LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
CM/LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 9 février 2023
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 151 F-D
Pourvoi n° X 20-17.143
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 FÉVRIER 2023
La caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 10]-[Localité 11], dont le siège est [Adresse 6], ayant un établissement [Adresse 4], a formé le pourvoi n° X 20-17.143 contre les arrêts rendus les 14 mars 2019 et 7 mai 2020 par la cour d'appel de Douai (3e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [N] [K], veuve [X], domiciliée [Adresse 8],
2°/ à M. [V] [X], domicilié [Adresse 7],
3°/ à Mme [W] [X], domiciliée [Adresse 5],
4°/ à Mme [I] [X], domiciliée [Adresse 7],
tous quatre pris en qualité d'héritiers de [P] [X], décédé le [Date décès 3] 2020,
5°/ à l'établissement public Métropole européenne de [Localité 9], dont le siège est [Adresse 2], venant aux droits du syndicat mixte Espace naturel [Localité 9] métropole,
6°/ à la société Smacl assurances, société d'assurances mutuelles, dont le siège est [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Pradel, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 10]-[Localité 11], de la SCP Gaschignard, avocat de l'établissement public Métropole européenne de [Localité 9] et de la société Smacl assurances, et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 janvier 2023 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Pradel, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Déchéance du pourvoi, en ce qu'il est dirigé contre l'arrêt du 14 mars 2019
1. La caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 10]-[Localité 11] (la caisse) s'est pourvue en cassation contre l'arrêt du 14 mars 2019 de la cour d'appel de Douai, mais son mémoire ne contient aucun moyen contre cette décision.
2. Dès lors, après avis donné aux parties, il y a lieu de constater la déchéance du pourvoi, en ce qu'il est dirigé contre cet arrêt.
Faits et procédure
3. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 7 mai 2020), le 18 avril 2010, [P] [X] a été grièvement blessé à la suite d'une chute d'une calèche dans un parc de loisirs géré par le syndicat mixte Espace naturel [Localité 9] métropole.
4. Les 4 et 6 avril 2017, la caisse a assigné devant un tribunal de grande instance le syndicat mixte Espace naturel [Localité 9] métropole, propriétaire de la calèche, la société Smacl assurances, son assureur, et la victime, représentée par Mme [N] [K], son épouse et tutrice, afin d'obtenir la condamnation in solidum des deux premiers à lui rembourser les débours exposés à la suite de cet accident.
5. À la suite du décès de [P] [X], survenu le [Date décès 3] 2020, la caisse a appelé à l'instance suivie devant la Cour de cassation, Mme [N] [K], veuve [X], M. [V] [X], Mme [W] [X] et Mme [I] [X], en leur qualité d'héritiers de [P] [X].
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. La caisse fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande de condamnation in solidum de la société Smacl assurances et de l'établissement public Métropole européenne de [Localité 9], venant aux droits du syndicat mixte Espace naturel [Localité 9] métropole, à lui verser la somme de 515 487,55 euros au titre de ses débours définitifs, avec intérêts au taux légal à compter du 7 avril 2017, sur la somme de 423 812,68 euros, et à compter du 22 février 2018, sur la somme de 91 674,87 euros, et de la débouter du surplus de ses demandes, alors « que le juge ne peut refuser de réparer le dommage dont il a constaté l'existence en son principe, motif pris de l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties ; qu'en l'espèce, d'une part, la cour d'appel a estimé que la Métropole européenne de [Localité 9] était responsable du préjudice subi par [P] [X] qui avait été victime d'un grave accident le 18 avril 2010 ayant immédiatement provoqué son hospitalisation tandis que, d'autre part, il n'était pas contesté que les frais d'hospitalisation de la victime avaient été pris en charge par la caisse ; qu'en déboutant la caisse de son recours subrogatoire contre la Métropole européenne de [Localité 9], aux seuls motifs qu'elle ne rapportait pas la preuve du quantum de ses débours en lien avec l'accident, la cour d'appel a refusé d'évaluer un préjudice dont elle avait pourtant constaté l'existence en son principe, en violation de l'article 4 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code civil et l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale :
7. Il résulte du premier de ces textes que le juge ne peut refuser de réparer le dommage dont il a constaté l'existence en son principe, motif pris de l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties.
8. Selon le second, les caisses de sécurité sociale sont tenues de servir à l'assuré ou à ses ayants droit les prestations prévues aux livres I et III du code de la sécurité sociale et disposent d'un recours contre l'auteur responsable de l'accident qui s'exerce poste par poste sur les indemnités qui réparent des préjudices qu'elles ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel.
9. Pour débouter la caisse de son action subrogatoire contre l'établissement public Métropole européenne de [Localité 9] et la société Smacl assurances, l'arrêt relève, d'abord, qu'afin de justifier de sa créance, contestée dans son principe et son quantum par les défendeurs, la caisse produit le relevé de ses débours provisoires, du 10 juin 2014, et celui de ses débours définitifs, du 30 janvier 2018, puis retient que, contrairement à ce que celle-ci soutient, le relevé de ses débours ne fait pas foi en lui-même, au seul motif qu'elle est soumise à une comptabilité publique.
10. L'arrêt relève, ensuite, que la caisse ne produit aucune attestation d'imputabilité pour établir le lien entre les débours qu'elle dit avoir exposés et l'accident subi par [P] [X], ni aucune pièce autre que ses relevés de débours, provisoires et définitifs.
11. Il en déduit que la caisse ne justifie pas avoir exposé pour le compte de la victime une somme de 515 487,55 euros en lien direct avec les dommages causés par la calèche appartenant à l'établissement public Métropole européenne de [Localité 9].
