LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 12 janvier 2023
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 64 F-B
Pourvoi n° P 21-10.469
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 12 JANVIER 2023
La société Losur, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° P 21-10.469 contre l'arrêt rendu le 9 septembre 2020 par la cour d'appel de Nancy (5e chambre commerciale), dans le litige l'opposant à la société L'Eau reine traitement des eaux, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Jollec, conseiller référendaire, les observations de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de la société Losur, de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la société L'Eau reine traitement des eaux, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 22 novembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Jollec, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 9 septembre 2020), par requête du 18 mai 2015, la société Losur a saisi le président d'un tribunal de commerce, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, afin de faire constater par un huissier de justice la violation de l'obligation de confidentialité d'un ancien salarié au sein de la société L'Eau reine traitement des eaux (la société L'Eau reine).
2. Cette requête a été rejetée par ordonnance du 8 juin 2015, laquelle a été infirmée par un arrêt du 25 novembre 2015 rectifié le 9 mars 2016, qui a fait droit à la requête. Les mesures d'instruction ont été réalisées le 27 juin 2016.
3. La société L'Eau reine a sollicité la rétractation de cet arrêt, demande qui a été rejetée par un arrêt du 30 novembre 2016.
4. Ayant été assignée par la société Losur le 11 décembre 2017 en réparation du préjudice résultant des actes de concurrence déloyale, la société L'Eau reine a reconventionnellement demandé la nullité des procès-verbaux dressés par l'huissier de justice.
Examen des moyens
Sur le second moyen, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. La société Losur fait grief à l'arrêt de prononcer la nullité des opérations de constat effectuées par M. [F], huissier de justice, le 27 juin 2016, au siège de la société L'Eau reine, alors :
« 1°/ que dans le cadre de l'exécution d'une ordonnance sur requête, copie de la requête et de l'ordonnance est laissée à la personne à laquelle elle est opposée ; que cette formalité, prescrite à peine de nullité des opérations alors effectuées, peut être accomplie à tout moment pourvu que les droits de la défense ne s'en trouvent pas compromis, ce qui est le cas lorsque la personne qui subit la mesure est mise à même de former un recours en rétractation de cette ordonnance ; qu'en retenant, pour prononcer la nullité du procès-verbal de saisie, que la copie de la requête, de l'ordonnance de rejet ainsi que de l'arrêt infirmatif ayant finalement fait droit à la requête en mesure d'instruction in futurum, avaient été communiqués postérieurement aux opérations de constat, la cour d'appel a ajouté à la loi une condition que celle-ci ne prévoit pas, violant ainsi l'article 495 alinéa 3 du code de procédure civile ;
2°/ que dans le cadre de l'exécution d'une ordonnance sur requête, ne doivent être remises que la copie de la requête initiale et celle de la décision accordant les mesures sollicitées ; qu'en prononçant la nullité du constat litigieux en relevant que l'huissier n'avait pas remis à la société L'Eau reine « l'ordonnance aux termes de laquelle [le tribunal] avait rejeté » la requête initiale à laquelle il n'avait été fait droit qu'en cause d'appel, la cour d'appel a violé l'article 495, alinéa 3, du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
7. Selon l'article 495, alinéa 3, du code de procédure civile, la copie de la requête et celle de la décision faisant droit à la requête sont laissées à la personne à laquelle elle est opposée.
8. Il en résulte que lorsqu'une cour d'appel infirme une ordonnance ayant rejeté la requête, seule la copie de cette requête et celle de l'arrêt tenant lieu d'ordonnance sur requête, à l'exclusion de la copie de l'ordonnance ayant rejeté la requête, sont laissées à la personne à laquelle cette décision est opposée. Cette exigence qui est fondée sur le respect du principe de la contradiction implique que cette remise ait lieu antérieurement à l'exécution des mesures d'instruction qu'elle ordonne, sauf si le juge des requêtes en a disposé autrement.
9. L'arrêt relève que l'huissier de justice n'a pas remis la copie de la requête, peu important que l'intimée en ait finalement été destinataire par un échange de pièces entre les conseils respectifs des parties intervenu préalablement à la saisine du juge de la rétractation par la société L'Eau reine.
