LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 26 janvier 2023
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 95 F-B
Pourvoi n° J 21-18.653
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 26 JANVIER 2023
Mme [C] [L], épouse [K], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° J 21-18.653 contre l'arrêt rendu le 16 février 2021 par la cour d'appel d'Amiens (2e protection sociale), dans le litige l'opposant au conseil départemental du Nord, représenté par son président en exercice, domicilié en cette qualité [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Renault-Malignac, conseiller, les observations de la SARL Ortscheidt, avocat de Mme [L], épouse [K], de la SAS Hannotin avocats, avocat du conseil départemental du Nord, représenté par son président en exercice, et l'avis de Mme Tuffreau, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 6 décembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Renault-Malignac, conseiller rapporteur, Mme Taillandier-Thomas, conseiller doyen, et Mme Catherine, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 16 février 2021), [T] [L] (la bénéficiaire), handicapée à la suite d'un accident de la circulation, a été hébergée dans un foyer d'accueil médicalisé du 1er juillet 2009 jusqu'à son décès, survenu le 22 septembre 2014. Le 19 mai 2017, le président du conseil départemental du Nord (le département) a notifié à sa soeur, Mme [C] [L] (l'héritière), en sa qualité d'héritière de la bénéficiaire, sa décision de récupérer sur la succession de cette dernière la somme de 270 654,47 euros, au titre de l'aide sociale versée pour la prise en charge de ses frais de séjour et d'hébergement en établissement.
2. L'héritière a saisi d'un recours la juridiction d'aide sociale, alors compétente.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deux premières branches
Enoncé du moyen
3. L'héritière fait grief à l'arrêt de rejeter partiellement son recours et de dire que la prise en charge et l'accompagnement de la bénéficiaire se justifient à hauteur de 90 000 euros à déduire des sommes récupérées par le département sur l'actif successoral, alors :
« 1°/ que selon l'article L. 344-5, 2° du code de l'action sociale et des familles, il n'y a lieu à l'application des dispositions relatives au recours en récupération des prestations d'aide sociale lorsque l'héritier du bénéficiaire décédé est la personne qui a assumé, de façon effective et constante, la charge du handicapé ; qu'en statuant comme elle l'a fait, après avoir constaté, par motifs adoptés, que « la commission de recours amiable a considéré que la prise en charge et l'accompagnement se justifiait à la somme de 90 000 euros à déduire des sommes récupérées par le département sur l'actif successoral reconnaissant ainsi que l'appelante avait assumé de façon effective et constante la charge de la personne handicapée » et par motifs propres, que « la cour observe encore que tant l'héritière [...] ont été présents de façon régulière pour soutenir affectivement et au plan pratique la bénéficiaire », ce dont il résultait que tant l'héritière, que les proches parents de la bénéficiaire, avaient assumé de façon effective et constante sa charge, la cour d'appel a violé l'article L. 344-5 du code de l'action sociale et des familles ;
2°/ que selon l'article L. 344-5, 2° du code de l'action sociale et des familles, il n'y a lieu à l'application des dispositions relatives au recours en récupération des prestations d'aide sociale lorsque l'héritier du bénéficiaire décédé est la personne qui a assumé, de façon effective et constante, la charge du handicapé ; qu'en statuant comme elle l'a fait après avoir constaté que « l'appelante avait assumé de façon effective et constante la charge de la personne handicapée » et que « la cour observe encore que tant l'héritière [...] ont été présents de façon régulière pour soutenir affectivement et au plan pratique la bénéficiaire », au motif inopérant que « pour autant cette assistance, qui relève de l'attachement familial et de la loyauté entre membres d'une même famille, ne peut avoir pour conséquence de dispenser totalement l'héritier de la personne handicapée et placée, de faire échec à l'action en récupération exercée par le Conseil Départemental », la cour d'appel a violé l'article L. 344-5 de l'action sociale et des familles. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 132-8 et L. 344-5, 2°, du code de l'action sociale et des familles :
4. Selon le premier de ces textes, le département qui a engagé des dépenses d'aide sociale au titre des frais d'hébergement et d'entretien d'une personne handicapée accueillie dans un établissement mentionné au 7° de l'article L. 312-1 du même code, dispose d'un recours en recouvrement sur l'actif de la succession du bénéficiaire.
5. Selon le second, il n'y a lieu à l'application des dispositions relatives au recours en récupération des prestations d'aide sociale lorsque l'héritier du bénéficiaire décédé est la personne qui a assumé, de façon effective et constante, la charge de la personne handicapée.
6. La charge effective et constante au sens de ce dernier texte s'entend d'un engagement régulier et personnel de l'héritier auprès de la personne handicapée, placée en établissement, tant d'ordre matériel qu'affectif et moral.
