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14/12/2022 | FRANCE | N°20-22863

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 14 décembre 2022, 20-22863


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

OR

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 14 décembre 2022

Cassation partielle

Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 1366 F-D

Pourvoi n° Q 20-22.863

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 14 DÉCEMBRE 2022

M. [Y] [N], domicilié [

Adresse 2], a formé le pourvoi n° Q 20-22.863 contre l'arrêt rendu le 6 mars 2020 par la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion (chambre social...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

OR

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 14 décembre 2022

Cassation partielle

Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 1366 F-D

Pourvoi n° Q 20-22.863

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 14 DÉCEMBRE 2022

M. [Y] [N], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Q 20-22.863 contre l'arrêt rendu le 6 mars 2020 par la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion (chambre sociale), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société [P], société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4], M. [G] [P], pris en qualité de co-liquidateur judiciaire de la société Batipro Promotion,

2°/ à la société Franklin Bach, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], pris en qualité de co-liquidateur judiciaire de la société Batipro Promotion,

3°/ à l'UNEDIC Délégation régionale UNEDIC-AGS Centre Ouest département de la Réunion, dont le siège est [Adresse 1],

défenderesses à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Pietton, conseiller, les observations de Me Carbonnier, avocat de M. [N], de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de la société [P], de la société Franklin Bach, ès qualités, après débats en l'audience publique du 8 novembre 2022 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Pietton, conseiller rapporteur, M. Barincou, conseiller, et Mme Aubac, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis de la Réunion, 6 mars 2020), M. [N] a été engagé le 15 avril 1991 par la société Batipro, en qualité d'attaché de direction. Le 20 mars 2007, il a été nommé directeur général de la société Batipro promotion, appartenant au même groupe.

2. Convoqué le 23 novembre 2009 à un entretien préalable fixé au 30 novembre 2009 avec mise à pied à titre conservatoire, il a été licencié pour faute lourde par lettre du 3 décembre 2009.

3. Contestant son licenciement, il a saisi la juridiction prud'homale de demandes en paiement de diverses sommes.

4. Le 16 novembre 2016, la société Batipro promotion a fait l'objet d'une procédure de sauvegarde, convertie en liquidation judiciaire par jugement du 7 mars 2018, les sociétés [P] et Franklin Bach étant désignées en qualité de liquidateurs.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, ci-après annexé

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes indemnitaires au titre de son licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors « que l'employeur doit agir dans le délai restreint inhérent à toute procédure de licenciement pour faute grave à compter du jour où il a ou aurait dû avoir connaissance des faits fautifs allégués et que M. [N] reprochait à son employeur de ne pas avoir agi dans le délai restreint inhérent à toute procédure de licenciement pour faute lourde ou faute grave en attendant l'expiration d'un délai de presque deux mois pour diligenter les poursuites disciplinaires ; qu'en écartant la prescription, au motif inopérant que l'employeur aurait eu connaissance des faits moins de deux mois avant l'engagement des poursuites, la cour d'appel a violé l'article L. 1332-4 du code du travail par fausse application ensemble les articles L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail par refus d'application. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 :

7. La faute grave étant celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, la mise en oeuvre de la rupture du contrat de travail doit intervenir dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits allégués dès lors qu'aucune vérification n'est nécessaire.

8. Après avoir rappelé les termes de l'article L. 1332-4 du code du travail, l'arrêt retient que, l'exercice de poursuites pénales n'étant pas invoqué, le délai de prescription a commencé à courir du jour où l'employeur a eu connaissance des faits et qu'il appartient à ce dernier d'établir qu'il n'a été informé des faits que moins de deux mois avant l'engagement des poursuites le 23 novembre 2009 et qu'un contrôle, diligenté en octobre 2009 portant sur les chèques émis par le salarié, a révélé les faits visés dans la lettre de licenciement. Il en déduit que la procédure de licenciement ayant été engagée le 23 novembre 2009 à bref délai après l'audit diligenté en octobre 2009, les faits n'étaient pas prescrits.

