LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 14 décembre 2022
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 912 F-D
Pourvoi n° B 21-21.222
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 14 DÉCEMBRE 2022
La société Saint-Karas, venant aux droits de la société Sarah, société par actions simplifiée, société à associé unique, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° B 21-21.222 contre l'arrêt rendu le 11 mai 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 13), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société HB et associés - [E] Bouillot et associés, société civile professionnelle d'avocats, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à M. [J] [E], domicilié [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Serrier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la société Saint-Karas, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société HB et associés - [E] Bouillot et associés et de M. [E], après débats en l'audience publique du 8 novembre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Serrier, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 11 mai 2021), le 25 novembre 2003, la société Silic a consenti un bail commercial à la société Sarah, aux droits de laquelle se trouve la société Saint-Karas. Des travaux de démolition et reconstruction de l'immeuble loué étant envisagés par le bailleur, les deux sociétés ont entamé des négociations et la société Sarah a sollicité l'assistance de M. [E], avocat, membre de la SCP HB et associés-[E] Bouillot et associés (la SCP).
2. Le 31 janvier 2013, à la suite d'un différend, les deux sociétés ont conclu une transaction prévoyant notamment la résolution du bail, le paiement d'une indemnité contractuelle par le bailleur et leur renonciation à tout recours et action entre elles.
3. Invoquant des fautes de M. [E] dans la négociation de celle-ci et la perte de chance de percevoir une indemnité plus élevée, la société Sarah l'a assigné ainsi que la SCP en responsabilité et indemnisation. L'avocat et la SCP ont opposé l'irrecevabilité de ses demandes en raison de la transaction.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. La société Saint-Karas fait grief à l'arrêt de déclarer ses demandes irrecevables, alors :
« 1°/ que l'objet du litige est déterminé en cause d'appel par les prétentions respectives des parties, fixées par le dispositif des dernières conclusions d'appel régulièrement déposées, soutenues par les moyens invoqués dans la discussion ; qu'en déduisant d'une lettre de réclamation amiable du 24 mars 2014 et des conclusions de première instance que la société Saint-Karas rechercherait la responsabilité de son ancien avocat dans le but d'obtenir la réparation de la perte de chance d'obtenir une indemnisation plus avantageuse des préjudices subis du fait de la rupture du bail commercial, la cour d'appel, qui a déterminé l'objet du litige à partir d'un courrier adressé par une partie et des conclusions de première instance s'est prononcée par des motifs inopérants et a privé sa décision de base légale au regard des articles 4 et 954 du code de procédure civile ;
2°/ qu'il n'est pas permis au juge de dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'aux termes du dispositif de ses conclusions d'appel, la société Saint Karas demandait à la cour d'appel de "dire et juger que la SCP HB et associés et M. [J] [E] ont commis des fautes génératrices d'un préjudice au détriment de la société Saint Karas" et de "condamner in solidum la SCP HB et associés et M. [J] [E] à verser à la société Saint Karas la somme de 140 000 euros en réparation du préjudice matériel et moral subi", faisant valoir, au soutien de ces demandes le "manque de diligence", et "la non rédaction du protocole", ce dont il résulte clairement et sans équivoque que l'exposante ne demandait pas l'indemnisation des préjudices résultant de la rupture du bail mais la réparation des fautes de la société HB et associés et de M. [E], tenant à leur absence de diligence lorsqu'ils ont reçu l'accord de l'exposante à la proposition de la société Silic, et l'absence de rédaction de leur part d'un projet de protocole conforme à cette proposition ; qu'en considérant que la société Saint-Karas aurait recherché la responsabilité de son ancien avocat pour obtenir la réparation de la perte de chance d'obtenir une indemnisation plus avantageuse des préjudices subis du fait de la rupture du bail commercial, la cour d'appel a dénaturé les écritures de l'exposante, en violation de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
