LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION FB
ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE
Audience publique du 16 décembre 2022
Rejet
M. SOULARD, premier président
Arrêt n° 661 B+R
Pourvoi n° 21-23.719
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, DU 16 DÉCEMBRE 2022
1°/ Mme [X] [Z], domiciliée [Adresse 7] (Maroc),
2°/ la société Diana Holding, dont le siège est [Adresse 6] (Maroc), intervenante volontaire,
ont formé le pourvoi n° 21-23.719, contre l'ordonnance n° 64 du premier président de la cour d'appel de Paris, en date du 20 octobre 2021, qui, sur renvoi après cassation, dans le litige les opposant à l'Autorité des marchés financiers, dont le siège est [Adresse 1], [Localité 4], a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant cette même Autorité à effectuer des opérations de visite et de saisies en vue de rechercher la preuve d'atteintes à la transparence des marchés et prononcé sur leur demande d'annulation d'opérations de visite et de saisies.
Par arrêt du 24 mai 2022, la chambre commerciale a ordonné le renvoi de l'examen du pourvoi devant l'assemblée plénière.
Les demanderesses au pourvoi invoquent, devant l'assemblée plénière, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Ces trois moyens ont été formulés dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Melka, Prigent, Drusch, avocat de Mme [X] [Z] et de la société Diana Holding.
Un mémoire complémentaire a été déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Melka, Prigent, Drusch, avocat de Mme [X] [Z] et de la société Diana Holding.
Un mémoire en défense et un mémoire complémentaire ont été déposés au greffe de la Cour de cassation par la SPC Ohl et Vexliard, avocat de l'Autorité des marchés financiers.
Le rapport écrit de M. Seys, conseiller, et l'avis écrit de M. Lecaroz, avocat général, ont été mis à la disposition des parties.
Sur le rapport de M. Seys, conseiller, assisté de Mme Ploffoin, auditeur au service de documentation, des études et du rapport, les observations de la SCP Melka-Prigent-Drusch, de la SCP Ohl et Vexliard, et l'avis de M. Lecaroz, avocat général, auquel les parties, invitées à le faire, n'ont pas souhaité répliquer, après débats en l'audience publique du 18 novembre 2022 où étaient présents M. Soulard, premier président, MM. Chauvin, Pireyre, Sommer, Mme Teiller, MM. Bonnal, Vigneau, présidents, M. Seys, conseiller rapporteur, MM. Huglo, Maunand, Mmes de la Lance, Duval-Arnould, Darbois, Martinel, doyens de chambre, M. Jacques, Mmes Daubigney, Ott, Dard, M. Delbano, conseillers, M. Lecaroz, avocat général, et Mme Mégnien, greffier fonctionnel-expert,
la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, composée du premier président, des présidents, des doyens de chambre et des conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Paris, 20 octobre 2021), sur renvoi après cassation (Com., 14 octobre 2020, pourvoi n° 18-15.840, publié au bulletin), un juge des libertés et de la détention a, sur le fondement de l'article L. 621-12 du code monétaire et financier, autorisé des enquêteurs de l'Autorité des marchés financiers (AMF), en charge d'une enquête ouverte par son secrétaire général portant sur l'information financière et le marché du titre de la société Marie Brizard Wine and Spirits (la société MBWS), à procéder à une visite au siège social de cette société, à l'occasion de la tenue de son prochain conseil d'administration, et à saisir toute pièce ou document susceptible de caractériser la communication et/ou l'utilisation d'une information privilégiée au sens de l'article 621-1 du règlement général de l'AMF, sur tout support, notamment les ordinateurs portables et téléphones mobiles des représentants de la société Diana holding participant à ce conseil d'administration, dont Mme [Z].
2. Mme [Z] a relevé appel de l'ordonnance d'autorisation de visite et saisies et exercé un recours contre le déroulement des opérations, réalisées le 25 avril 2017 ; la société Diana Holding est intervenue volontairement à la procédure.