10. De cette seule constatation, abstraction faite du motif erroné mais surabondant critiqué par la seconde branche tenant à l'absence de remise de l'ordonnance ayant rejeté la requête, la cour d'appel en a exactement déduit que le procès-verbal de constat de l'huissier de justice du 27 juin 2016 était entaché de nullité.
11. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Condamne la société Losur aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Losur et la condamne à payer à la société L'Eau reine traitement des eaux la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze janvier deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SARL Delvolvé et Trichet, avocat aux Conseils, pour la société Losur
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
La société Losur fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir prononcé la nullité des opérations de constat effectuées par Me [F], huissier de justice, le 27 juin 2016, au siège de la société L'eau reine ;
1°) Alors, d'une part, que dans le cadre de l'exécution d'une ordonnance sur requête, copie de la requête et de l'ordonnance est laissée à la personne à laquelle elle est opposée ; que cette formalité, prescrite à peine de nullité des opérations alors effectuées, peut être accomplie à tout moment pourvu que les droits de la défense ne s'en trouvent pas compromis, ce qui est le cas lorsque la personne qui subit la mesure est mise à même de former un recours en rétractation de cette ordonnance ; qu'en retenant, pour prononcer la nullité du procès-verbal de saisie, que la copie de la requête, de l'ordonnance de rejet ainsi que de l'arrêt infirmatif ayant finalement fait droit à la requête en mesure d'instruction in futurum, avaient été communiqués postérieurement aux opérations de constat, la cour d'appel a ajouté à la loi une condition que celle-ci ne prévoit pas, violant ainsi l'article 495 alinéa 3 du code de procédure civile ;
2°) Alors, d'autre part, que dans le cadre de l'exécution d'une ordonnance sur requête, ne doivent être remises que la copie de la requête initiale et celle de la décision accordant les mesures sollicitées ; qu'en prononçant la nullité du constat litigieux en relevant que l'huissier n'avait pas remis à la société L'eau reine « l'ordonnance aux termes de laquelle [le tribunal] avait rejeté » (arrêt, p. 6) la requête initiale à laquelle il n'avait été fait droit qu'en cause d'appel, la cour d'appel a violé l'article 495 alinéa 3 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
La société Losur fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la société Losur de sa demande de condamnation de la société L'eau reine pour des faits de concurrence déloyale ;
1°) Alors d'une part que le juge ne peut dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en l'espèce, le bordereau de communication de pièces de la société Losur visait, d'une part, les éléments recueillis aux termes des opérations de constat réalisées au siège de la société L'eau reine destinées à mettre en évidence la commission d'actes de concurrence déloyale par la société L'eau reine et, d'autre part, d'autres documents (n° 1 à 25 ; voir prod.), ces éléments de preuve établissant également la commission de tels actes ; qu'en rejetant les demandes de la société Losur après avoir annulé le procès-verbal de constat en relevant que « les moyens de preuve produits par la plaignante au soutien de son action en concurrence déloyale [provenaient] de manière exclusive des constatations énoncées par le procès-verbal » (arrêt, p. 6), la cour d'appel a dénaturé ce bordereau et a violé le principe susvisé ;
2°) Alors, d'autre part, que le juge ne peut refuser d'examiner, même sommairement, les pièces versées aux débats par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en l'espèce, la société Losur produisait un compte-rendu d'un ancien salarié (pièce n° 15 ; voir prod.) ainsi qu'un devis de la société L'eau reine (pièce n° 16 ; voir prod.), dont il résultait que cette dernière avait commis des actes de concurrence déloyale à son encontre et sur la foi de laquelle elle avait alors sollicité la réalisation d'opérations de constat par voie d'huissier (voir conclusions d'appel, p. 9) ; qu'en se bornant toutefois à juger que « les moyens de preuve produits par la plaignante au soutien de son action en concurrence déloyale proven[aient] de manière exclusive des constatations énoncées par le procès-verbal » (arrêt, p. 6), sans examiner, serait-ce sommairement, ces pièces, la cour d'appel a méconnu le principe susvisé et violé l'article 455 du code de procédure civile.