LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
SG
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 18 janvier 2023
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 65 F-D
Pourvoi n° E 20-22.141
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 18 JANVIER 2023
Mme [Y] [L], veuve [W], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° E 20-22.141 contre l'arrêt rendu le 3 septembre 2020 par la cour d'appel de Douai (chambre 8, section 4), dans le litige l'opposant à Mme [B] [W], épouse [K], domiciliée [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Abgrall, conseiller, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de Mme [L] veuve [W], de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de Mme [W] épouse [K], après débats en l'audience publique du 6 décembre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Abgrall, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 3 septembre 2020), par acte notarié du 22 juillet 1987, [D] [W] et son épouse [I] [Z] ont consenti à [N] [W], leur fils, un bail rural à long terme sur un ensemble de parcelles d'une superficie totale de 39 ha 23 a.
2. A la suite du décès de [N] [W], le 12 septembre 2005, le bail a été transmis à son épouse, Mme [L], en application de l'article L. 411-34 du code rural et de la pêche maritime.
3. Après le décès des bailleurs, Mme [W] épouse [K] est devenue propriétaire de certaines des parcelles comprises dans le bail consenti à son frère.
4. Par requête du 16 mai 2017, elle a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux d'une demande de résiliation de ce bail.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Mme [L] fait grief à l'arrêt de prononcer à ses torts la résiliation du bail rural du 22 juillet 1987 portant sur des terres dont Mme [W] est propriétaire, d'ordonner son expulsion, de rejeter ses demandes de cession de bail, de prorogation en raison de l'âge et d'expertise, et de dire sans objet sa demande d'annulation du congé à effet du 30 juin 2020, alors :
« 1°/ que le silence opposé à l'affirmation d'un fait ne vaut pas à lui seul reconnaissance de ce fait ; qu'en retenant, pour en déduire que Mme [L] ne participait pas personnellement à l'exploitation des terres données à bail et prononcer la résiliation du bail rural, qu'elle ne contestait pas exercer la profession d'infirmière en milieu hospitalier à temps plein, activité incompatible avec une exploitation personnelle des terres, la cour d'appel a violé l'article 1315, devenu 1353, du code civil ;
2°/ qu'il appartient au bailleur qui invoque un manquement du preneur à son obligation de participation à l'exploitation des terres données à bail à l'appui de sa demande de résiliation, d'en apporter la preuve ; qu'en retenant néanmoins que Mme [L] n'apportant aucune précision sur les conditions matérielles d'exercice de sa profession d'infirmière en milieu hospitalier, son activité est incompatible avec une participation à l'exécution de travaux sur les parcelles litigieuses, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve, en violation de l'article 1315, devenu 1353, du code civil ;
3°/ que ne procède pas à une cession de son bail en contravention à l'interdiction prévue par l'article L 411-35 du code rural et de la pêche maritime le preneur qui, associé de la société d'exploitation à disposition de laquelle il a mis les terres louées, ne participerait pas aux travaux de façon effective et permanente ; qu'en retenant, pour prononcer la résiliation du bail, que le défaut d'exploitation personnelle de Mme [L], résultant de l'impossibilité matérielle pour celle-ci de réaliser les travaux de culture du fait de son autre activité professionnelle, cumulée à un nombre minime de parts sociales détenues dans la société d'exploitation et à sa qualité d'associée non gérante, caractérisait une cession prohibée au profit d'un tiers, la SCEA [G], quand elle avait constaté que Mme [L], preneuse, était associée de la SCEA [G] bénéficiaire de la mise à disposition des terres louées, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser l'existence d'une cession prohibée, a violé les articles L. 411-31 et L. 411-35 du code rural et de la pêche maritime ;
4°/ que le bailleur peut solliciter la résiliation du bail lorsque le preneur qui a mis les terres prises à bail à disposition d'une société n'en est pas membre ou n'exploite plus effectivement les terres, si ce manquement est de nature à porter préjudice au bailleur ; qu'en retenant, pour prononcer la résiliation du bail, que le défaut de participation personnelle de Mme [L] aux travaux de culture, cumulé à un nombre minime de parts sociales détenues dans la société d'exploitation et à sa qualité d'associée non gérante, caractérisaient une cession prohibée au profit d'un tiers sans que la preuve du préjudice subi par le bailleur ne soit exigée, quand la cour d'appel constatait en réalité un simple manquement aux dispositions de l'article L. 411-37 et devait donc rechercher si ce manquement avait entraîné un préjudice pour le bailleur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 411-31 et L. 411-37 du code rural et de la pêche maritime. »
Réponse de la Cour
6. La cour d'appel a relevé que la société civile d'exploitation agricole (SCEA) litigieuse portait toujours le nom de SCEA [G] dans l'extrait du registre du commerce et des sociétés produit et les documents émanant de la mutualité sociale agricole, que Mme [L] n'y détenait que 1,26 pour cent des parts, alors que les terres litigieuses représentaient 10 pour cent de la surface exploitée par la SCEA et que la totalité des surfaces mises à la disposition de cette société par Mme [L] représentait un cinquième de la totalité de celles que la SCEA exploitait.
