LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 14 décembre 2022
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 897 F-D
Pourvoi n° Q 21-22.338
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 14 DÉCEMBRE 2022
L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° Q 21-22.338 contre l'arrêt rendu le 8 juin 2021 par la cour d'appel d'Orléans (chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [I] [N] [V], épouse [B], domiciliée [Adresse 2],
2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Indre et Loire, dont le siège est [Adresse 1],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Mornet, conseiller, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mme [N] [V], et l'avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 novembre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Mornet, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Orléans, 8 juin 2021), le 18 août 2015, à l'issue d'un échec de la procédure de règlement amiable, Mme [N] [V] a assigné en indemnisation l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l'ONIAM), en soutenant qu'elle présentait depuis octobre 2004 un syndrome de Lyell imputable à la prise de médicaments.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses quatre dernières branches, ci-après annexé
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. L'ONIAM fait grief à l'arrêt de dire que Mme [N] [V] a droit à une indemnisation au titre de la solidarité nationale des dommages subis à la suite de la survenance d'un syndrome de Lyell en octobre 2004, alors « que pour pouvoir être indemnisés par la solidarité nationale, en application de l'article L. 1142-1, II, du code de la santé publique, les préjudices du patient doivent être imputables, de façon directe et certaine, à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins ; que si la preuve d'une telle imputabilité peut être rapportée par tout moyen et notamment par des présomptions, ces dernières doivent être graves, précises et concordantes ; que les présomptions graves précises et concordantes permettant de retenir un lien de causalité direct et certain entre une prise médicamenteuse et le préjudice allégué ne peuvent résulter de la seule circonstance que ledit préjudice est survenu postérieurement, même à bref délai, à la prise d'un médicament susceptible de provoquer des atteintes de même nature que celles survenues ; que, pour retenir que le préjudice de Mme [B] est directement imputable à des prises médicamenteuses, la cour d'appel s'est bornée à constater la prise de plusieurs médicaments quarante-huit heures avant l'apparition des troubles et que la prise de l'anti-inflammatoire Advil quarante-huit heures avant les signes d'une éruption maculo-papuleuse est certaine ; qu'en se déterminant ainsi, par des motifs insuffisants à établir un lien causal entre la prise médicamenteuse et le dommage subi par Mme [B], la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article L. 1142-1, II, du code de la santé publique. »
Réponse de la Cour
4. La cour d'appel a relevé que Mme [N] [V] avait présenté un syndrome de Lyell en 2004, que, si l'expert avait conclu qu'une imputation médicamenteuse formelle ne pouvait être retenue, il n'avait pas émis de doute sur l'origine médicamenteuse elle-même mais seulement sur l'identification du ou des médicaments en cause parmi ceux qui avaient été prescrits et utilisés, qu'il avait identifié parmi les médicaments prescrit à Mme [N] [V] en 2004 des produits reconnus comme responsables de ce type de syndrome et qu'était notamment établie la prise d'Advil quarante-huit heures avant les signes d'une éruption maculo-papuleuse.
5. Elle en a déduit, par une décision motivée, que le syndrome de Lyell présenté par Mme [N] [V] était directement imputable à des prises médicamenteuses.
6. Elle a ainsi légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et le condamne à payer à Mme [N] [V] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze décembre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat aux Conseils, pour Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
L'ONIAM fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir dit que madame [B] a droit à l'indemnisation au titre de la solidarité nationales des dommages subis à la suite de la survenance d'un syndrome de Lyell en octobre 2004 ;
1) Alors que pour pouvoir être indemnisés par la solidarité nationale, en application de l'article L. 1142-1, II, du code de la santé publique, les préjudices du patient doivent être imputables, de façon directe et certaine, à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins ; que si la preuve d'une telle imputabilité peut être rapportée par tout moyen et notamment par des présomptions, ces dernières doivent être graves, précises et concordantes ; que les présomptions graves précises et concordantes permettant de retenir un lien de causalité direct et certain entre une prise médicamenteuse et le préjudice allégué ne peuvent résulter de la seule circonstance que ledit préjudice est survenu postérieurement, même à bref délai, à la prise d'un médicament susceptible de provoquer des atteintes de même nature que celles survenues ; que, pour retenir que le préjudice de madame [B] est directement imputable à des prises médicamenteuses, la cour d'appel s'est bornée à constater la prise de plusieurs médicaments quarante-huit heures avant l'apparition des troubles et que la prise de l'anti-inflammatoire Advil quarante-huit heures avant les signes d'une éruption maculo-papuleuse est certaine ; qu'en se déterminant ainsi, par des motifs insuffisants à établir un lien causal entre la prise médicamenteuse et le dommage subi par madame [B], la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article L. 1142-1, II, du code de la santé publique ;
2) Alors qu'en se bornant à constater, pour retenir que le préjudice de madame [B] est directement imputable à des prises médicamenteuses, que ces derniers avaient été pris quarante-huit heures avant les signes d'une éruption maculo-papuleuse sans rechercher, comme elle y était invitée (conclusions de l'ONIAM, p. 14), si les troubles ayant motivé les consultations de madame [B] avant les prescriptions médicamenteuses n'étaient pas constitutifs d'une pathologie ayant déclenché le syndrome de Lyell, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article L. 1142-1, II, du code de la santé publique ;
En tout état de cause,
3) Alors que pour pouvoir être indemnisés par la solidarité nationale, en application de l'article L. 1142-1, II, du code de la santé publique, les préjudices du patient doivent être imputables, de façon directe et certaine, à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins ; que les préjudices causés par une prise médicamenteuse ne sont imputables à un acte de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de prescription médicale ; qu'en se bornant à retenir que le préjudice de madame [B] est directement imputable à des prises médicamenteuses sans rechercher, comme elle y était invitée (conclusions de l'ONIAM, p. 13 et 14), si les médicaments en cause avaient été prescrits à cette dernière, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique ;
4) Alors qu'en retenant, par motifs adoptés, qu'il n'est pas contesté qu'il a été prescrit à la victime de l'Advil et du Stresam (jugement, p. 7) lorsque l'ONIAM faisait valoir, dans ses conclusions, que « la prescription d'Advil et de Stresam lors de la consultation du Dr [C] du 1er octobre 2004 n'a été justifiée par aucun document (ordonnance, délivrance de la pharmacie, dossier médical du médecin traitant ou autre) » et que « l'ordonnance du 12 octobre 2004 réalisée par le docteur [C] [intervenue alors que les signes de nécrolyse épidermique étaient déjà présents lors de cette consultation] ne comprend pas de prescription d'Advil (Bromazepam, Zolof, Dafalgan et Loressor) » (conclusions de l'ONIAM, p. 13), la cour d'appel a méconnu le principe faisant interdiction au juge de dénaturer les documents de la cause ;
5) Alors que la preuve du lien causal incombe à celui qui sollicite la réparation d'un dommage corporel ; qu'en retenant, par motifs adoptés, que l'ONIAM ne rapporte pas la preuve d'une automédication (jugement, p. 7) lorsqu'il appartenait à madame [B] de démontrer que le préjudice allégué était imputable à un acte de prévention, de diagnostic ou de soins, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble l'article L. 1142-1, II, du code de la santé publique.