LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CH9
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 14 décembre 2022
Cassation partielle
Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1398 F-D
Pourvoi n° E 20-21.750
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 14 DÉCEMBRE 2022
La Régie autonome des transports parisiens, établissement public à caractère industriel et commercial, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° E 20-21.750 contre l'arrêt rendu le 14 octobre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 8), dans le litige l'opposant à M. [S] [T], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Sornay, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la Régie autonome des transports parisiens, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [T], après débats en l'audience publique du 16 novembre 2022 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Sornay, conseiller rapporteur, M. Flores, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 14 octobre 2020) rendu sur renvoi après cassation (Soc. 5 juin 2019, pourvoi n° 18-15.610), M. [T], titulaire d'un doctorat de médecine depuis 1984 et d'un diplôme du médecin du travail depuis le 11 janvier 2008, a été engagé par la Régie autonome des transports parisiens (RATP), à compter du 4 janvier 2010 en qualité de médecin du travail au niveau MEDT + 240, coefficient 1185 de la grille des rémunérations des médecins du travail en vigueur au sein de la RATP en janvier 2010, qui assurait à ces derniers une revalorisation de leur rémunération tous les trois ans.
2. À compter du 1er juillet 2013, la RATP a mis en place une nouvelle grille des rémunérations prenant en compte notamment la date d'acquisition du diplôme de spécialité en santé au travail et prévoyant une revalorisation de la rémunération tous les cinq ans.
3. Estimant que la RATP violait son contrat de travail par un positionnement dans la nouvelle grille salariale ayant pour effet de bloquer toute revalorisation de sa rémunération jusqu'à sa retraite, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de demandes tendant notamment à obtenir un repositionnement conventionnel et un rappel de salaire en résultant.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que la rémunération du salarié est celle résultant, du 1er juillet 2013 au 31 décembre 2013, de l'application du grade 2.600, échelon 1 niveau MED + 562,6 coefficient 1507,6 « ancienneté 25 ans », compte tenu de son ancienneté supérieure à 29 ans à cette date et, à compter du 1er janvier 2014, grade 600, échelon 1, niveau MED + 759, coefficient 1704,0 « ancienneté 30 ans et plus », compte tenu de son ancienneté de 30 ans à cette date, et de le condamner à payer au salarié le rappel de salaire en résultant, qui sera actualisé en fonction de la valeur du point et de la majoration T+C au jour de l'arrêt à intervenir, alors « que sauf stipulation contractuelle ou disposition conventionnelle contraire, l'employeur n'est pas tenu de prendre en compte l'expérience acquise par le salarié avant son embauche pour déterminer son positionnement dans une grille de salaire ; que la circonstance que le salaire d'embauche corresponde, dans la grille de salaire alors applicable, à celui d'un salarié disposant d'une ancienneté équivalente à l'expérience professionnelle antérieure de l'intéressé n'emporte ni garantie de reprise d'ancienneté, ni engagement de l'employeur de tenir compte de l'expérience professionnelle antérieure du salarié dans l'évolution de son salaire, et notamment en cas de changement de grille de salaire ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a constaté que ''le contrat de travail de M. [T] ne comporte aucune clause de reprise d'ancienneté'' et que ''le seul fait qu'il soit recruté au niveau MEDT + 240 et que son salaire soit fixé en référence à ce niveau est sans effet sur l'expression d'une volonté claire et déterminée de reprendre son ancienneté'', a ensuite affirmé qu'en appliquant à la rémunération convenue lors de l'embauche le coefficient 1185 correspondant à une pratique professionnelle de 24 à 27 ans d'expérience, que M. [T] n'avait pas dans le domaine de la médecine du travail mais qui correspondait à sa pratique médicale, la RATP a ''exprimé la volonté claire et non équivoque de prendre en compte la totalité de l'expérience professionnelle de M. [T], indépendamment de la date de validation de son diplôme de capacité de médecin du travail'', ce qui donnait à M. [T] un ''droit acquis à être positionné dans la nouvelle grille de rémunération à un niveau correspondant à la totalité de son expérience professionnelle depuis son doctorat de médecine, le fait qu'une nouvelle grille salariale intervienne par la suite étant sans effet sur cet élément contractualisé'' ; qu'en se fondant sur de tels motifs, impropres à caractériser un engagement contractuel de la RATP de tenir compte de l'intégralité des expériences de médecin de M. [T] dans l'évolution ultérieure de son salaire, de nature à donner au salarié le droit à être positionné dans une nouvelle grille à un coefficient correspondant à la totalité de son expérience professionnelle, et non au seul maintien de son salaire contractuel, la cour d'appel a violé les articles 1134 du code du travail dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et l'article L. 1221-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et l'article L. 1121-1 du code du travail :
5. Aux termes du premier de ces textes, les conventions librement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites, et selon le second, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi.
