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14/12/2022 | FRANCE | N°21-11262

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 14 décembre 2022, 21-11262


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

ZB

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 14 décembre 2022

Cassation partielle

Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 1351 F-D

Pourvoi n° A 21-11.262

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 14 DÉCEMBRE 2022

1°/ Mme [Y] [F] veuve [Z],



2°/ Mme [D] [Z],

domiciliées toutes deux [Adresse 1], agissant en qualité ayants droit de [E] [Z], décédé,

ont formé le pourvoi n° A 21-11.26...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

ZB

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 14 décembre 2022

Cassation partielle

Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 1351 F-D

Pourvoi n° A 21-11.262

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 14 DÉCEMBRE 2022

1°/ Mme [Y] [F] veuve [Z],

2°/ Mme [D] [Z],

domiciliées toutes deux [Adresse 1], agissant en qualité ayants droit de [E] [Z], décédé,

ont formé le pourvoi n° A 21-11.262 contre l'arrêt rendu le 27 novembre 2020 par la cour d'appel de Toulouse (4e chambre sociale, section 1), dans le litige les opposant à la société Loomis France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Cavrois, conseiller, les observations de la SCP L. Poulet-Odent, avocat des consorts [Z] ès qualités, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Loomis France, après débats en l'audience publique du 26 octobre 2022 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Cavrois, conseiller rapporteur, M. Rouchayrole, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 27 novembre 2020), M. [Z] a été engagé le 15 décembre 1987 par la société Securipost, reprise par la société Securitas, devenue la société Loomis France, en qualité de convoyeur de fonds. Au dernier état de la relation contractuelle, le salarié exerçait les fonctions de régulateur, statut agent de maîtrise.

2. Convoqué par lettre du 10 septembre 2012 à un entretien préalable au licenciement fixé au 19 septembre 2012, le salarié a été licencié le 26 septembre 2012.

3. Le 27 septembre 2012, après réception de la lettre de licenciement, M. [Z] s'est suicidé.

4. Ses ayants droit ont saisi la juridiction prud'homale le 17 avril 2013, en nullité du licenciement pour harcèlement moral et en paiement de dommages-intérêts.

Examen du moyen

Sur le moyen , pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. Les ayants droit du salarié font grief à l'arrêt de dire n'y avoir lieu à prononcer la nullité du licenciement pour harcèlement moral et de les débouter de leur demande de dommages-intérêts subséquente, alors : « que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral ; que, dans leurs écritures d'appel, Mmes [Z] avaient soutenu que la procédure de licenciement menée contre M. [Z], au regard de sa brutalité et de sa déloyauté, constituait un élément permettant de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral subi par le salarié ; que la brutalité du licenciement et la déloyauté de la procédure de licenciement avaient été retenues par un arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 28 novembre 2019 (n° 18-23.987) pour justifier la faute inexcusable de l'employeur ; qu'à défaut d'examiner si la procédure de licenciement, dont la brutalité et la déloyauté étaient établies, permettait de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral subi par M. [Z], la cour d'appel, qui était pourtant tenue d'examiner l'intégralité des éléments invoqués par Mmes [Z], a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1152-1 et l'article L. 1154-1 du code du travail, ce dernier dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :

6. Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. En vertu de l'article L. 1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

7. Il résulte de ces textes que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments présentés par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

8. Sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.

9. Pour rejeter la demande des ayants droit du salarié, l'arrêt retient que ceux-ci établissaient des faits qui pris dans leur ensemble permettent de présumer le harcèlement, mais que compte tenu des éléments produits par l'employeur il n'y avait pas lieu de retenir le harcèlement invoqué ni de prononcer la nullité du licenciement.

10. En statuant ainsi, alors que les ayants droit, pour faire reconnaître que le salarié avait subi un harcèlement moral, invoquaient le caractère brutal et déloyal de la procédure de licenciement, la cour d'appel, qui n'a pas analysé l'ensemble des faits invoqués devant elle, a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

11. La cassation prononcée entraîne, en application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation, par voie de conséquence, du chef de dispositif disant que le licenciement notifié au salarié repose sur une cause réelle et sérieuse.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE et ANNULE, sauf en ce qu'il déclare recevable la demande de communication de pièce et dit n'y avoir lieu à ordonner la communication par la société Loomis d'un rapport d'expertise Secafi Alpha, l'arrêt rendu le 27 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;

Condamne la société Loomis aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Loomis et la condamne à payer à Mmes [Y] [F] veuve [Z] et [D] [Z]ès qualités la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze décembre deux mille vingt-deux.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP L. Poulet-Odent, avocat aux Conseils, pour les consorts [Z], ès qualités

Mmes [Z] font grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit n'y avoir lieu à prononcer la nullité du licenciement pour harcèlement moral et de les avoir déboutées de leur demande de dommages-intérêts subséquentes ;

1° ALORS QUE pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral ; que, dans leurs écritures d'appel, Mmes [Z] avaient soutenu que la procédure de licenciement menée contre M. [Z], au regard de sa brutalité et de sa déloyauté, constituait un élément permettant de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral subi par le salarié ; que la brutalité du licenciement et la déloyauté de la procédure de licenciement avaient été retenues par un arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 28 novembre 2019 (n° 18-23.987) pour justifier la faute inexcusable de l'employeur ; qu'à défaut d'examiner si la procédure de licenciement, dont la brutalité et la déloyauté étaient établies, permettait de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral subi par M. [Z], la cour d'appel, qui était pourtant tenue d'examiner l'intégralité des éléments invoqués par Mmes [Z], a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail ;

2° ALORS QUE pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral ; que, dans leurs écritures d'appel, Mmes [Z] avaient soutenu que M. [Z] faisait l'objet d'une surveillance accrue sur son poste de travail par ses responsables ; qu'à défaut d'examiner si la surveillance accrue dont faisait l'objet M. [Z] permettait de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral, la cour d'appel, qui était pourtant tenue d'examiner l'intégralité des éléments invoqués par Mmes [Z], a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail ;

3° ALORS QUE les signes de souffrance au travail laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral ; que l'état de vulnérabilité de la victime doit être pris en compte par l'employeur qui en a connaissance dans l'exercice de son pouvoir de direction et de son pouvoir disciplinaire ; qu'en constatant que la société Loomis avait connaissance de « la sensibilité du salarié », de son « état pathologique antérieur » résultant de son dossier médical, et de son « état dépressif [?] ayant motivé notamment une hospitalisation de deux mois en clinique pour dépression en avril et mai 2012 », tout en relevant que « les agissements et décisions de l'employeur sont en effet justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et s'inscrivent dans un exercice normal du pouvoir de direction, dans un souci d'organisation de l'entreprise et de protection de la sécurité des salariés », quand la connaissance par l'employeur de la fragilité psychologique de son salarié l'obligeait à adapter ses mesures disciplinaires ou de direction, notamment en ne le confrontant pas à une rupture brutale de son contrat de travail et à une procédure déloyale de licenciement, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21-11262
Date de la décision : 14/12/2022
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Toulouse, 27 novembre 2020


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 14 déc. 2022, pourvoi n°21-11262


Composition du Tribunal
Président : Mme Monge (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer, SCP L. Poulet-Odent

Origine de la décision
Date de l'import : 20/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2022:21.11262
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