LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 5 janvier 2023
Cassation partielle
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 14 F-D
Pourvoi n° P 21-14.632
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 5 JANVIER 2023
Mme [E] [S], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° P 21-14.632 contre l'arrêt rendu le 19 janvier 2021 par la cour d'appel d'Orléans (chambre de la famille), dans le litige l'opposant à M. [X] [U], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Duval, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de Mme [S], de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de M. [U], après débats en l'audience publique du 15 novembre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Duval, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Layemar, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Orléans, 19 janvier 2021), un jugement du 10 janvier 2019 a prononcé le divorce de Mme [S] et de M. [U].
Examen des moyens
Sur les premier et deuxième moyens et sur le troisième moyen pris en ses première, deuxième et quatrième branches, ci-après annexés
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le troisième moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
3. Mme [S] fait grief à l'arrêt de limiter le montant de la prestation compensatoire due par M. [U] à la somme de 40 000 euros en capital, alors « que le juge ne peut accueillir ou rejeter les demandes dont il est saisi sans examiner tous les éléments de preuve qui lui sont fournis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en jugeant qu'elle n'avait connaissance d'aucun élément concernant la pension de retraite de Mme [S], sans examiner, fût-ce sommairement, sa pièce d'appel n° 41 correspondant à une simulation effectuée sur le site info retraite, donc il résultait que Mme [S] pouvait uniquement prétendre à une retraite de 550 euros bruts par mois, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
4. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. Il en résulte que les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis, sans examiner les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties.
5. Pour fixer à 40 000 euros le montant de la prestation compensatoire due à Mme [S] par M. [U], la cour d'appel retient qu'elle n'a connaissance d'aucun élément concernant les droits prévisibles de celle-ci en matière de pension de retraite.
6. En statuant ainsi, sans analyser, même sommairement, la pièce produite par Mme [S] pour justifier, comme elle le soutenait dans ses écritures, avoir fait réaliser une simulation de ses droits en matière de retraite dont elle faisait valoir qu'ils seraient limités, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il fixe à 40 000 euros la somme en capital que M. [U] est condamné à payer à Mme [S], à titre de prestation compensatoire, l'arrêt rendu le 19 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans autrement composée ;
Condamne M. [U] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq janvier deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour Mme [S]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Mme [S] fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir prononcé le divorce aux torts partagés des époux et de l'avoir déboutée de sa demande de dommages-intérêts sur le fondement de l'article 266 du code civil,
1°) Alors que l'introduction de la demande en divorce ne confère pas aux époux, encore dans les liens du mariage, une immunité faisant perdre leurs effets normaux aux torts invoqués ; qu'en l'espèce, pour statuer sur les torts des époux, la cour d'appel s'est fondée sur le fait que la relation adultère entretenue par l'époux n'était pas établie à l'époque de la séparation ; qu'en statuant par un tel motif inopérant, dès lors qu'il suffisait que cette relation adultère, qui était admise par M. [U], ait été antérieure au prononcé du divorce, la cour d'appel a violé les articles 242 et 245 du code civil.
2°) Alors que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'il ne peut prononcer d'office le divorce aux torts partagés sans avoir préalablement invité les époux à s'expliquer sur les conséquences d'un tel divorce ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions d'appel, M. [U] n'a formé aucune demande reconventionnelle tendant à ce que soit prononcé un divorce aux torts partagés et s'est borné à demander la confirmation du jugement de première instance ayant prononcé le divorce pour altération définitive du lien conjugal (cf. conclusions d'appel adverses, p. 18) ; qu'en prononçant d'office le divorce aux torts partagés, sans solliciter les explications des parties sur les conséquences d'un tel divorce, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile.
