LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
OR
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 14 décembre 2022
Cassation
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1365 F-D
Pourvois n°
U 20-19.693
et V 20-19.694 JONCTION
Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de M. [O].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 12 janvier 2021
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 14 DÉCEMBRE 2022
La société Fabemi environnement, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 3], a formé les pourvois n° U 20-19.693 et V 20-19.694 contre deux arrêts rendus le 7 juillet 2020 par la cour d'appel de Grenoble (chambre sociale, section A), dans les litiges l'opposant respectivement :
1°/ à M. [L] [J], domicilié [Adresse 1],
2°/ à M. [I] [O], domicilié [Adresse 4],
3°/ à Pôle emploi, dont le siège est [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de ses pourvois, le moyen unique de cassation commun annexé au présent arrêt.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de M. Pietton, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Fabemi environnement, de Me Balat, avocat de MM [O] et [J], après débats en l'audience publique du 8 novembre 2022 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Pietton, conseiller rapporteur, M. Barincou, conseiller, et Mme Aubac, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° U 20-19.693 et V 20-19.694 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon les arrêts attaqués (Grenoble, 7 juillet 2020), MM. [J] et [O], licenciés pour motif économique par la société Fabemi environnement (la société) par lettres du 8 juillet 2016, ont saisi la juridiction prud'homale pour faire juger leur licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. L'employeur fait grief aux arrêts de dire le licenciement pour motif économique des salariés dépourvu de cause réelle et sérieuse, de le condamner à leur payer des sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, alors « que la lettre de licenciement fixe les limites du litige ; qu'en l'espèce, la lettre de licenciement, qui faisait liminairement état d'une chute constante du chiffre d'affaires et des résultats de la société Fabemi environnement depuis 2007, énonçait ensuite : ‘'Face à ce constat il était devenu indispensable de moderniser la ligne de production existante. Cette modernisation devrait permettre de réduire les coûts grâce à l'automatisation de la ligne de production (?). La modernisation de l'usine entraîne donc une réorganisation complète de notre société de façon à en assurer la pérennité. Cette réorganisation nous amène à envisager la suppression de votre poste de travail'‘ ; que cette lettre invoquait ainsi une mutation technologique par automatisation de la chaîne de production à l'origine de la suppression du poste de travail du salarié licencié ; qu'en retenant à l'appui de sa décision qu'il ‘'ressort des termes de la lettre de licenciement que la SAS Fabemi environnement a licencié [le salarié] pour motif économique en raison de difficultés économiques manifestées par une baisse importante de son chiffre d'affaires et des pertes d'exploitation récurrentes'‘ et que ‘'la mutation technologique n'est pas invoquée dans la lettre de licenciement'‘ la cour d'appel, qui a méconnu les termes du litige fixés par la lettre de licenciement, a violé l'article L. 1233-16 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 4 du code de procédure civile et L. 1233-16 du code du travail :
4. La lettre de licenciement qui comporte l'énoncé des motifs économiques invoqués par l'employeur fixe les termes du litige.
5. Pour dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse, les arrêts retiennent qu'il ressort des termes de la lettre de licenciement du 8 juillet 2016 que la société a licencié les salariés pour motif économique en raison de difficultés économiques manifestées par une baisse importante de son chiffre d'affaires depuis 2007 et des pertes d'exploitation récurrentes, que le chiffre d'affaires s'est toutefois stabilisé autour de 10 millions d'euros à compter de l'année 2015. Ils relèvent également que si le résultat d'exploitation de l'entreprise est systématiquement négatif entre 2014 et 2017, il est à noter que la société n'en est pas moins systématiquement à l'équilibre, dès lors que les pertes d'exploitation sont chaque année compensées par un résultat exceptionnel, étant précisé que l'employeur n'apporte aucune précision sur l'origine de cette compensation.
6. Ils ajoutent que dès lors que l'employeur n'a pas produit en appel les comptes annuels consolidés du groupe pour l'exercice 2016, année au cours de laquelle a eu lieu le licenciement, il y a lieu de considérer qu'à la date du licenciement, il n'est pas démontré que le groupe Fabemi rencontrait des difficultés économiques dans le secteur d'activité de la société employeur.
7. Ils soulignent enfin que la mutation technologique n'est pas mentionnée dans la lettre de licenciement et ne peut par conséquent être invoquée par l'employeur pour justifier a posteriori le licenciement.
8. En statuant ainsi, alors que la lettre de licenciement invoquait la modernisation de la ligne de production existante par son automatisation ayant pour effet la suppression du poste de travail de chacun des salariés, ce dont il résultait que le licenciement avait été prononcé à titre principal à raison d'une mutation technologique, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé les textes susvisés.