Examen des moyens
Sur les deuxième et troisième moyens
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Énoncé du moyen
4. Mme [Z] et la société Diana Holding font grief à l'ordonnance de confirmer celle rendue par le juge des libertés et de la détention et de déclarer régulières les opérations de visite et saisies effectuées le 25 avril 2017 dans les locaux de la société MBWS, alors « que l'ingérence dans le droit au respect de la vie privée et de la correspondance que constitue la saisie de données électroniques n'est tolérée que si elle est prévue par la loi, poursuit un but légitime et est nécessaire, dans une société démocratique, pour atteindre ce but ; que seuls sont saisissables, lors d'une visite domiciliaire par les enquêteurs de l'AMF autorisée par le juge des libertés et de la détention, les documents et supports d'information qui appartiennent ou sont à la disposition de l'occupant des lieux, soit la personne qui occupe, à quelque titre que ce soit, les locaux dans lesquels la visite est autorisée ; que la simple présence passagère d'une personne au siège social d'une société où se déroule une visite domiciliaire, fût-ce pour une raison professionnelle telle que la tenue d'un conseil d'administration, ne lui confère pas la qualité d'occupant des lieux, quels que soient les liens juridiques que cette personne entretient avec la société et quelle que soit la fréquence de sa présence dans les lieux ; qu'en retenant néanmoins, pour décider que le juge des libertés et de la détention avait valablement autorisé la saisie des documents détenus par Mme [Z], que "Mme [X] [Z], administratrice de la société MBWS, en plein exercice de ses fonctions professionnelles lors de la tenue du conseil d'administration, [devait] être de toute évidence considérée comme "occupant des lieux" et susceptible de faire l'objet de saisies "et qu'elle ne justifiait pas" à quelle fréquence elle était présente dans les locaux pour exercer ses fonctions d'administratrice de la société MWBS", le premier président a violé les articles L. 621-12 du code monétaire et financier et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
5. Selon l'article L. 621-12 du code monétaire et financier, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2017-1107 du 22 juin 2017, le juge des libertés et de la détention peut autoriser les enquêteurs de l'AMF à effectuer des visites en tous lieux et à procéder à la saisie de documents pour la recherche des infractions définies aux articles L. 465-1 à L. 465-3-3 du même code et des faits susceptibles d'être qualifiés de délit contre les biens et d'être sanctionnés par la commission des sanctions de l'AMF en application de l'article L. 621-15 de ce code.
6. Il en résulte que sont saisissables les documents et supports d'information qui sont en lien avec l'objet de l'enquête et se trouvent dans les lieux que le juge a désignés ou sont accessibles depuis ceux-ci, sans qu'il soit nécessaire que ces documents et supports appartiennent ou soient à la disposition de l'occupant des lieux.
7. Ce texte, ainsi interprété, qui poursuit un but légitime, à savoir la protection des investisseurs, la régulation et la transparence des marchés financiers, est nécessaire dans une société démocratique pour atteindre cet objectif. Il ne porte pas une atteinte excessive au droit de toute personne au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance dès lors, d'une part, que les opérations de visite et de saisies ont préalablement été autorisées par un juge qui s'est assuré du bien-fondé de la demande, qu'elles s'effectuent sous son autorité et son contrôle, en présence d'un officier de police judiciaire, chargé de le tenir informé de leur déroulement, et de l'occupant des lieux ou de son représentant, qui prennent connaissance des pièces avant leur saisie, qu'elles ne peuvent se dérouler que dans les seuls locaux désignés par ce juge, que l'occupant des lieux et les personnes visées par l'ordonnance sont informés, par la notification qui leur en est faite, de leur droit de faire appel à un avocat de leur choix et que ces opérations peuvent être contestées devant le premier président de la cour d'appel par toutes les personnes entre les mains desquelles il a été procédé à de telles saisies, d'autre part, que seuls les éléments nécessaires à la recherche des infractions précitées peuvent être saisis, ceux n'étant pas utiles à la manifestation de la vérité devant être restitués.
8. Le moyen, qui conteste la qualité d'occupant des lieux de Mme [Z], est dès lors inopérant.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme [Z] et la société Diana Holding aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de Mme [Z] et de la société Diana Holding et les condamne à payer à l'Autorité des marchés financiers la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, et prononcé le seize décembre deux mille vingt-deux ;
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat aux Conseils, pour Mme [Z] et la société Diana Holding
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir confirmé en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Créteil le 19 avril 2017 et d'avoir déclaré régulières les opérations de visite et saisies effectuées en date du 25 avril 2017 dans les locaux de la société MBWS [Adresse 3] et [Adresse 2] à [Localité 5] ;