9. En se déterminant ainsi, sans vérifier, comme elle y était invitée, si la procédure de licenciement avait été mise en oeuvre dans un délai restreint, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs et sur le troisième moyen, qui est subsidiaire, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit le licenciement de M. [N] justifié par une faute grave, l'arrêt rendu le 6 mars 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion autrement composée ;

Condamne les sociétés [P] et Franklin Bach, en leur qualité de liquidateurs de la société Batipro promotion, aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande des sociétés [P] et Franklin Bach, en leur qualité de liquidateurs de la société Batipro promotion et les condamne à payer à M. [N] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze décembre deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par Me0 Carbonnier, avocat aux Conseils, pour M. [N]

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Monsieur [Y] [N] fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR débouté de sa demande tendant à voir juger que son contrat de travail a été suspendu, et de l'AVOIR en conséquence débouté de sa demande en annulation de son licenciement,

1°) ALORS QU'il n'y a cumul entre les fonctions de directeur général et celles de salarié que lorsque le salarié continue à remplir effectivement, dans un lien de subordination envers la société, des fonctions techniques distinctes de son mandat social et qui ne sont pas absorbées par ce dernier ; Que la cour d'appel, après avoir rappelé les pouvoirs conférés à Monsieur [N] dans le cadre de son mandat social, dont les « pouvoirs d'administration générale » et les « pouvoirs en matière financière » (arrêt, p.7), a elle-même relevé qu'il disposait « de pouvoirs étendus dans le cadre du mandat social » (arrêt, p. 8) ; Qu'en décidant cependant que le mandat social de Monsieur [N] se cumulerait avec ses fonctions salariales de directeur administratif et financier, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article L. 1221-1 du code du travail ;

2°) ALORS QU'il n'y a cumul entre les fonctions de directeur général et celles de salarié que lorsque le salarié continue à remplir effectivement, dans un lien de subordination envers la société, des fonctions techniques distinctes de son mandat social et qui ne sont pas absorbées par ce dernier ; Que la cour d'appel a retenu le cumul d'un contrat de travail et d'un mandat social après avoir relevé que Monsieur [N], dans le cadre du mandat social, « devait consulter et obtenir l'accord du président » dans certains cas, et qu'en conséquence il « ne pouvait agir seul dans le cadre du mandat » (arrêt, p. 8) ; Qu'en statuant de la sorte, par une motivation impropre à établir l'existence d'un lien de subordination avec la société dans l'exercice des fonctions techniques distinctes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1221-1 du code du travail ;
3°) ALORS QUE l'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs ; Que la cour d'appel a retenu le cumul d'un mandat social et d'un contrat de travail en l'absence de production par Monsieur [N] de son contrat de travail qui ne lui aurait pas permis de procéder à la comparaison des pouvoirs et attributions avec ceux attribués dans le cadre du mandat social (arrêt, p. 8) ; Qu'en statuant de la sorte, lorsqu'il lui appartenait de se déterminer au regard des conditions de fait dans lesquelles aurait été exercées l'activité salariale, la cour d'appel a violé l'article L. 1221-1 du code du travail.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
(SUBSIDIAIRE)

Monsieur [Y] [N] fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR débouté de sa demande tendant à voir juger les faits prescrits, et de l'AVOIR en conséquence débouté de ses demandes indemnitaires au titre de son licenciement sans cause réelle et sérieuse,

1°) ALORS QUE l'employeur doit agir dans le délai restreint inhérent à toute procédure de licenciement pour faute grave à compter du jour où il a ou aurait dû avoir connaissance des faits fautifs allégués ; Que Monsieur [N] reprochait à son employeur de ne pas avoir agi dans le délai restreint inhérent à toute procédure de licenciement pour faute lourde ou faute grave en attendant l'expiration d'un délai de presque deux mois pour diligenter les poursuites disciplinaires (conclusions de Monsieur [N], p.10) ; Qu'en écartant la prescription, au motif inopérant que l'employeur aurait eu connaissance des faits moins de deux mois avant l'engagement des poursuites (arrêt, p.18), la cour d'appel a violé l'article L. 1332-4 du code du travail par fausse application ensemble les articles L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail par refus d'application ;