3°/ qu'il n'est pas permis au juge de dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que le protocole transactionnel du 31 janvier 2013 décrit le litige auquel il a mis fin en rappelant que "par exploit d'huissier en date du 20 octobre 2011, le bailleur a fait délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire d'avoir à régler la somme de 12 670,30 euros TTC correspondant au loyer du dernier trimestre 2011 et diverses régularisations de charges. Le 18 novembre 2011, le preneur a fait opposition à ce commandement et a assigné le bailleur devant le tribunal de grande instance de Nanterre. Par exploit d'huissier en date du 19 juillet 2012, le bailleur a fait délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire d'avoir à régler la somme de 10 995,41 euros TTC correspondant aux loyers et charges du troisième trimestre 2012. Le 10 août 2012, le preneur a fait opposition à ce commandement et a assigné le bailleur devant le tribunal de grande instance de Nanterre. (?) le bailleur a fait délivrer par exploit d'huissier en date du 14 décembre 2012 un commandement visant la clause résolutoire et valant mise en demeure en application de l'article L. 145-17 du code de commerce, en raison de la violation par le preneur des stipulations du bail" ; que ce protocole stipule que "Les parties souhaitant mettre un terme aux litiges décrits ci-dessus, les parties sont convenues conventionnellement de résilier le bail moyennant le paiement d'une indemnité par le bailleur au preneur. C'est dans ces conditions que les parties ont décidé de conclure le présent protocole transactionnel (?) visant à : - mettre fin aux litiges visés ci-dessus, - résilier le bail et - fixer conventionnellement le montant et les modalités de versement de l'indemnité de résiliation" ; qu'il stipule, sous le titre "concession du preneur" : "le preneur, en contrepartie des concessions du bailleur stipulées à l'article 1.1 ci-dessus, accepte : - de renoncer à tous recours et toute action contre le bailleur au titre du bail. En conséquence, se désister des procédures devant le tribunal de grande instance de Nanterre visées aux points B et C du préambule, signifier à cette fin dans un délai de quinze jours ouvrés à compter de la signature des présentes, des conclusions de désistement d'instance et d'action dans le cadre des procédures susvisées et plus généralement à entreprendre dans le même délai toute démarche afin de mettre un terme définitif à ces procédures" ; qu'il en résulte clairement et sans équivoque aucune que la renonciation de la société Saint-Karas concerne uniquement le litige résultant des commandements de payer des sommes correspondant à des loyers et charges et visant la clause résolutoire, les oppositions formées par la société Saint-Karas, et les procédures initiées devant le tribunal de grande instance de Nanterre par ces oppositions, et, de manière générale, toute action contre le bailleur au titre du bail, non la réparation des préjudices résultant des manquements de la société HB et associés et M. [E] à leurs obligations professionnelles lors de la négociation de ce protocole d'accord ; qu'en considérant que la demande de l'exposante aurait été irrecevable comme se heurtant "à la renonciation sans équivoque de la demanderesse qui, par la transaction (?) à laquelle elle a déclaré avoir librement consenti, a pourtant clairement reconnu être remplie de ca créance de réparation en lien avec la rupture du contrat de bail" et que la société Saint Karas ne serait pas recevable à agir contre son avocat et la SCP HB dont il est membre, la cour d'appel a dénaturé le protocole d'accord du 31 janvier 2013 ;
4°/ qu'un tiers à une transaction ne peut invoquer que la renonciation à un droit que renferme cette transaction ; qu'en considérant que la demande de l'exposante aurait été irrecevable comme se heurtant "à la renonciation sans équivoque de la demanderesse qui, par la transaction (?) à laquelle elle a déclaré avoir librement consenti, a pourtant clairement reconnu être remplie de sa créance de réparation en lien avec la rupture du contrat de bail" et que la société Saint-Karas ne serait pas recevable à agir contre son avocat et la SCP HB dont il est membre, quand la renonciation de la société Saint-Karas, résultant du protocole transactionnel du 31 janvier 2013 ne concernait que le litige né des commandements de payer des sommes correspondant à des loyers et charges et visant la clause résolutoire, les oppositions formées par la société Saint-Karas, et les procédures initiées devant le tribunal de grande instance de Nanterre par ces oppositions, et, de manière générale, toute action contre le bailleur au titre du bail, non la réparation des préjudices résultant des manquements de la société HB et associés et M. [E] à leurs obligations professionnelles lors de la négociation de ce protocole d'accord, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 2049 du code civil, dans leur version antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
5. Après avoir énoncé, à bon droit, que, si, en vertu de l'effet relatif des contrats, les tiers ne peuvent se prévaloir de l'autorité d'une transaction à laquelle ils ne sont pas intervenus, ils peuvent néanmoins invoquer la renonciation à un droit que celle-ci renferme, la cour d'appel a retenu qu'en contrepartie du versement de l'indemnité forfaitaire, la société Sarah avait déclaré que son montant couvrait son entier préjudice du fait de la résiliation du bail commercial et avait renoncé à tout recours contre son bailleur.