ALORS QUE l'ingérence dans le droit au respect de la vie privée et de la correspondance que constitue la saisie de données électroniques n'est tolérée que si elle est prévue par la loi, poursuit un but légitime et est nécessaire, dans une société démocratique, pour atteindre ce but ; que seuls sont saisissables, lors d'une visite domiciliaire par les enquêteurs de l'AMF autorisée par le juge des libertés et de la détention, les documents et supports d'information qui appartiennent ou sont à la disposition de l'occupant des lieux, soit la personne qui occupe, à quelque titre que ce soit, les locaux dans lesquels la visite est autorisée ; que la simple présence passagère d'une personne au siège social d'une société où se déroule une visite domiciliaire, fût-ce pour une raison professionnelle telle que la tenue d'un conseil d'administration, ne lui confère pas la qualité d'occupant des lieux, quels que soient les liens juridiques que cette personne entretient avec la société et quelle que soit la fréquence de sa présence dans les lieux ; qu'en retenant néanmoins, pour décider que le juge des libertés et de la détention avait valablement autorisé la saisie des documents détenus par Mme [Z], que « Mme [X] [Z], administratrice de la société MBWS, en plein exercice de ses fonctions professionnelles lors de la tenue du conseil d'administration, [devait] être de toute évidence considérée comme "occupant des lieux" et susceptible de faire l'objet de saisies » et qu'elle ne justifiait pas « à quelle fréquence elle était présente dans les locaux pour exercer ses fonctions d'administratrice de la société MWBS », le premier président a violé les articles L. 621-12 du code monétaire et financier et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir confirmé en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Créteil le 19 avril 2017, et d'avoir en conséquence déclaré régulières les opérations de visite et saisies effectuées en date du 25 avril 2017 dans les locaux de la société MBWS [Adresse 3] et [Adresse 2] à [Localité 5] ;
1°/ ALORS QUE le détournement de procédure est une forme de fraude à la loi consistant à utiliser faussement une procédure en vue d'échapper à la procédure normalement applicable ; que la société Diana Holding soutenait que le juge des libertés et de la détention avait manqué de prudence en n'empêchant pas un détournement de procédure consistant, pour les enquêteurs de l'AMF, à être autorisés à effectuer des opérations de visite et de saisies au siège social de la société française MBWS en vue d'accéder à des documents appartenant à la société de droit marocain Diana Holding, aux fins de pallier le caractère insuffisant des éléments qu'ils avaient obtenus dans le cadre d'une demande de coopération internationale avec l'autorité marocaine du marché des capitaux ; qu'en jugeant que ce moyen était inopérant dès lors que « les enquêteurs pouva[ient] saisir tous documents utiles à la manifestation de la vérité, même s'ils [étaient] localisés à l'étranger », quand il lui appartenait de rechercher, non pas si la procédure utilisée était licite, mais si l'utilisation de cette procédure ne visait pas à « contourner » l'échec de la procédure normalement applicable, le premier président a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 621-12 du code monétaire et financier, ensemble le principe selon lequel la fraude corrompt tout et le principe de la loyauté de la procédure ;
2°/ ALORS, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE l'ingérence dans le droit au respect de la vie privée et de la correspondance que constitue la saisie de données électroniques n'est tolérée que si elle est prévue par la loi, poursuit un but légitime et est nécessaire, dans une société démocratique, pour atteindre ce but ; que l'article L. 621-12 du code monétaire et financier ne permet pas au juge des libertés et de la détention d'autoriser la saisie de documents stockés à l'extérieur des locaux dans lesquels la visite est autorisée et appartenant à des tiers ; qu'en retenant, pour juger que le moyen fondé sur un détournement de procédure était inopérant, que l'allégation selon laquelle il aurait été interdit aux enquêteurs de l'AMF d'avoir accès, depuis le siège d'une société française, à des documents appartenant à une société marocaine était infondée, dès lors que « les enquêteurs pouv[aient] saisir tous documents utiles à la manifestation de la vérité, même s'ils [étaient] localisés à l'étranger », le premier président a violé les articles L. 621-12 du code de monétaire et financier et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir déclaré régulières les opérations de visite et saisies effectuées en date du 25 avril 2017 dans les locaux de la société MBWS [Adresse 3] et [Adresse 2] à [Localité 5] ;
ALORS QUE les enquêteurs de l'AMF, autorisés par le juge des libertés et de la détention à saisir des documents lors d'une visite domiciliaire, ne peuvent appréhender que les documents extraits des supports informatiques se trouvant dans les lieux visités, et non demander à une personne présente sur place de leur communiquer des documents situés sur un serveur extérieur en y accédant par le réseau internet ; qu'en l'espèce, la société Diana Holding soutenait que les opérations de visite et de saisies étaient irrégulières dès lors que les enquêteurs de l'AMF avaient demandé à Mme [Z] de leur communiquer des courriers électroniques issus de sa messagerie « [Courriel 8] », qui ne figuraient pas sur son téléphone portable et qu'elle avait été contrainte de récupérer, au moyen de ce téléphone et via le réseau internet, sur le serveur marocain de la société Diana Holding ; que le premier président a lui-même constaté que les enquêteurs avaient effectué la saisie « de données du téléphone portable de Mme [Z] ainsi que des mails issus de sa messagerie professionnelle : "[Courriel 8]" » ; qu'en se bornant néanmoins à retenir, pour juger que la saisie était conforme à l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, que « cette messagerie était présente sur le téléphone portable de Mme [Z], visé dans l'ordonnance du JLD », sans rechercher si le fait que Mme [Z] ait dû y accéder en se connectant par internet au serveur marocain de la société Diana Holding puis en transférer le contenu aux enquêteurs de l'AMF ne rendait pas irrégulière la saisie des courriers électroniques issus de cette messagerie, le premier président a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 621-12 du code de monétaire et financier et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.