du bonus pour les années 2016 et 2017, quand cette demande constituait l'accessoire, la conséquence et le complément de ses demandes initiales en paiement de dommages et intérêts pour harcèlement moral et d'un complément d'indemnité conventionnelle, la cour d'appel a violé l'article 564 du code de procédure civile en sa rédaction issue du décret 2009-1524 du 9 décembre 2009 et l'article 566 du code de procédure civile en sa rédaction issue du décret 2017-891 du 6 mai 2017.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :

M. [F] fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR débouté de sa demande au titre de l'indemnité supra-conventionnelle de licenciement ;

1°) ALORS QUE le versement de l'avantage prévu par l'engagement unilatéral de volonté est soumis aux seules conditions fixées par celui-ci ; que, lors de la réunion de la délégation unique du personnel du 13 mars 2017, l'employeur « a pris l'engagement de faire bénéficier à chaque salarié concerné par le projet [de licenciement], en cas de départ de la société, d'une majoration de l'indemnité de licenciement et/ou du financement d'une action de formation, et/ou du financement d'une action d'outplacement, et/ou d'une aide à la création d'entreprise dont la valeur brute pourrait être comprise entre 20.000 € et 50.000 €, selon l'annonce qui a été formulée lors de la réunion du 24 février 2017. Les salariés pourront prendre contact avec la direction des ressources humaines et évoquer les conditions d'utilisation de cette enveloppe. Différentes options pourront être envisagées selon le projet que chacun présentera, notamment : outplacement, bénéfices de formations, majoration de l'indemnité de licenciement, aide à la création d'entreprise » (cf. production n° 4, p. 2 § 13 et suiv.) ; que, pour débouter M. [F] de sa demande au titre de l'indemnité supra-conventionnelle de licenciement, la cour d'appel a retenu que le salarié ne démontrait pas avoir remis à l'employeur un projet d'outplacement, de formation ou de création d'entreprise ; qu'en statuant ainsi, quand le bénéfice d'une enveloppe comprise entre 20.000 et 50.000 euros était acquis, pour chaque salarié concerné par la procédure de licenciement pour motif économique, à la seule condition qu'il quitte l'entreprise, seules les modalités d'utilisation de cette enveloppe dépendant du projet présenté par le salarié, la cour d'appel a violé l'article 1101-1 du code civil en sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

2°) ET ALORS QU'en retenant que le versement d'une indemnité supra-conventionnelle de licenciement ne constituait qu'une des options d'aide présentées par l'employeur en cas de départ de l'entreprise, quand il appartenait à l'employeur de démontrer qu'il avait permis à M. [F] de bénéficier d'un service d'outplacement, de formations, d'une majoration de l'indemnité de licenciement ou d'une aide à la création d'entreprise pour un montant équivalent à celui de l'enveloppe qui lui était allouée, la cour d'appel a derechef violé l'article 1101-1 du code civil en sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION :

M. [F] fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR débouté de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

1°) ALORS QUE, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral, à charge pour l'employeur, le cas échéant, de prouver que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; que pour débouter M. [F] de sa demande au titre du harcèlement moral, la cour d'appel a procédé à une appréciation séparée des éléments présentés par le salarié, en examinant pour chacun d'eux les éléments avancés par l'employeur pour les justifier ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si les éléments invoqués par le salarié, pris dans leur ensemble, ne permettaient pas de présumer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, si l'employeur prouvait que les agissements invoqués étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, la cour d'appel a violé l'article L. 1154-1 du code du travail ;

2°) ET ALORS, subsidiairement, QU'en écartant tout harcèlement moral, motifs pris que « le refus de M. [Y] à sa proposition d'aide pour résoudre des problèmes d'approvisionnement là encore, au vu des échanges de courriels du 14 novembre 2016, le supérieur hiérarchique a décliné en termes courtois cette proposition dont l'acceptation ou le refus relevait de son pouvoir de direction » et que « M. [Y] a usé de son pouvoir de direction quant aux projets en cours et aux sollicitations de M. [F] », quand le seul exercice du pouvoir de direction de l'employeur ne peut suffire à justifier des faits de harcèlement, la cour d'appel a violé les articles L. 1152-1, L. 1152-2 et L. 1154-1 du code du travail.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21-12975
Date de la décision : 15/02/2023
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Caen, 14 janvier 2021


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 15 fév. 2023, pourvoi n°21-12975


Composition du Tribunal
Président : Mme Mariette (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Didier et Pinet, SCP Waquet, Farge et Hazan

Origine de la décision
Date de l'import : 21/02/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2023:21.12975
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