LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
BD4
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 25 janvier 2023
Cassation partielle
Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 65 F-D
Pourvoi n° D 20-20.254
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 25 JANVIER 2023
M. [F] [G], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° D 20-20.254 contre l'arrêt rendu le 10 juillet 2020 par la cour d'appel de Colmar (chambre sociale, section A), dans le litige l'opposant à la société Transports Caillot, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Flores, conseiller, les observations de la SCP Zribi et Texier, avocat de M. [G], de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société Transports Caillot, après débats en l'audience publique du 30 novembre 2022 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Flores, conseiller rapporteur, M. Sornay, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 10 juillet 2020), M. [G] a été engagé par la société Transports Caillot en qualité de conducteur routier du 1er septembre 2016 au 2 septembre 2017.
2. Le 12 décembre 2017, le salarié a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en paiement de sommes au titre de l'exécution du contrat de travail.
Examen des moyens
Sur le second moyen, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
4. Le salarié fait grief à l'arrêt de limiter à une certaine somme le rappel de salaire au titre des heures supplémentaires, des congés payés et de la prime de précarité, alors « qu'en énonçant, pour débouter partiellement M. [G] de sa demande d'heures supplémentaires, qu'il n'avait pas pris en compte dans le cadre de son décompte, des heures d'équivalence, notamment pendant les temps d'attente, la cour d'appel qui a relevé d'office ce moyen, sans inviter les parties à s'expliquer sur ce point, a violé l'article 16 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 16 du code de procédure civile :
5. Aux termes de ce texte, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
6. Pour limiter sa créance au titre des heures supplémentaires l'arrêt retient que le salarié n'a pas tenu compte dans son calcul des heures d'équivalence notamment pendant les temps d'attente.
7. En statuant ainsi, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur ce moyen relevé d'office tiré de l'application du régime des temps d'équivalence, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il limite à 5 560,02 euros la condamnation de la société Transports Caillot au titre des heures supplémentaires, à 556 euros, celle au titre des congés payés afférents et à 611,60 euros celle au titre de l'indemnité de précarité, l'arrêt rendu le 10 juillet 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy ;
Condamne la société Transports Caillot aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Transports Caillot et la condamne à payer à M. [G] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq janvier deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Zribi et Texier, avocat aux Conseils, pour M. [G]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
M. [G] fait grief à l'arrêt attaqué
d'Avoir limité à un montant de 5560,02 € la somme due au titre des heures supplémentaires, à un montant de 556 € celle due au titre des congés payés sur les heures supplémentaires et à 611,60 € celle due au titre de l'indemnité de précarité,
1°) ALORS QU'en énonçant, pour débouter partiellement M. [G] de sa demande d'heures supplémentaires, qu'il n'avait pas pris en compte dans le cadre de son décompte, des heures d'équivalence, notamment pendant les temps d'attente, quand les parties s'accordaient à reconnaître que les heures supplémentaires réclamées correspondaient aux heures effectuées au-delà des 186 heures mensuelles prévues à son contrat de travail et à considérer que la question litigieuse portait sur la qualification des temps d'attente en temps de travail effectif ou en temps de repos, la cour d'appel a méconnu les termes du litige, et ainsi violé l'article 4 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QU'en énonçant, pour débouter partiellement M. [G] de sa demande d'heures supplémentaires, qu'il n'avait pas pris en compte dans le cadre de son décompte, des heures d'équivalence, notamment pendant les temps d'attente, la cour d'appel qui a relevé d'office ce moyen, sans inviter les parties à s'expliquer sur ce point, a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QUE nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ; que l'utilisation d'un système de géolocalisation pour assurer le contrôle de la durée du travail n'est licite que lorsque ce contrôle ne peut pas être fait par un autre moyen, fût -il moins efficace que la géolocalisation ; que la cour d'appel a relevé que le salarié produisait des chronotachygraphes ; qu'il ressortait ainsi de ses propres énonciations qu'il existait un autre moyen de contrôle de la durée du travail du salarié que la géolocalisation ; qu'en se fondant toutefois, pour rejeter partiellement la demande d'heures supplémentaires formée par le salarié, sur « la production du détail des données de géolocalisation », la cour d'appel a violé les articles L. 1121-1 du code du travail et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
4°) ALORS QUE, en tout état de cause, en énonçant que l'employeur justifiait notamment par la production du détail des données de géolocalisation, que M. [G] n'a pas tenu compte dans son calcul des heures d'équivalence notamment pendant les temps d'attente, sans expliciter en quoi l'annexe 16, produite par l'adversaire, qui ne concernait qu'un mois, était de nature à justifier de ce que les heures d'équivalence n'étaient pas comptabilisées par le salarié pour l'ensemble de la période considérée, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