6. Sans dénaturer les conclusions des parties et la transaction, ni modifier l'objet du litige, elle n'a pu qu'en déduire que la société Sarah, s'étant s'estimée remplie de ses droits envers la société Silic, n'était plus recevable à agir contre ses avocats en indemnisation d'une perte de chance de percevoir une indemnisation plus favorable du préjudice consécutif à la rupture du bail.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Saint-Karas aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Saint-Karas et la condamne à payer à M. [E] et la SCP HB et associés - [E] Bouillot et associés la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze décembre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour la société Saint-Karas
La société Saint Karas fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué de l'avoir déclarée irrecevable en ses demandes ;
alors 1°/ que l'objet du litige est déterminé en cause d'appel par les prétentions respectives des parties, fixées par le dispositif des dernières conclusions d'appel régulièrement déposées, soutenues par les moyens invoqués dans la discussion ; qu'en déduisant d'une lettre de réclamation amiable du 24 mars 2014 et des conclusions de première instance que la société Saint Karas rechercherait la responsabilité de son ancien avocat dans le but d'obtenir la réparation de la perte de chance d'obtenir une indemnisation plus avantageuse des préjudices subis du fait de la rupture du bail commercial, la cour d'appel, qui a déterminé l'objet du litige à partir d'un courrier adressé par une partie et des conclusions de première instance s'est prononcée par des motifs inopérants et a privé sa décision de base légale au regard des articles 4 et 954 du code de procédure civile ;
alors 2°/ qu' il n'est pas permis au juge de dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'aux termes du dispositif de ses conclusions d'appel, la société Saint Karas demandait à la cour d'appel de « dire et juger que la SCP HB et associés et Maître [J] [E] ont commis des fautes génératrices d'un préjudice au détriment de la société Saint Karas » et de « condamner in solidum la SCP HB et associés et Maître [J] [E] à verser à la société Saint Karas la somme de 140.000 € en réparation du préjudice matériel et moral subi» (conclusions, p. 23), faisant valoir, au soutien de ces demandes le « manque de diligence » (p. 18), et « la non rédaction du protocole » (p. 19), ce dont il résulte clairement et sans équivoque que l'exposante ne demandait pas l'indemnisation des préjudices résultant de la rupture du bail mais la réparation des fautes de la société HB et associés et de M. [E], tenant à leur absence de diligence lorsqu'ils ont reçu l'accord de l'exposante à la proposition de la société Silic, et l'absence de rédaction de leur part 9 sur 21 d'un projet de protocole conforme à cette proposition ; qu'en considérant que la société Saint Karas aurait recherché la responsabilité de son ancien avocat pour obtenir la réparation de la perte de chance d'obtenir une indemnisation plus avantageuse des préjudices subis du fait de la rupture du bail commercial, la cour d'appel a dénaturé les écritures de l'exposante, en violation de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
alors 3°/ qu'il n'est pas permis au juge de dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que le protocole transactionnel du 31 janvier 2013 décrit le litige auquel il a mis fin en rappelant que « par exploit d'huissier en date du 20 octobre 2011, le bailleur a fait délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire d'avoir à régler la somme de 12.670, 30 euros TTC correspondant au loyer du dernier trimestre 2011 et diverses régularisations de charges. Le 18 novembre 2011, le preneur a fait opposition à ce commandement et a assigné le bailleur devant le tribunal de grande instance de Nanterre. Par exploit d'huissier en date du 19 juillet 2012, le bailleur a fait délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire d'avoir à régler la somme de 10.995,41 euros TTC correspondant aux loyers et charges du troisième trimestre 2012. Le 10 août 2012, le preneur a fait