Portée et conséquence de la cassation
9. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation prononcée sur le moyen entraîne la cassation, par voie de conséquence, du chef de dispositif condamnant l'employeur à rembourser à Pôle emploi les allocations de chômage perçues par les salariés dans la limite de six mois, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes leurs dispositions, les arrêts rendus le 7 juillet 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel de Chambéry ;
Condamne MM. [J] et [O] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des l'arrêts cassés ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze décembre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour la société Fabemi environnement, demanderesse aux pourvois U 20-19.693 et V 20-19.694
La société Fabemi fait grief aux arrêts attaqués d'AVOIR dit que les licenciements économiques de Messieurs [L] [J], [H] [Z], [F] [U], [K] [N], [A] [D], [T] [R], [C] [B] et [I] [O] étaient dépourvus de cause réelle et sérieuse, de l'AVOIR condamnée à payer à ces salariés diverses sommes à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
1°) ALORS QUE la lettre de licenciement fixe les limites du litige ; qu'en l'espèce, la lettre de licenciement, qui faisait liminairement état d'une chute constante du chiffre d'affaires et des résultats de la société Fabemi environnement depuis 2007, énonçait ensuite : « Face à ce constat il était devenu indispensable de moderniser la ligne de production existante. Cette modernisation devrait permettre de réduire les coûts grâce à l'automatisation de la ligne de production (?). La modernisation de l'usine entraine donc une réorganisation complète de notre société de façon à en assurer la pérennité. Cette réorganisation nous amène à envisager la suppression de votre poste de travail » ; que cette lettre invoquait ainsi une mutation technologique par automatisation de la chaîne de production à l'origine de la suppression du poste de travail du salarié licencié ; qu'en retenant à l'appui de sa décision qu'il « ressort des termes de la lettre de licenciement que la SAS Fabemi environnement a licencié [le salarié] pour motif économique en raison de difficultés économiques manifestées par une baisse importante de son chiffre d'affaires et des pertes d'exploitation récurrentes » et que « la mutation technologique n'est pas invoquée dans la lettre de licenciement » la cour d'appel, qui a méconnu les termes du litige fixés par la lettre de licenciement, a violé l'article L. 1233-16 du code du travail ;
2°) ALORS QUE si la lettre de licenciement pour motif économique doit énoncer la ou les causes économiques du licenciement et leur incidence sur l'emploi du salarié, il n'est pas nécessaire pour sa validité qu'elle invoque littéralement l'une des quatre causes génériques prévues par la loi ; que lorsqu'elle fait état de faits précis et matériellement vérifiables, il appartient au juge d'examiner ces faits et de les qualifier au regard des causes économiques légales ; qu'en l'espèce, la lettre de licenciement, qui, sans invoquer une situation de « difficultés économiques » ni de « mutation technologique », faisait liminairement état d'une chute constante du chiffre d'affaires et des résultats de la société Fabemi environnement depuis 2007, énonçait ensuite : « Face à ce constat il était devenu indispensable de moderniser la ligne de production existante. Cette modernisation devrait permettre de réduire les coûts grâce à l'automatisation de la ligne de production (?). La modernisation de l'usine entraine donc une réorganisation complète de notre société de façon à en assurer la pérennité. Cette réorganisation nous amène à envisager la suppression de votre poste de travail » ; qu'en retenant à l'appui de sa décision que « la mutation technologique n'est pas invoquée dans la lettre de licenciement », s'arrêtant ainsi à une exigence formelle non prévue par la loi quand il lui appartenait de vérifier l'existence d'une mutation technologique résultant de l'automatisation de la ligne de production ainsi invoquée, la cour d'appel a violé les articles L.1233-3 et L. 1233-16 du code du travail ;
3°) ALORS QUE l'automatisation de la chaîne de production de l'entreprise, qui représente une mutation technologique, peut constituer une cause économique de suppression d'emploi même si elle n'est pas justifiée par des difficultés économiques ; qu'en l'espèce, la lettre de licenciement énonçait qu'en conséquence d'une dégradation régulière de son chiffre d'affaires et de ses résultats depuis plusieurs années, la société Fabemi environnement s'était résolue à « une modernisation par automatisation de sa ligne de production » emportant suppression des opérations de manutention manuelle et, partant, du poste des salariés ; qu'en déclarant le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse au motif inopérant de l'absence de difficultés économiques avérées au niveau du groupe sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la mutation technologique ainsi opérée ne justifiait pas le licenciement des salariés dont les emplois étaient supprimés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L.1233-3 du code du travail