3°) Alors que, en tout état de cause, le divorce pour faute ne peut être prononcé que pour des faits constituant une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage et rendant intolérable le maintien de la vie commune ; que si, même en l'absence de demande reconventionnelle, le divorce peut être prononcé aux torts partagés des époux lorsque les débats font apparaître des torts à la charge de l'un et de l'autre, c'est à la condition que les griefs allégués à l'appui de la demande principale constituent une cause de divorce ; qu'en l'espèce, pour retenir la faute de Mme [S], la cour d'appel s'est bornée à relever que le fait de priver son époux de relations avec ses frères pendant le cours du mariage et d'avoir, de par son caractère difficile, nui aux relations familiales, amicales et sociales de son époux, est constitutif de torts à la charge de l'épouse, revêtant les caractères de l'article 242 du code civil ; qu'en statuant ainsi, sans expliquer en quoi ce comportement de Mme [S] constituait une violation grave et renouvelée des devoirs et obligation du mariage rendant intolérable le maintien de la vie commune, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 242 et 245 du code civil.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
Mme [S] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué de l'avoir déboutée de sa demande tendant au paiement de dommages-intérêts fondée sur l'article 1240 du code civil,
Alors que l'époux qui invoque un préjudice étranger à celui résultant de la rupture du lien conjugal peut demander réparation à son conjoint dans les conditions du droit commun ; que le juge ne peut accueillir ou rejeter les demandes dont il est saisi sans examiner tous les éléments de preuve qui lui sont fournis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en l'espèce, pour débouter Mme [S] de sa demande de dommages-intérêts fondée sur l'article 1240 du code civil, la cour d'appel s'est bornée à constater qu'elle ne justifiait pas de l'existence d'un préjudice personnel, direct et certain, d'une faute ainsi que d'un lien de causalité dans les conditions prévues par les règles de la responsabilité civile ; qu'en statuant ainsi, sans examiner, au moins sommairement, les nombreuses attestations produites par Mme [S] (pièces n°28 à 37), dont il résultait qu'elle s'était trouvée dans un état de détresse psychologique et financière extrêmement grave à la suite du départ de son mari du domicile conjugal, constitutif d'un préjudice distinct de celui résultant de la rupture du lien conjugal, et causé par le départ dont l'arrêt avait lui-même relevé le caractère fautif, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile, ensemble l'article 1240 du code civil.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
Mme [S] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir limité le montant de la prestation compensatoire lui étant due par M. [U] à 40 000 € en capital,
1°) Alors que le juge ne peut pas méconnaître l'objet du litige, tel qu'il s'évince des conclusions des parties ; que dans ses conclusions d'appel, Mme [S] soutenait souffrir de la maladie de Hodgking (cf. conclusions d'appel de l'exposante, p. 16, §3) ; que M. [U] indiquait, quant à lui, ne pas remettre en cause la maladie dont avait souffert Mme [S] il y a quelques années (cf. conclusions d'appel adverses, p. 16, §4) ; qu'en estimant que Mme [S] indiquait avoir été atteinte de la maladie de Hodgking sans justification, quand les parties s'étaient accordées sur l'existence de cette maladie, la cour d'appel a méconnu l'objet du litige, en violation des articles 4 et 5 du code de procédure civile.
2°) Alors que le juge ne doit pas dénaturer les conclusions des parties ; que dans ses conclusions d'appel, Mme [S] indiquait, à propos de sa situation professionnelle, être aujourd'hui embauchée dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée et percevoir un salaire moyen brut de 1 650 €, soit un salaire moyen net mensuel de 1 195,89 €, porté à 1 295,55 € avec un treizième mois (cf. conclusions d'appel de l'exposante, p. 16, pénultième §) ; qu'en jugeant que Mme [S] indiquait être au chômage depuis janvier 2020, sans en justifier (cf. arrêt attaqué, p. 7, §6), la cour d'appel a dénaturé ses conclusions d'appel, en violation de l'article 4 du code de procédure civile et du principe susvisé.
3°) Alors que le juge ne peut accueillir ou rejeter les demandes dont il est saisi sans examiner tous les éléments de preuve qui lui sont fournis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en jugeant qu'elle n'avait connaissance d'aucun élément concernant la pension de retraite de Mme [S], sans examiner, fût-ce sommairement, sa pièce d'appel n°41 correspondant à une simulation effectuée sur le site info retraite, donc il résultait que Mme [S] pouvait uniquement prétendre à une retraite de 550 € bruts par mois, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.
4°) Alors que la situation de concubinage d'un époux est susceptible d'avoir une incidence sur l'appréciation de la disparité que la rupture du mariage est susceptible de créer dans la situation respective des époux ; qu'en s'abstenant dès lors de rechercher si, comme le soutenait Mme [S], au-delà d'un partage des charges courantes avec sa concubine, M. [U] ne bénéficiait pas des revenus de cette dernière, sur lesquels il refusait ostensiblement de donner la moindre information, et si une telle situation n'avait pas une incidence sur l'appréciation de la disparité que la rupture du mariage était susceptible de créer dans la situation respective des époux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 270 et 271 du code civil.