opposition à ce commandement et a assigné le bailleur devant le tribunal de grande instance de Nanterre. (?) le bailleur a fait délivrer par exploit d'huissier en date du 14 décembre 2012 un commandement visant la clause résolutoire et valant mise en demeure en application de l'article L. 145-17 du code de commerce, en raison de la violation par le preneur des stipulations du bail » ; que ce protocole stipule que « Les parties souhaitant mettre un terme aux litiges décrits ci-dessus, les parties sont convenues conventionnellement de résilier le bail moyennant le paiement d'une indemnité par le bailleur au preneur. C'est dans ces conditions que les parties ont décidé de conclure le présent protocole transactionnel (?) visant à : - mettre fin aux litiges visés ci-dessus, - résilier le bail et - fixer conventionnellement le montant et les modalités de versement de l'indemnité de résiliation » (pp. 4 et 5) ; qu'il stipule, sous le titre « concession du preneur » :« le preneur, en contrepartie des concessions du bailleur stipulées à l'article 1.1 ci-dessus, accepte : - de renoncer à tous recours et toute action contre le bailleur au titre du bail. En conséquence, se désister des procédures devant le tribunal de grande instance de Nanterre visées aux points B et C du préambule, signifier à cette fin dans un délai de 15 jours ouvrés à compter de la signature des présentes, des conclusions de désistement d'instance et d'action dans le cadre des procédures susvisées et plus généralement à entreprendre dans le même délai toute démarche afin de mettre un terme définitif à ces procédures » ; qu'il en résulte clairement et sans équivoque aucune que la renonciation de la société Saint Karas concerne uniquement le litige résultant des commandements de payer des sommes correspondant à des loyers et charges et visant la clause résolutoire, les oppositions formées par la société Saint Karas, et les procédures initiées devant le tribunal de grande instance de Nanterre par ces oppositions, et, de manière générale, toute action contre le bailleur au titre du bail, non la réparation des préjudices résultant des manquements de la société HB et associés et M. [E] à leurs obligations professionnelles lors de la négociation de ce protocole d'accord ; qu'en considérant que la demande de l'exposante aurait été irrecevable comme se heurtant « à la renonciation sans équivoque de la demanderesse qui, par la transaction (?) à laquelle elle a déclaré avoir librement consenti, a pourtant clairement reconnu être remplie de ca créance de réparation en lien avec la rupture du contrat de bail » et que la société Saint Karas ne serait pas recevable à agir contre son avocat et la SCP HB dont il est membre, la cour d'appel a dénaturé le protocole d'accord du 31 janvier 2013 ;
alors 4°/ qu'un tiers à une transaction ne peut invoquer que la renonciation à un droit que renferme cette transaction ; qu'en considérant que la demande de l'exposante aurait été irrecevable comme se heurtant « à la renonciation sans équivoque de la demanderesse qui, par la transaction (?) à laquelle elle a déclaré avoir librement consenti, a pourtant clairement reconnu être remplie de sa créance de réparation en lien avec la rupture du contrat de bail » et que la société Saint Karas ne serait pas recevable à agir contre son avocat et la SCP HB dont il est membre, quand la renonciation de la société Saint Karas, résultant du protocole transactionnel du 31 janvier 2013 ne concernait que le litige né des commandements de payer des sommes correspondant à des loyers et charges et visant la clause résolutoire, les oppositions formées par la société Saint Karas, et les procédures initiées devant le tribunal de grande instance de Nanterre par ces oppositions, et, de manière générale, toute action contre le bailleur au titre du bail, non la réparation des préjudices résultant des manquements de la société HB et associés et M. [E] à leurs obligations professionnelles lors de la négociation de ce protocole d'accord, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 2049 du code civil, dans leur version antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016.