LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 7 décembre 2022
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 854 F-D
Pourvoi n° Q 21-16.933
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 7 DÉCEMBRE 2022
1°/ M. [D] [H], domicilié [Adresse 4],
2°/ l'association California Ranch, dont le siège est [Adresse 4],
ont formé le pourvoi n° Q 21-16.933 contre les arrêts rendus les 12 novembre 2020 et 11 février 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-5), dans le litige les opposant :
1°/ à la Société d'aménagement foncier et d'établissement rural de Corse (Safer), dont le siège est Maison de l'agriculture, [Adresse 2],
2°/ à M. [N] [E], domicilié [Adresse 3], notaire associé de la société [N] [E] et [Y] [F] [E],
3°/ à la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de la Corse, dont le siège est [Adresse 1], société coopérative,
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Schmitt, conseiller référendaire, les observations de Me Carbonnier, avocat de M. [H] et de l'association California Ranch, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [E], de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la Safer de la Corse, de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de la Corse, après débats en l'audience publique du 25 octobre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Schmitt, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 12 novembre 2020 rectifié par arrêt du 11 février 2021), rendu sur renvoi après cassation (3e Civ., 28 mars 2019, pourvoi n° 17-20.884), la société civile immobilière Loisirs d'Oletta, propriétaire de parcelles, les a mises à disposition de l'association California Ranch (l'association), qui a pour objet des activités équestres.
2. La caisse régionale de Crédit agricole mutuel de la Corse (la CRCAM), adjudicataire de ces parcelles, ayant accepté de les vendre à M. [H], président de l'association, la Société d'aménagement foncier et d'établissement rural de la Corse (la Safer) a fait connaître sa décision d'exercer son droit de préemption.
3. M. [H] et l'association ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux en reconnaissance d'un bail à ferme et d'un droit de préemption prioritaire au bénéfice de l'association, en annulation des décisions de préemption et de rétrocession de la Safer, en constatation de vente parfaite et en dommages-intérêts.
Examen des moyens
Sur le troisième moyen, ci-après annexé
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. L'association et M. [H] font grief à l'arrêt de déclarer ce dernier irrecevable à agir en annulation de la décision de préemption prise par la Safer, alors « que pour justifier en appel les prétentions qu'elles avaient soumises au premier juge, les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que M. [H] avait constamment soutenu qu'il représentait l'association seule titulaire du bail et qu'il ne s'était pas prévalu, avant l'instance d'appel, d'aucun titre ou droit personnel sur les parcelles préemptées par la Safer de la Corse, refusant ainsi d'examiner le nouveau moyen de M. [H] tiré du fait qu'il avait qualité pour demander l'annulation de la décision de préemption prise par la Safer de la Corse le 16 février 2006 ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 563 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 563 du code de procédure civile :
6. Aux termes de ce texte, pour justifier en appel les prétentions qu'elles avaient soumises au premier juge, les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves.
7. Pour déclarer M. [H] irrecevable à agir en annulation de la décision de préemption, l'arrêt relève qu'il ne s'est prévalu, avant l'instance d'appel, d'aucun titre ou droit personnel sur les parcelles préemptées par la Safer et que dès lors, il ne justifie pas d'une qualité l'autorisant à poursuivre, sur le fondement de l'article L. 143-2 du code rural, l'annulation de la décision de préemption.
8. En statuant ainsi, alors qu'il lui incombait de répondre au moyen, qui pouvait être invoqué pour la première fois en appel, par lequel M. [H] soutenait avoir qualité, en tant qu'acquéreur évincé, à contester la décision de préemption, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur les deuxième et quatrième moyens, réunis
Enoncé des moyens
9. Par leur deuxième moyen, l'association et M. [H] font grief à l'arrêt de rejeter la demande de ce dernier tendant à voir juger parfaite la vente conclue avec la CRCAM, alors « que la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions de la décision censurée qui présentent un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire entre elles ; qu'en l'espèce, la cassation à intervenir sur le premier moyen du pourvoi relatif à l'irrecevabilité de M. [D] [H] à agir en annulation de la décision de préemption prise par la Safer de la Corse le 16 février 2006 entraînera l'annulation, par voie de conséquence, du chef de dispositif ayant rejeté la demande de M. [H] tendant à entendre juger parfaite la vente avec la CRCAM de la Corse, en application de l'article 624 du code de procédure civile. »
10. Par leur quatrième moyen, l'association et M. [H] font grief à l'arrêt de rejeter la demande indemnitaire de ce dernier, alors « que la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions de la décision censurée qui présentent un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire entre elles ; qu'en l'espèce, la cassation à intervenir sur l'un des trois premiers moyens du pourvoi entraînera l'annulation, par voie de conséquence, du chef de dispositif ayant rejeté la demande indemnitaire de M. [H], en application de l'article 624 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 624 du code de procédure civile :
11. Aux termes de ce texte, la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l'arrêt qui la prononce. Elle s'étend également à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.