12. En statuant ainsi, alors qu'elle avait retenu que l'établissement public Métropole européenne de [Localité 9] était responsable des conséquences dommageables de l'accident dont [P] [X] avait été victime le 18 avril 2010, et qu'il n'était pas contesté que ce dernier avait été hospitalisé le jour même et que la caisse avait, notamment à cette occasion, exposé des débours pour son compte, la cour d'appel qui a refusé d'évaluer le montant des préjudices pris en charge par la caisse dont elle constatait l'existence en son principe, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CONSTATE la déchéance du pourvoi en tant qu'il est dirigé contre l'arrêt du 14 mars 2019 ;
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il dit que le délai de prescription des demandes de la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 10]-[Localité 11], pour la période du 18 avril 2010 au 31 décembre 2012, n'a pas commencé à courir et déboute en conséquence la société Smacl assurances et l'établissement public Métropole européenne de [Localité 9], venant aux droits du syndicat mixte Espace naturel [Localité 9] métropole, de leur fin de non-recevoir tirée de la prescription des demandes de la caisse pour ladite période, l'arrêt rendu le 7 mai 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai, autrement composée ;
Condamne l'établissement public Métropole européenne de [Localité 9] et la société Smacl assurances aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'établissement public Métropole européenne de [Localité 9] et la société Smacl assurances, et les condamne à payer à la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 10]-[Localité 11] la somme de globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf février deux mille vingt-trois.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de [Localité 10]-[Localité 11]
La Caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 10]-[Localité 11] fait grief à l'arrêt attaqué DE L'AVOIR déboutée de sa demande de condamnation in solidum de la société SMACL Assurances et de l'établissement public Métropole européenne de [Localité 9] venant aux droits du Syndicat mixte Espace naturel [Localité 9] Métropole, et en tant que besoin le Syndicat Mixte Espace Naturel [Localité 9] Métropole, à lui verser la somme de 515 487,55 € au titre de ses débours définitifs, avec : - intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 7 avril 2017 sur la somme de 423 812,68 €, - intérêts au taux légal à compter du 22 février 2018, date de la signification des conclusions n° 3 devant le tribunal de grande instance de [Localité 9], sur la somme de 91 674,87 €, et DE L'AVOIR déboutée du surplus de ses demandes.
1°/ ALORS QUE juge ne peut refuser de réparer le dommage dont il a constaté l'existence en son principe, motif pris de l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties ; qu'en l'espèce, d'une part, la cour d'appel a estimé que la MEL était responsable du préjudice subi par M. [X] qui avait été victime d'un grave accident le 18 avril 2010 ayant immédiatement provoqué son hospitalisation tandis que, d'autre part, il n'était pas contesté que les frais d'hospitalisation de la victime avaient été pris en charge par la CPAM de [Localité 10] [Localité 11] ; qu'en déboutant la Caisse de son recours subrogatoire à l'encontre MEL, aux seuls motifs qu'elle ne rapportait pas la preuve du quantum de ses débours en lien avec l'accident, la cour d'appel a refusé d'évaluer un préjudice dont elle avait pourtant constaté l'existence en son principe, en violation de l'article 4 du code civil.
2°/ ALORS QUE le relevé des débours de la CPAM, qui est soumise aux règles de la comptabilité publique, fait foi des sommes exposées par la Caisse au profit de la victime de l'accident ; qu'en l'espèce, pour justifier des dépenses qu'elle avait exposées pour le compte de M. [X], l'exposante produisait un décompte provisoire ainsi qu'un décompte définitif faisant notamment apparaître, pour la période du 18 avril 2010 au 31 janvier 2013, soit immédiatement après l'accident subi par M. [X] le 18 avril 2010, des frais d'hospitalisation d'un montant de 361 890,35 € ; qu'en déboutant la CPAM de sa demande d'indemnisation aux motifs erronés que le relevé de « débours ne fait pas foi en lui-même » (arrêt attaqué, p. 10) de sorte que l'exposante n'établissait pas la réalité des dépenses exposées, la cour d'appel a violé l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.
3°/ ALORS QUE le relevé des débours de la CPAM, qui est soumise aux règles de la comptabilité publique, fait foi des dépenses exposées par la Caisse au profit de la victime de l'accident et peut établir l'imputabilité des prestations versées aux conséquences de l'accident ; qu'en l'espèce, le décompte définitif faisant précisément apparaître, pour la période du 18 avril 2010 au 31 janvier 2013, soit immédiatement après l'accident subi par M. [X] le 18 avril 2010, des frais d'hospitalisation d'un montant de 361 890,35 €, lesquels trouvaient nécessairement leur cause dans l'accident considéré ; qu'en déboutant la CPAM de sa demande d'indemnisation aux motifs qu'elle ne produisait aucune attestation d'imputabilité « entre les débours qu'elle dit avoir exposés et l'accident du 18 avril 2010 » ni aucune autre pièce (arrêt attaqué, p. 10), sans avoir vérifié si le lien entre les débours et l'accident ne résultait pas du décompte définitif lui-même, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1315 du code civil, pris ensemble l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.
4°/ ALORS QUE, en toute hypothèse, dans le cas où il estime insuffisants les éléments produits par la Caisse au titre des frais de santé qu'elle a exposées au bénéfice de la victime du dommage, il appartient au juge d'inviter la Caisse à faire préciser la méthode mise en oeuvre pour établir ce montant et, le cas échéant, d'ordonner une expertise ou toute autre mesure d'instruction afin de vérifier l'imputabilité des dépenses ; qu'en déboutant la CPAM de sa demande d'indemnisation aux motifs qu'elle ne produisait aucune attestation d'imputabilité ni aucune pièce hormis ses débours provisoires et définitifs, sans avoir invité la Caisse à préciser la méthode utilisée ou avoir ordonné une mesure d'instruction, la cour d'appel a violé de plus fort l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.