LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
CM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 8 décembre 2022
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1264 F-D
Pourvoi n° B 21-17.887
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 8 DÉCEMBRE 2022
La société Partedis chauffage sanitaire, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° B 21-17.887 contre l'arrêt rendu le 18 mars 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-2), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société BFSA, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à la société JLP Conseils, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 3], prise en la personne de son président M. [W] [U],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Kermina, conseiller, les observations de Me Haas, avocat de la société Partedis chauffage sanitaire, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société BFSA, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 25 octobre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Kermina, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 18 mars 2021), se plaignant de faits de concurrence déloyale, la société BFSA a saisi le juge des requêtes d'un tribunal de grande instance d'une demande de désignation d'un huissier de justice afin d'accomplir diverses investigations dans les locaux occupés par la société Partedis chauffage sanitaire (la société Partedis) et par la société JLP Conseils, ainsi que dans les locaux occupés professionnellement par M. [U], ancien salarié de la société BFSA.
2. Les sociétés Partedis et JLP Conseils ont assigné la société BFSA aux fins de rétracter l'ordonnance du 5 juin 2019 ayant accueilli la requête et de constater de l'incompétence matérielle du président du tribunal de grande instance de Grasse au profit du président du tribunal de commerce de Cannes.
3. Les sociétés Partedis et JLP Conseils ont relevé appel de l'ordonnance du président du tribunal de grande instance statuant en référé ayant rejeté le moyen tiré de l'incompétence et les ayant déboutées de leurs demandes de rétractation et de nullité des opérations effectuées par l'huissier de justice.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. La société Partedis fait grief à l'arrêt de rejeter l'exception d'incompétence, alors « que le conseil de prud'hommes, qui dispose d'une compétence exclusive pour régler les différends qui opposent les employeurs et leurs salariés et qui naissent à l'occasion du contrat de travail qui les unit, est compétent pour connaître de faits de concurrence déloyale commis par un salarié postérieurement à la rupture du contrat de travail mais directement liés à celui-ci ; qu'en énonçant que le tribunal judiciaire est compétent pour connaître, dans le cadre d'une action en concurrence déloyale, des manquements éventuels d'un ancien salarié à ses obligations de loyauté, confidentialité et non-dénigrement et en considérant, pour retenir la compétence du président du tribunal de grande instance, que les agissements visés par les investigations envisagées étaient susceptibles de donner lieu à une action en responsabilité délictuelle devant le tribunal judiciaire, la cour d'appel a violé l'article L. 1411-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Sur la recevabilité du moyen
5. La société BFSA soutient que le moyen n'est pas recevable aux motifs que la société Partedis, qui a revendiqué dans ses conclusions la compétence du président du tribunal de commerce, ne peut pas soutenir devant la Cour de cassation que le conseil de prud'hommes serait compétent, et, qu'étant une société commerciale, elle ne peut pas invoquer l'incompétence de la juridiction civile au profit de la juridiction prud'homale, n'ayant pas la qualité de salariée.
6. La société Partedis, qui ne revendiquait pas devant les juges du fond la compétence du conseil de prud'homme mais celle du président du tribunal du tribunal de commerce, soutenait que la compétence du conseil de prud'hommes, pour juger au fond le litige de concurrence déloyale susceptible d'opposer la société BFSA à son ancien salarié, faisait obstacle à la compétence du président du tribunal judiciaire statuant comme juge des requêtes.
7. La société Partedis s'étant bornée à reprendre, devant la Cour de cassation, la thèse qu'elle a développée devant les juges du fond, le moyen est recevable.
Sur le bien-fondé du moyen
8. Si le conseil de prud'hommes est seul compétent pour juger les actes de concurrence commis par le salarié dans le cadre de l'exécution des obligations du contrat de travail, le juge compétent pour connaître de l'action en concurrence déloyale dirigée, postérieurement au contrat de travail, contre un ancien salarié non soumis au respect d'une clause de non-concurrence, pour des faits qui ne sont pas en lien direct avec le contrat de travail, est la juridiction de droit commun si l'intéressé n'a pas la qualité de commerçant.
9. Il s'ensuit que, la compétence d'attribution du juge des requêtes saisi d'une demande de mesures d'instruction in futurum étant déterminée par la compétence d'attribution de la juridiction appelée, ne serait-ce que pour partie, à juger le litige au fond, le requérant est bien fondé à saisir le juge des requêtes du tribunal judiciaire lorsque l'action en concurrence déloyale qu'il envisage relève pour partie de la compétence du tribunal judiciaire.
