LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
AF1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 18 janvier 2023
Rejet
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 27 F-B
Pourvoi n° M 21-20.311
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 18 JANVIER 2023
La société Collectes valorisation énergie déchets, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° M 21-20.311 contre l'arrêt rendu le 3 juin 2021 par la cour d'appel de Caen (chambre sociale, section 1), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [G] [N], domicilié [Adresse 4],
2°/ au syndicat général des transports CFDT Basse-Normandie, dont le siège est [Adresse 3],
3°/ à Pôle emploi, dont le siège est [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lanoue, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Collectes valorisation énergie déchets, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [N] et du syndicat général des transports CFDT Basse-Normandie, après débats en l'audience publique du 23 novembre 2022 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Lanoue, conseiller référendaire rapporteur, Mme Ott, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 3 juin 2021), M. [N] a été engagé par la société Onyx le 3 novembre 1997 en qualité d'équipier de collecte. Son contrat a été transféré, en dernier lieu, le 1er juillet 2015, à la société Collectes valorisation énergie déchets (la société), qui a repris le marché auquel le salarié était affecté.
2. Du 8 au 20 juin 2017, un mouvement de grève s'est déroulé dans l'entreprise, dans le cadre d'un préavis déposé par le syndicat général des transports CFDT de Basse-Normandie (le syndicat).
3. Le salarié a été licencié pour faute lourde par lettre du 30 juin 2017 à raison de faits commis le 8 juin 2017 au cours de cette grève.
4. Il a saisi le 27 octobre 2017 la juridiction prud'homale aux fins d'obtenir diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
6. La société fait grief à l'arrêt de la condamner au remboursement des indemnités de chômage versées au salarié entre la date de licenciement et le jugement dans la limite de trois mois, alors « qu'aux termes de l'article L. 1235-4 du code du travail, dans les cas prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé ; qu'en l'espèce, après avoir prononcé la nullité du licenciement en application de l'article L. 2511-1 du code du travail, la cour d'appel a condamné l'employeur au remboursement des indemnités de chômage dans la limite de trois mois ; qu'en statuant ainsi, elle a violé l'article L. 1235-4 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016. »
Réponse de la Cour
7. Aux termes de l‘article L. 1235-4 du code du travail, dans sa version issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, dans les cas prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.
8. Selon l'article L. 1132-4 du code du travail, dans sa version antérieure à la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022, toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance des dispositions du présent chapitre est nul.
9. L'article L. 1132-2 du code du travail, figurant dans le même chapitre II « Principe de non-discrimination », prévoit qu'aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire mentionnée à l'article L. 1132-1 en raison de l'exercice normal du droit de grève.
10. Il en résulte que les dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail sont applicables en cas de nullité du licenciement en raison de l'exercice normal du droit de grève.