6. Pour accueillir les demandes du salarié, l'arrêt retient, d'abord, qu'il résulte de l'article premier du contrat de travail qu'aucune clause de reprise d'ancienneté n'a été convenue entre les parties et que le fait qu'il soit prévu, dans ce même article, qu'il était recruté au niveau MEDT + 240 et que son salaire soit fixé en référence à ce niveau est sans effet sur l'expression d'une volonté claire et déterminée de l'employeur de reprendre son ancienneté.
7. L'arrêt retient, ensuite, que lorsque la RATP l'a recruté à compter du 4 janvier 2010, la rémunération prévue a été fixée à un montant correspondant, indépendamment de toute prime d'ancienneté et donc de toute question sur une clause de reprise d'ancienneté, à celle due en référence au coefficient 1185 attaché à une expérience professionnelle comprise entre 24 et 27 ans, cette rémunération ayant été portée en janvier 2011 à un montant brut annuel correspondant au coefficient 1245 se rattachant à une expérience professionnelle de 30 à 33 ans.
8. L'arrêt relève, encore, qu'il ne résulte d'aucune disposition réglementaire, et qu'il n'est pas soutenu, que l'employeur du praticien devenu, par reconversion, médecin du travail en application de l'article L. 246–1 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi du 17 janvier 2002, était tenu de lui appliquer un coefficient en considération de sa date d'obtention du doctorat, alors que seul l'octroi du diplôme qualifiant permettait l'exercice de la médecine du travail.
9. L'arrêt en déduit qu'en appliquant à la rémunération convenue lors de l'embauche le coefficient 1185 faisant référence à une pratique professionnelle de 24 à 27 ans que le salarié n'avait pas dans le domaine de la médecine du travail, ce que la RATP n'ignorait pas, et donc en retenant sa pratique médicale depuis 1984, date de l'obtention du doctorat qui ne lui consacrait pas de spécialité de médecine du travail, l'employeur, qui n'y était pas contraint, a exprimé ainsi la volonté claire et non-équivoque de prendre en compte la totalité de l'expérience professionnelle de l'intéressé, indépendamment de la date de validation de son diplôme de capacité de médecin du travail obtenu en 2008, laquelle aurait dû conduire en application du décret n° 2003–958 du 3 octobre 2003 et s'il ne s'était agi que de mettre en oeuvre la grille conventionnelle de rémunérations, à lui appliquer un coefficient moindre.
10. L'arrêt conclut que le salarié bénéficiait d'un droit acquis à être positionné dans la grille de rémunération à un niveau correspondant à la totalité de son expérience professionnelle depuis son doctorat en médecine, le fait qu'une nouvelle grille salariale intervienne par la suite étant sans effet sur cet élément contractualisé.
11. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté l'absence de clause de reprise d'ancienneté dans le contrat de travail, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser la volonté claire et non-équivoque de l'employeur de prendre en compte l'expérience professionnelle du salarié lors de son engagement, de nature à constituer un droit acquis de l'intéressé à être positionné, dans la nouvelle grille conventionnelle des rémunérations, à un niveau d'ancienneté correspondant à la totalité de son expérience professionnelle de médecin, a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
12. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation prononcée entraîne, par voie de conséquence, la cassation des chefs du dispositif de l'arrêt déboutant l'employeur de ses demandes reconventionnelles fondées sur les articles 32-1 et 700 du code de procédure civile et le condamnant aux dépens ainsi qu'au paiement d'une indemnité au titre des frais irrépétibles exposés tant en première instance qu'en cause d'appel, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
13. Elle n'atteint pas en revanche le chef du dispositif de l'arrêt disant que la RATP est réputée s'en tenir aux moyens et prétentions qu'elle avait soumises à la cour d'appel dont l'arrêt a été cassé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qui dit que la Régie autonome des transports parisiens est réputée s'en tenir aux moyens et prétentions qu'elle avait soumis à la cour d'appel dont l'arrêt a été cassé, l'arrêt rendu le 14 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne M. [T] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze décembre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la Régie autonome des transports parisiens.