10. Ayant relevé, par motifs propres et adoptés, qu'il était reproché à M. [U], qui n'était pas tenu par une clause de non-concurrence, des agissements qui consistaient à avoir conservé, après la rupture du contrat de travail, des données commerciales et financières de la société BFSA et à avoir détourné sa clientèle, la cour d'appel, qui a ainsi fait ressortir que ces faits, postérieurs à la rupture du contrat de travail, étaient sans lien direct avec celui-ci, en a exactement déduit que l'action envisagée contre M. [U] relevait de la compétence du tribunal judiciaire, de sorte que le litige, éventuellement à venir entre des sociétés commerciales et une personne physique non commerçante, ayant vocation à être pour partie jugé par une juridiction civile, le président du tribunal judiciaire, statuant comme juge des requêtes, était compétent.
11. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
12. La société Partedis fait grief à l'arrêt de rejeter la demande de nullité des opérations diligentées par l'huissier de justice instrumentaire, alors « que lorsqu'il est saisi sur requête sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile ou au cours d'une mesure d'instruction ordonnée sur ce fondement, le juge peut ordonner d'office le placement sous séquestre provisoire des pièces demandées afin d'assurer la protection du secret des affaires ; qu'en se bornant à relever, pour écarter le moyen tiré de ce que le juge aurait dû ordonner le placement sous séquestre provisoire des éléments collectés, que les investigations ordonnées étaient suffisamment précises circonscrites et proportionnées, la cour d'appel, qui s'est déterminée par des motifs qui ne permettent pas d'écarter une atteinte au secret des affaires, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article R. 153-1 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
13. Ayant rappelé, par motifs propres et adoptés, que la société Partedis avait renoncé, devant le juge des requêtes, à une demande subsidiaire de séquestre et que l'article R. 153-1 du code de commerce se plaçait dans une perspective de communication des pièces, dont la société Partedis se bornait à solliciter désormais la restitution, la cour d'appel, qui a relevé que les investigations de l'huissier de justice étaient suffisamment précises, circonscrites et proportionnées aux faits allégués, a par là-même constaté que la protection du secret des affaires n'imposait pas l'aménagement de la mesure d'instruction.
14. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Partedis chauffage sanitaire aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Partedis chauffage sanitaire et la condamne à payer à la société BFSA la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé et signé par le président en son audience publique du huit décembre deux mille vingt-deux et signé par Mme Thomas, greffier de chambre qui a assisté au prononcé de l'arrêt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par Me Haas, avocat aux Conseils, pour la société Partedis chauffage sanitaire
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
La société Partedis chauffage sanitaire fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué D'AVOIR rejeté son exception d'incompétence ;
ALORS QUE le conseil de prud'hommes, qui dispose d'une compétence exclusive pour régler les différends qui opposent les employeurs et leurs salariés et qui naissent à l'occasion du contrat de travail qui les unit, est compétent pour connaître de faits de concurrence déloyale commis par un salarié postérieurement à la rupture du contrat de travail mais directement liés à celui-ci ; qu'en énonçant que le tribunal judiciaire est compétent pour connaître, dans le cadre d'une action en concurrence déloyale, des manquements éventuels d'un ancien salarié à ses obligations de loyauté, confidentialité et non-dénigrement et en considérant, pour retenir la compétence du président du tribunal de grande instance, que les agissements visés par les investigations envisagées étaient susceptibles de donner lieu à une action en responsabilité délictuelle devant le tribunal judiciaire, la cour d'appel a violé l'article L. 1411-1 du code du travail.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
La société Partedis chauffage sanitaire fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué D'AVOIR rejeté sa demande de nullité des opérations diligentées par l'huissier de justice instrumentaire ;
ALORS QUE lorsqu'il est saisi sur requête sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile ou au cours d'une mesure d'instruction ordonnée sur ce fondement, le juge peut ordonner d'office le placement sous séquestre provisoire des pièces demandées afin d'assurer la protection du secret des affaires ; qu'en se bornant à relever, pour écarter le moyen tiré de ce que le juge aurait dû ordonner le placement sous séquestre provisoire des éléments collectés, que les investigations ordonnées étaient suffisamment précises circonscrites et proportionnées, la cour d'appel, qui s'est déterminée par des motifs qui ne permettent pas d'écarter une atteinte au secret des affaires, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article R. 153-1 du code de commerce.