LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 11 janvier 2023
Cassation partielle sans renvoi
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 28 F-D
Pourvoi n° P 21-21.762
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 11 JANVIER 2023
Mme [M] [H], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° P 21-21.762 contre l'arrêt rendu le 14 juin 2021 par la cour d'appel d'Agen (chambre civile), dans le litige l'opposant à la société Canadour-Coqadour, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Regis, conseiller référendaire, les observations de la SCP Ohl et Vexliard, avocat de Mme [H], de la SCP Spinosi, avocat de la société Canadour-Coqadour, et l'avis de M. Debacq, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 novembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Regis, conseiller référendaire rapporteur, Mme Darbois, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Agen, 14 juin 2021), en 2011, Mme [H], qui exerçait une activité d'exploitation agricole, a conclu un contrat avec la société [F], en exécution duquel elle était chargée de gaver des canards que celle-ci lui fournissait.
2. La société [F] a mis fin au contrat en mars 2016 en cessant ses livraisons.
3. Le 6 juillet 2018, Mme [H] a assigné la société [F], notamment, en réparation de son préjudice pour rupture brutale de la relation commerciale établie.
4. La société Canadour-Coqadour, venant aux droits de la société [F], est intervenue volontairement à l'instance.
Examen des moyens
Sur le moyen relevé d'office
5. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu l'article L. 442-6 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, l'article D. 442-4 du même code, alors applicable, et l'article R. 311-3 du code de l'organisation judiciaire :
6. Il résulte de ces textes que seules les juridictions du premier degré spécialement désignées par le deuxième texte sont investies du pouvoir de statuer sur les litiges relatifs à l'application du premier, que les recours formés contre les décisions rendues par ces juridictions spécialisées sont portés devant la cour d'appel de Paris et que ceux formés contre les décisions rendues par des juridictions non spécialement désignées, quand bien même elles auraient statué sur de tels litiges, sont portés devant la cour d'appel dans le ressort de laquelle elles sont situées. Il incombe alors à la cour d'appel de relever d'office, le cas échéant, la fin de non-recevoir tirée du défaut de pouvoir juridictionnel du premier juge pour statuer sur un litige relatif à l'application de l'article L. 442-6 du code de commerce, puis de statuer dans les limites de son propre pouvoir juridictionnel.
7. L'arrêt rejette la demande de Mme [H] d'indemnisation de son préjudice fondée sur l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019.
8. En statuant ainsi, sans relever d'office l'irrecevabilité des demandes fondées sur l'article L. 442-6 du code de commerce formées devant le tribunal de grande instance d'Auch, juridiction non spécialisée, la cour d'appel, qui était elle-même dépourvue de tout pouvoir juridictionnel pour statuer sur un litige portant sur l'application de ce texte, a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
9. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
10. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il statue sur la demande formée par Mme [H] sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, l'arrêt rendu le 14 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Agen ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Déclare irrecevables les demandes de Mme [H] fondées sur l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ;
Condamne Mme [H] aux dépens, en ce compris ceux exposés devant les juges du fond ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du onze janvier deux mille vingt-trois.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Ohl et Vexliard, avocat aux Conseils, pour Mme [H].
Mme [H] fait grief à l'arrêt attaqué, de l'avoir, par confirmation du jugement dont appel, déboutée de sa demande au titre de la rupture abusive des relations commerciales ;
1°/ Alors, d'une part, qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait par tout commerçant de rompre brutalement une relation commerciale établie sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant une durée minimale conforme aux usages ; que ce préavis ne peut courir qu'à compter de la notification qui en est faite par écrit ; que pour débouter Mme [H] de sa demande, la cour d'appel retient que la rupture des relations commerciales étant intervenue en mars 2016, trois mois après le début de l'arrêt-maladie et plusieurs mois avant la fin de son arrêt-maladie la rupture des relations commerciales ne peut être qualifiée de brutale et fautive, ni ouvrir droit à une indemnisation ; qu'en statuant ainsi sans constater qu'un préavis de rupture comportant une indication de durée avait été notifié à Mme [H], la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L.442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction applicable, antérieure à celle issue de l'ordonnance n°209-359 du 24 avril 2019 ;
2°/ Alors, d'autre part, qu'une rupture unilatérale immédiate de la relation commerciale ne peut intervenir qu'en cas de force majeure ou d'inexécution suffisamment grave par l'autre partie de ses obligations ; que pour débouter Mme [H] de sa demande, la cour d'appel retient que compte tenu de son arrêt de maladie, Mme [H] était dans l'impossibilité de procéder elle-même à la prestation de service qui lui incombait et que de surcroît elle était passée outre au refus de [F] de les faire exécuter par un voisin, peu important à cet égard que ce gavage ait été effectué dans ses locaux et que celui-ci se soit vu confier directement et personnellement le gavage chez lui d'autres bandes par [F] ; qu'en se déterminant ainsi, sans préciser si le manquement qu'elle retenait était suffisamment grave pour justifier la rupture sans préavis des relations commerciales établies, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L.442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction applicable, antérieure à celle issue de l'ordonnance n°209-359 du 24 avril 2019 ;
3°/ Alors encore, à supposer adoptés les motifs des premiers juges, qu'en retenant, pour débouter Mme [H] de sa demande, que celle-ci ne proposait aucune durée de préavis, sans répondre au moyen de ses écritures d'appel par lequel elle faisait valoir que compte tenu de la durée des relations professionnelles entre les parties, la rupture aurait dû être précédée d'un préavis minimum de huit mois (conclusions d'appel de Mme [H], p. 20), la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile, ensemble l'article 563 du même code ;
4°/ Et alors enfin, et toujours à supposer adoptés les motifs des premiers juges, qu'en retenant, pour débouter Mme [H] de sa demande, que celle-ci ne produisait aucune attestation de son comptable pour permettre d'apprécier sa perte de revenu, sans prendre en considération l'attestation comptable (pièce n° 110), pièce nouvelle produite devant elle, la cour d'appel a de nouveau violé l'article 455 du code de procédure civile, ensemble l'article 563 du même code.