7. Pour rejeter le recours de l'héritière, l'arrêt constate qu'elle produit aux débats de très nombreuses attestations de membres de la famille et de tiers (personnel de l'établissement d'accueil et collègues de travail) établissant qu'elle s'est beaucoup occupée de sa soeur pendant les 25 années qui ont suivies l'accident de la voie publique à l'origine du handicap de celle-ci. Il observe que la commission départementale d'aide sociale a considéré que la prise en charge et l'accompagnement se justifiaient à hauteur de la somme de 90 000 euros à déduire des sommes récupérées par le département sur l'actif successoral, reconnaissant ainsi que l'héritière avait assumé de façon effective et constante la charge de la personne handicapée. Il observe encore que tant l'héritière que ses proches parents ont été présents de façon régulière pour soutenir affectivement et au plan pratique la bénéficiaire. Il retient que pour autant, cette assistance, qui relève de l'attachement familial et de la loyauté entre membres d'une même famille, ne peut avoir pour conséquence de faire échec à l'action en récupération exercée par le département dont le financement est assuré par les impôts versés par la collectivité nationale.
8. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que l'héritière établissait avoir assumé, de façon effective et constante, la charge de la bénéficiaire, de sorte que le département ne pouvait exercer à son encontre l'action en récupération des sommes versées au titre de l'aide sociale à l'hébergement, sur sa part dans la succession de la bénéficiaire, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 16 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens, autrement composée.
Condamne le conseil départemental du Nord, représenté par son président en exercice, aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par le conseil départemental du Nord, représenté par son président en exercice, et le condamne à payer à Mme [L], épouse [K], la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six janvier deux mille vingt-trois.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SARL Ortscheidt, avocat aux Conseils, pour Mme [L], épouse [K]
Mme [C] [L] épouse [K] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir décidé que la prise en charge et l'accompagnement de Mme [T] [L] se justifient à hauteur de 90.000 € à déduire des sommes récupérées par le Département sur l'actif successoral ;
1°) ALORS QUE selon l'article L. 344-5, 2° du code de l'action sociale et des familles, il n'y a lieu à l'application des dispositions relatives au recours en récupération des prestations d'aide sociale lorsque l'héritier du bénéficiaire décédé est la personne qui a assumé, de façon effective et constante, la charge du handicapé ; qu'en statuant comme elle l'a fait, après avoir constaté, par motifs adoptés, que « la commission de recours amiable a considéré que la prise en charge et l'accompagnement se justifiait à la somme de 90 000 euros à déduire des sommes récupérées par le département sur l'actif successoral reconnaissant ainsi que l'appelante avait assumé de façon effective et constante la charge de la personne handicapée » et par motifs propres, que « la cour observe encore que tant Mme [C] [L] [?] ont été présents de façon régulière pour soutenir affectivement et au plan pratique Madame [T] [L] », ce dont il résultait que tant Mme [C] [L], que les proches parents de Mme [T] [L], avaient assumé de façon effective et constante sa charge, la cour d'appel a violé l'article L. 344-5 du code de l'action sociale et des familles ;
2°) ALORS QUE selon l'article L. 344-5, 2° du code de l'action sociale et des familles, il n'y a lieu à l'application des dispositions relatives au recours en récupération des prestations d'aide sociale lorsque l'héritier du bénéficiaire décédé est la personne qui a assumé, de façon effective et constante, la charge du handicapé ; qu'en statuant comme elle l'a fait après avoir constaté que « l'appelante avait assumé de façon effective et constante la charge de la personne handicapée » et que « la cour observe encore que tant Mme [C] [L] [?] ont été présents de façon régulière pour soutenir affectivement et au plan pratique Madame [T] [L] », au motif inopérant que « pour autant cette assistance, qui relève de l'attachement familial et de la loyauté entre membres d'une même famille, ne peut avoir pour conséquence de dispenser totalement l'héritier de la personne handicapée et placée, de faire échec à l'action en récupération exercée par le Conseil Départemental », la cour d'appel a violé l'article L. 344-5 de l'action sociale et des familles ;
3°) ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE selon l'article 815-13 du code civil, lorsqu'un indivisaire a amélioré à ses frais l'état d'un bien indivis, il doit lui en être tenu compte selon l'équité, eu égard à ce dont la valeur du bien se trouve augmentée au temps du partage ou de l'aliénation ; que cet article est applicable lors de toute liquidation par laquelle il est mis fin à une indivision, notamment en cas de décès de l'un des coïndivisaires ; qu'en jugeant, s'agissant des frais engagés par l'exposante pour effectuer des travaux sur la maison lui appartenant en indivision avec Mme [T] [L], qu'« il lui en serait tenu compte au moment de la liquidation de l'indivision », la cour d'appel a violé l'article 815-13 du code civil, ensemble l'article L. 132-8 du code de l'action sociale et des familles.