2°) ALORS QUE l'employeur doit agir dans le délai restreint inhérent à toute procédure de licenciement pour faute grave à compter du jour où il a ou aurait dû avoir connaissance des faits fautifs allégués ; Que Monsieur [N] rappelait la mise en place d'un contrôleur de gestion, à compter de janvier 2008, en vue de la vérification permanente de tous les comptes détaillés des sociétés du groupe Apavou dont la société Batipro Promotion (conclusions de Monsieur [N], p. 11) ; Qu'en disant cependant que l'employeur n'aurait été informé des agissements qu'à compter d'un audit diligenté en octobre 2009, sans s'expliquer sur les éléments déjà portés à la connaissance de l'employeur dans le cadre du contrôle de gestion, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;

3°) ALORS QUE l'employeur doit agir dans le délai restreint inhérent à toute procédure de licenciement pour faute grave à compter du jour où il a ou aurait dû avoir connaissance des faits fautifs allégués ; Que Monsieur [N] rappelait encore que les faits reprochés remontent pour certains aux années 2007 et 2008, et que les comptes au titre de l'exercice 2008 ont été approuvés par le conseil d'administration en mars 2009 (conclusions de Monsieur [N], p. 11) ; Qu'en disant cependant que l'employeur n'aurait été informé des agissements qu'à compter d'un audit diligenté en octobre 2009, sans s'expliquer sur les informations nécessairement portées à la connaissance de l'employeur au moment de l'approbation des comptes, la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;

4°) ALORS QUE l'employeur doit agir dans le délai restreint inhérent à toute procédure de licenciement pour faute grave à compter du jour où il a ou aurait dû avoir connaissance des faits fautifs allégués ; Que Monsieur [N] rappelait enfin l'existence d'un contrôle interne sur les notes de frais exercé par le directeur administratif et financier du groupe (conclusions de Monsieur [N], p.12) ; Qu'en disant cependant que l'employeur n'aurait été informé des agissements qu'à compter d'un audit diligenté en octobre 2009, sans s'expliquer sur cette procédure interne de contrôle des notes de frais, la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
(SUBSIDIAIRE)

Monsieur [Y] [N] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit son licenciement justifié par une faute grave et de l'AVOIR en conséquence débouté de ses demandes indemnitaires au titre de son licenciement sans cause réelle et sérieuse,

1°) ALORS QUE la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, ne peut pas reprocher à l'intéressé des faits se rattachant au seul exercice d'un mandat social ; Que Monsieur [N] faisait valoir que la plupart des griefs énoncés par la lettre de licenciement se rattachaient exclusivement à l'exercice de son mandat social (conclusions de Monsieur [N], p. 18 à 23) ; Qu'en disant cependant que ces faits justifieraient son licenciement pour faute grave (arrêt, p. 25), sans s'expliquer sur leur rattachement à l'exercice du mandat social, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1234-1, L. 1234-5, L. 1234-9 et L. 1235-2 du code du travail ;

2°) ALORS QUE la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise ; Que Monsieur [N] rappelait qu'il était salarié du groupe Apavou depuis le 15 avril 1991, et qu'il avait pleinement donné satisfaction à son employeur, ayant bénéficié de plusieurs promotions professionnelles (cf. conclusions de Monsieur [N], p. 5) ; Qu'en disant cependant justifié le licenciement pour faute grave de Monsieur [N], sans placer les faits reprochés en perspective avec l'ancienneté du salarié et l'absence d'antécédents disciplinaires, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;

3°) ALORS QUE la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise ; Que la cour d'appel a elle-même relevé qu'au moins quatre griefs énoncés par la lettre de licenciement n'étaient pas caractérisés (arrêt, p.22 à 25) ; Qu'en disant cependant justifié le licenciement pour faute grave de Monsieur [N], la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 20-22863
Date de la décision : 14/12/2022
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, 06 mars 2020


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 14 déc. 2022, pourvoi n°20-22863


Composition du Tribunal
Président : Mme Mariette (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : Me Carbonnier, SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel

Origine de la décision
Date de l'import : 20/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2022:20.22863
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