La RATP fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR infirmé le jugement du 12 août 2016, d'AVOIR dit que la rémunération de M. [T] est celle résultant du 1er juillet 2013 au 31 décembre 2013, de l'application du grade 2.600, échelon 1 niveau MED +562,6 coefficient 1507,6 « ancienneté 25 ans », compte tenu de son ancienneté supérieure à 29 ans à cette date et, à compter du 1er janvier 2014, grade 600, échelon 1, niveau MED +759, coefficient 1704,0 « ancienneté 30 ans et plus », compte tenu de son ancienneté de 30 ans à cette date et d'AVOIR condamné la RATP à payer à M. [T] le rappel de salaire en résultant, qui sera actualisé en fonction de la valeur du point et de majoration T+C au jour de l'arrêt à intervenir ;
1. ALORS QUE sauf stipulation contractuelle ou disposition conventionnelle contraire, l'employeur n'est pas tenu de prendre en compte l'expérience acquise par le salarié avant son embauche pour déterminer son positionnement dans une grille de salaire ; que la circonstance que le salaire d'embauche corresponde, dans la grille de salaire alors applicable, à celui d'un salarié disposant d'une ancienneté équivalente à l'expérience professionnelle antérieure de l'intéressé n'emporte ni garantie de reprise d'ancienneté, ni engagement de l'employeur de tenir compte de l'expérience professionnelle antérieure du salarié dans l'évolution de son salaire, et notamment en cas de changement de grille de salaire ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a constaté que « le contrat de travail de M. [T] ne comporte aucune clause de reprise d'ancienneté » et que « le seul fait qu'il soit recruté au niveau MEDT +240 et que son salaire soit fixé en référence à ce niveau est sans effet sur l'expression d'une volonté claire et déterminée de reprendre son ancienneté », a ensuite affirmé qu'en appliquant à la rémunération convenue lors de l'embauche le coefficient 1185 correspondant à une pratique professionnelle de 24 à 27 ans d'expérience, que M. [T] n'avait pas dans le domaine de la médecine du travail mais qui correspondait à sa pratique médicale, la RATP a « exprimé la volonté claire et non équivoque de prendre en compte la totalité de l'expérience professionnelle de M. [T], indépendamment de date de validation de son diplôme de capacité de médecin du travail », ce qui donnait à M. [T] un « droit acquis à être positionné dans la nouvelle grille de rémunération à un niveau correspondant à la totalité de son expérience professionnelle depuis son doctorat de médecine, le fait qu'une nouvelle grille salariale intervienne par la suite étant sans effet sur cet élément contractualisé » ; qu'en se fondant sur de tels motifs, impropres à caractériser un engagement contractuel de la RATP de tenir compte de l'intégralité des expériences de médecin de M. [T] dans l'évolution ultérieure de son salaire, de nature à donner au salarié le droit à être positionné dans une nouvelle grille à un coefficient correspondant à la totalité de son expérience professionnelle, et non au seul maintien de son salaire contractuel, la cour d'appel a violé les articles 1134 du code du travail dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016- 131 du 10 février 2016 et l'article L. 1221-1 du code du travail ;
2. ALORS QUE le juge, tenu de respecter le principe du contradictoire, doit inviter les parties à s'expliquer sur les moyens qu'il décide de relever d'office ; qu'en l'espèce, aucune des parties ne mentionnait, ni ne visait, dans ses conclusions d'appel, les dispositions de la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 et de son décret d'application visant à favoriser l'accession à la profession de médecin du travail ; qu'en décidant d'office d'interpréter les stipulations contractuelles au regard des dispositions de l'article L. 246-1 du code du travail issues de la loi du 17 janvier 2002, du décret n° 2003-958 du 3 octobre 2003 et de son arrêté d'application du 8 octobre 2003, sans inviter les parties à présenter leurs observations sur l'applicabilité et la portée de ces textes, la cour d'appel a méconnu le principe du contradictoire et violé l'article 16 du code de procédure civile.