5°) ALORS QU'en énonçant, que l'employeur justifiait notamment par la production du détail des données de géolocalisation, que M. [G] n'a pas tenu compte dans son calcul des heures d'équivalence notamment pendant les temps d'attente, sans viser ni analyser l'ensemble des pièces sur lesquels elle s'est fondée pour parvenir à une telle conclusion, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
6°) ALORS QUE constituent des temps de travail effectif, outre le temps de conduite, les temps de service au cours desquels le chauffeur se livre à des activités de transport routier telles que les opérations de chargement ou de déchargement ou de contrôle de ceux-ci, de nettoyage ou à des tâches administratives ; qu'en retenant, pour débouter partiellement M. [G] de sa demande d'heures supplémentaires, que certains temps d'attente ont été renseignés comme étant du temps de travail, sans rechercher, comme il lui était demandé, si M. [G] ne se livrait pas, pendant les temps d'attente, à des activités de transport routier autres que la conduite, caractérisant un travail effectif dont la durée devait être incluse dans le calcul du temps de travail pris en compte pour déterminer les heures supplémentaires, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 3121-1 et L. 3121-2 du code du travail, ensemble les articles 5 du décret nº 83-40 du 26 janvier 1983 et 15 du règlement CEE nº 38/ 20/ 85 du conseil du 20 décembre 1985 ;
7°) ALORS QU'est considéré comme un temps de travail effectif, et doit être rémunérée comme tel, la période d'attente durant laquelle le chauffeur reste à la disposition de l'employeur pendant les opérations de déchargement de son camion et doit se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer à ses occupations personnelles ; qu'en retenant, pour débouter partiellement M. [G] de sa demande d'heures supplémentaires, que certains temps d'attente ont été renseignés comme étant du temps de travail, sans rechercher, pour écarter ces temps d'attente du calcul du temps de travail pris en compte pour déterminer les heures supplémentaires, si M. [G] connaissait à l'avance la durée de ce temps et s'il était libre de vaquer à des occupations personnelles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 3121-1 et L. 3121-2 du code du travail, ensemble les articles 5 du décret nº 83-40 du 26 janvier 1983 et 15 du règlement CEE nº 38/20/ 85 du conseil du 20 décembre 1985 ;
8°) ALORS QUE les articles 3, 5 et 6 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, lus à la lumière de l'article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ainsi que de l'article 4, paragraphe 1, de l'article 11, paragraphe 3, et de l'article 16, paragraphe 3, de la directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989 doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation d'un État membre qui, selon l'interprétation qui en est donnée par la jurisprudence nationale, n'impose pas aux employeurs l'obligation d'établir un système permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur ; qu'en appliquant des textes du droit national qui n'imposent pas aux employeurs l'obligation d'établir un système fiable permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur, en matière de transport routier, la cour d'appel a violé les articles 3, 5 et 6 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, lus à la lumière de l'article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ainsi que de l'article 4, paragraphe 1, de l'article 11, paragraphe 3, et de l'article 16, paragraphe 3, de la directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
M. [G] fait grief à l'arrêt attaqué
d'Avoir rejeté sa demande en paiement de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé
1°) ALORS QUE l'élément intentionnel du travail dissimulé est caractérisé dès lors que l'employeur sait ou ne peut ignorer que le nombre d'heures figurant sur les bulletins de paye ne correspond pas au nombre d'heures de travail accomplies par le salarié ; qu'en déboutant dès lors M. [G] de sa demande d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, cependant qu'elle condamnait l'employeur au paiement de 349,70 heures supplémentaires dont elle avait constaté qu'il reconnaissait spontanément devoir le paiement, ce dont il résultait que l'employeur ne pouvait avoir ignoré leur existence alors même qu'il ne les rémunérait pas, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 8221-5 du code du travail ;
2°) ALORS QU'en énonçant, pour débouter M. [G] de sa demande d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, après avoir condamné l'employeur au paiement de 349,70 heures supplémentaires dont elle avait constaté qu'il reconnaissait devoir le paiement, que l'employeur ayant élevé diverses contestations quant à l'analyse des relevés de chronotachygraphe, que le décompte des heures supplémentaires se faisait de manière trimestrielle et pouvaient être remplacées par des repos compensateur, et qu'ainsi, le salarié ne rapportait pas la preuve que l'employeur ait sciemment dissimulé l'accomplissement par lui d'heures de travail aux organismes de sécurité sociale et à l'administration fiscale, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à exclure le travail dissimulé et ainsi violé l'article L. 8221-5 du code du travail.