11. Dès lors, la cour d'appel qui, ayant retenu que le licenciement du salarié était nul comme consécutif à l'exercice par ce dernier de son droit de grève, sans qu'une faute lourde puisse lui être reprochée, a condamné la société à rembourser à Pôle emploi les allocations de chômage versées au salarié entre la date du licenciement et le jugement dans la limite de trois mois d'allocations, n'encourt pas le grief du moyen.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Collectes valorisation énergie déchets aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par société Collectes valorisation énergie déchets et la condamne à payer à M. [N] et au syndicat général des transports CFDT Basse-Normandie la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit janvier deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Collectes valorisation énergie déchets
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
La société COVED fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit le licenciement de Monsieur [N], prononcé en l'absence de faute lourde, nul, et de l'AVOIR condamnée à lui payer les sommes de 11.972,19 € à titre d'indemnité de licenciement, 3.668,08 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis, 366,80 € au titre des congés payés afférents, 93,74 € à titre de rappel de salaire relatif au mois de juin 2017, ainsi que de l'AVOIR condamnée au remboursement des indemnités de chômage versées à Monsieur [N] entre la date de licenciement et le jugement dans la limite de trois mois et, réformant le jugement de ces chefs, d'AVOIR condamné la société COVED à verser à Monsieur [N] la somme de 24.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, ainsi que d'AVOIR condamné la société COVED à verser au syndicat général des transports CFDT de BASSE-NORMANDIE la somme de 1.500 € pour atteinte à l'intérêt collectif de la profession ;
ALORS QU'un salarié gréviste peut être licencié à raison d'un fait commis à l'occasion de la grève à laquelle il participe si ce fait est constitutif d'une faute lourde ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que les faits suivants étaient établis : « avoir traité du personnel non gréviste d'‘enculés" », « à l'arrivée de deux salariés noirs avoir poussé 'un cri comme un animal' et tenu les propos suivants : 'regarde les tressés', 'les enculés' et, selon l'huissier, d'autres propos à connotation raciste », « avoir mis une tronçonneuse à arrière d'un C15 en disant 'les gars on va casser du camion les gars j'ai la tronçonneuse, on va découper du camion', « à l'arrivée d'une camionnette conduite par une prestataire de service avoir crié 'ok les gars la dame on la viole qu'une fois', avoir, à propos d'un salarié crié 'je vais le crever ; il revient pas demain!', avoir crié à plusieurs reprises 'vous inquiétez pas les gens du voyage ils sont pas méchants ils vont vous crever la panse!!! Allah Ouakbar » ; qu'elle a également constaté que Monsieur [N] avait « brandi le poing » en direction d'un salarié non-gréviste (Monsieur [F]) à travers la vitre de son camion, alors qu'il rentrait de sa tournée, fait qu'elle a qualifié « d'agression » et que ce salarié avait été conduit au centre hospitalier, puis avait porté plainte à l'encontre de Monsieur [N] pour violences et menaces de mort ; que, pour néanmoins écarter la faute lourde malgré les insultes proférées à l'encontre des salariés non-grévistes, dont plusieurs à caractère raciste, les cris d'animaux poussés au passage de salariés noirs, les menaces de mort, la menace de ne « violer qu'une fois » la représentante d'un prestataire de son employeur et celle, hurlée au travers d'un mégaphone, de « casser et de découper du camion », et par conséquent le matériel de l'entreprise, cela en plaçant une tronçonneuse dans l'un des véhicules, la cour d'appel a retenu, par motifs propres, que « les faits reprochés (insultes, propos à connotation racistes, menaces et, à tout le moins, agression à l'égard de M. [F]) sont avérés, sont imputables à M. [N] et sont fautifs ; toutefois, il n'est pas établi qu'ils aient été commis avec la volonté de porter préjudice à l'employeur ; en effet, M. [N] n'a, à aucun moment, cherché à entraver la liberté du travail, y compris en agressant M. [F] » et, par motifs adoptés, qu'en « dépit du caractère particulièrement abject [des faits dont Monsieur [N] s'était rendu responsable] et du fait que certains d'entre eux étaient de nature à revêtir une qualification pénale, de tels faits dirigés vers des collègues de travail s'avèrent (...) insusceptibles de caractériser une intention de nuire » ; qu'en statuant ainsi, quand les faits dont elle a constaté la matérialité relevaient de la faute lourde, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses constatations et a violé l'article L. 2511-1 du code du travail.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)La société COVED fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR condamnée au remboursement des indemnités de chômage versées à Monsieur [N] entre la date de licenciement et le jugement dans la limite de trois mois ;
ALORS QU'aux termes de l'article L. 1235-4 du code du travail, dans les cas prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé ; qu'en l'espèce, après avoir prononcé la nullité du licenciement en application de l'article L. 2511-1 du code du travail, la cour d'appel a condamné l'employeur au remboursement des indemnités de chômage dans la limite de trois mois ; qu'en statuant ainsi, elle a violé l'article L. 1235-4 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016.