7. Elle a également relevé que Mme [L], selon la demande d'autorisation d'exploiter du 30 août 2018, n'était pas associée gérante contrairement aux deux autres associés et exerçait une autre activité professionnelle salariée sur laquelle ses conclusions étaient restées silencieuses.
8. Elle a pu retenir, sans inverser la charge de la preuve, qu'en l'absence de précisions apportées par Mme [L] sur sa profession ou ses conditions d'exercice, ni contestation de la circonstance alléguée par Mme [W] et retenue par les premiers juges, selon laquelle elle exerçait une profession d'infirmière hospitalière à temps plein, que cette profession était par nature incompatible avec l'exécution de travaux sur les parcelles litigieuses d'une superficie de plus de dix-neuf hectares.
9. Elle a souverainement déduit de l'ensemble de ces éléments, d'une part, qu'ils caractérisaient un défaut d'exploitation personnelle par Mme [L] des parcelles litigieuses, exploitées par un tiers, la SCEA [G] et MM. [G], et, d'autre part, en se fondant sur les dispositions combinées des articles L. 411-31, II, 1°, et L. 411-35 du code rural et de la pêche maritime, qu'une cession prohibée au profit d'un tiers était établie, en précisant à bon droit que cette cession entraînait la résiliation du bail sans que la preuve d'un préjudice subi par le bailleur fût exigée, le fait que Mme [L] ait eu la qualité d'associée de la SCEA ne faisant en effet pas obstacle à l'existence d'une cession prohibée.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme [L] veuve [W] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit janvier deux mille vingt-trois.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat aux Conseils, pour Mme [L] veuve [W]
Madame [Y] [L] reproche à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir prononcé à ses torts la résiliation du bail rural consenti par acte notarié du 22 juillet 1987 et portant sur des terres situées commune de [Localité 3] dont Mme [B] [W], épouse [K] est propriétaire, et d'avoir, en conséquence, ordonné son expulsion desdites terres, de l'avoir déboutée de ses demandes de cession de bail, de prorogation en raison de l'âge et d'expertise, et d'avoir dit sans objet la demande d'annulation du congé délivré le 24 avril 2018 à effet du 30 juin 2020 ;
1°) ALORS QUE le silence opposé à l'affirmation d'un fait ne vaut pas à lui seul reconnaissance de ce fait ; qu'en retenant, pour en déduire que Mme [L] ne participait pas personnellement à l'exploitation des terres données à bail et prononcer la résiliation du bail rural, qu'elle ne contestait pas exercer la profession d'infirmière en milieu hospitalier à temps plein, activité incompatible avec une exploitation personnelle des terres, la cour d'appel a violé l'article 1315, devenu 1353, du code civil ;
2°) ALORS QU'il appartient au bailleur qui invoque un manquement du preneur à son obligation de participation à l'exploitation des terres données à bail à l'appui de sa demande de résiliation, d'en apporter la preuve ; qu'en retenant néanmoins que Mme [L] n'apportant aucune précision sur les conditions matérielles d'exercice de sa profession d'infirmière en milieu hospitalier, son activité est incompatible avec une participation à l'exécution de travaux sur les parcelles litigieuses, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve, en violation de l'article 1315, devenu 1353, du code civil ;
3°) ALORS, en tout état de cause, QUE ne procède pas à une cession de son bail en contravention à l'interdiction prévue par l'article L 411-35 du code rural et de la pêche maritime le preneur qui, associé de la société d'exploitation à disposition de laquelle il a mis les terres louées, ne participerait pas aux travaux de façon effective et permanente ; qu'en retenant, pour prononcer la résiliation du bail, que le défaut d'exploitation personnelle de Mme [L], résultant de l'impossibilité matérielle pour celle-ci de réaliser les travaux de culture du fait de son autre activité professionnelle, cumulée à un nombre minime de parts sociales détenues dans la société d'exploitation et à sa qualité d'associée non gérante, caractérisait une cession prohibée au profit d'un tiers, la SCEA [G], quand elle avait constaté que Mme [L], preneuse, était associée de la SCEA [G] bénéficiaire de la mise à disposition des terres louées, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser l'existence d'une cession prohibée, a violé les articles L. 411-31 et L. 411-35 du code rural et de la pêche maritime ;
4°) ALORS, enfin et toujours en toute hypothèse, QUE le bailleur peut solliciter la résiliation du bail lorsque le preneur qui a mis les terres prises à bail à disposition d'une société n'en est pas membre ou n'exploite plus effectivement les terres, si ce manquement est de nature à porter préjudice au bailleur ; qu'en retenant, pour prononcer la résiliation du bail, que le défaut de participation personnelle de Mme [L] aux travaux de culture, cumulé à un nombre minime de parts sociales détenues dans la société d'exploitation et à sa qualité d'associée non gérante, caractérisaient une cession prohibée au profit d'un tiers sans que la preuve du préjudice subi par le bailleur ne soit exigée, quand la cour d'appel constatait en réalité un simple manquement aux dispositions de l'article L. 411-37 et devait donc rechercher si ce manquement avait entraîné un préjudice pour le bailleur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 411-31 et L. 411-37 du code rural et de la pêche maritime.