12. La cassation du chef de dispositif relatif à l'irrecevabilité de l'action de M. [H] en annulation de la décision de préemption s'étend aux chefs de dispositif concernant le rejet de la demande tendant à voir dire parfaite la vente intervenue entre M. [H] et la Safer ainsi que de la demande de M. [H] en dommages-intérêts à l'encontre de cette dernière, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
Portée et conséquences de la cassation
13. La cassation du chef de dispositif relatif à l'irrecevabilité de l'action de M. [H] en annulation de la décision de préemption s'étend également au chef de dispositif concernant la déclaration de vente parfaite entre la Safer et la CRCAM.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare M. [H] irrecevable à agir en annulation de la décision de préemption prise par la société d'aménagement foncier et d'établissement rural de Corse le 16 février 2006, rejette la demande en déclaration de vente parfaite entre M. [H] et la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de la Corse, confirme le jugement en ce qu'il a dit que la vente entre la caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Corse et la société d'aménagement foncier et d'établissement rural de Corse était parfaite et rejette la demande en dommages-intérêts de M. [H] à l'encontre de la Société d'aménagement foncier et d'établissement rural de Corse, l'arrêt rendu le 12 novembre 2020 rectifié par arrêt du 11 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;
Condamne la Société d'aménagement foncier et d'établissement rural de Corse aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept décembre deux mille vingt-deux.
Le conseiller referendaire rapporteur le president
Le greffier de chambre
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par Me Carbonnier, avocat aux Conseils, pour M. [H] et l'association California Ranch
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
L'association California Ranch et M. [D] [H] font grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré M. [D] [H] irrecevable à agir en annulation de la décision de préemption prise par la SAFER de la Corse le 16 février 2006 ;
ALORS QUE pour justifier en appel les prétentions qu'elles avaient soumises au premier juge, les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves ;
Qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que M. [H] avait constamment soutenu qu'il représentait l'association seule titulaire du bail et qu'il ne s'était pas prévalu, avant l'instance d'appel, d'aucun titre ou droit personnel sur les parcelles préemptées par la SAFER de la Corse, refusant ainsi d'examiner le nouveau moyen de M. [H] tiré du fait qu'il avait qualité pour demander l'annulation de la décision de préemption prise par la SAFER de la Corse le 16 février 2006 ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 563 du code de procédure civile.
DEUXIÈ
ME MOYEN DE CASSATION :
L'association California Ranch et M. [D] [H] font grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR rejeté la demande de M. [H] tendant à entendre juger parfaite la vente avec la CRCAM de la Corse ;
ALORS QUE la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions de la décision censurée qui présentent un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire entre elles ; qu'en l'espèce, la cassation à intervenir sur le premier moyen du pourvoi relatif à l'irrecevabilité de M. [D] [H] à agir en annulation de la décision de préemption prise par la SAFER de la Corse le 16 février 2006 entraînera l'annulation, par voie de conséquence, du chef de dispositif ayant rejeté la demande de M. [H] tendant à entendre juger parfaite la vente avec la CRCAM de la Corse, en application de l'article 624 du code de procédure civile.
TROISIÈ
ME MOYEN DE CASSATION :
L'association California Ranch et M. [D] [H] font grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré l'association California Ranch et M. [D] [H] irrecevables à agir en annulation de la décision de rétrocession du 12 juillet 2007 ;
1°) ALORS QUE les juges du fond ne doivent pas dénaturer les conclusions des parties ;
Qu'en l'espèce, après avoir rappelé que l'association California Ranch et M. [D] [H] soutenaient que les conditions de publicité des décisions de rétrocession des SAFER étaient prescrites à peine de nullité sans qu'il ait à apporter la preuve d'un grief, la cour d'appel leur a reproché de ne pas avoir « spécifié la formalité légale qui a été omise ou enfreinte dans le cas d'espèce », quand pourtant, dans leurs conclusions d'appel, ces derniers faisaient valoir que, si la SAFER avait procédé à deux affichages en mairie, après vérification dans les journaux départementaux, aucune publication d'appel à candidature dans deux journaux d'annonces légales, obligatoire avant l'attribution, n'avait été réalisée, et que, partant, la rétrocession à Mme [O] était intervenue en violation de l'article R. 142-3 du code rural et de la pêche maritime, en vigueur lors de la préemption ;
Qu'en dénaturant de la sorte les conclusions d'appel de l'association California Ranch et de M. [D] [H], la cour d'appel a violé le principe susvisé ;
2°) ALORS QUE les juges du fond doivent préciser sur quelles pièces ils se fondent ;
Qu'en l'espèce, après avoir rappelé que l'association California Ranch et M. [D] [H] soutenaient que les conditions de publicité des décisions de rétrocession des SAFER étaient prescrites à peine de nullité sans que le demandeur ait à apporter la preuve d'un grief, la cour d'appel a considéré que les pièces prouvant que la SAFER avait fait procéder aux formalités de publicité légale figuraient à son dossier de plaidoirie, quand la SAFER n'avait produit aucun des deux journaux dans lesquels l'avis à candidature aurait été publié, ainsi que le révèle son bordereau de pièces ;
Qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.
QUATRIÈ
ME MOYEN DE CASSATION :
L'association California Ranch et M. [D] [H] font grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR rejeté la demande indemnitaire de M. [H] ;
ALORS QUE la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions de la décision censurée qui présentent un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire entre elles ; qu'en l'espèce, la cassation à intervenir sur l'un des trois premiers moyens du pourvoi entraînera l'annulation, par voie de conséquence, du chef de dispositif ayant rejeté la demande indemnitaire de M. [H], en application de l'article 624 du code de procédure civile.