LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° F 22-80.156 F-D
N° 01512
MAS2
6 DÉCEMBRE 2022
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 6 DÉCEMBRE 2022
La [2], partie civile, a formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Pau, chambre correctionnelle, en date du 18 novembre 2021, qui l'a déboutée de ses demandes après relaxe de M. [Y] [M] du chef de sévices graves ou actes de cruauté envers un animal domestique et de M. [F] [H] et de la commune de [Localité 1] du chef de complicité de ce délit.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Samuel, conseiller, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la [2], et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 novembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Samuel, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [Y] [M] a été poursuivi devant le tribunal correctionnel, sur citation directe de la [2] ([2]), du chef de sévices graves ou actes de cruauté envers un animal domestique pratiqués à l'occasion de courses de taureaux organisées à [Localité 1]. La commune de [Localité 1] et M. [F] [H], chargé par elle d'organiser ces courses, ont été poursuivis du chef de complicité de ce délit.
3. Le juge du premier degré a relaxé les prévenus et débouté la [2] de ses demandes.
4. Cette dernière a relevé appel de cette décision.
Examen de la recevabilité du pourvoi formé le 23 novembre 2021
5. La demanderesse, ayant épuisé, par l'exercice qu'elle en avait fait le 22 novembre 2021, le droit de se pourvoir contre l'arrêt attaqué, était irrecevable à se pourvoir à nouveau contre la même décision. Seul est recevable le pourvoi formé le 22 novembre 2021.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt confirmatif attaqué, statuant sur les intérêts civils, en ce qu'il a rejeté la demande de la [2] en dommages et intérêts formée contre M. [M], la commune de [Localité 1] et M. [H], cités devant la juridiction correctionnelle des chefs de sévices graves et actes de cruauté infligés volontairement à des animaux détenus en captivité, en qualité d'auteur pour le premier et de complices pour les deux autres, alors :
« 1°/ que la partie civile, seule appelante d'un jugement de relaxe, peut obtenir de la personne relaxée réparation du dommage causé par la faute civile démontrée à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite ; que si la juridiction pénale, dans cette appréciation, est contrainte par les limites factuelles de la prévention, en ce qu'il ne lui est pas permis de se fonder sur un fait qui ne ressortirait pas à la prévention, elle est en revanche tenue, s'agissant des faits ainsi délimités, d'exercer effectivement son office en recherchant s'ils relèvent ou non de la qualification de faute civile, sans faire porter son examen sur les prévisions du texte pénal relatives aux éléments constitutifs de l'infraction ou à une immunité ; qu'en retenant au contraire que, dans un tel cas, la faute civile du prévenu relaxé en première instance « impliqu[ait] que les faits reprochés entrent dans les prévisions du texte pénal fondant les poursuites initiales » (arrêt, p. 5, huitième alinéa), en ce compris l'immunité pénale prévue au texte d'incrimination, relative à « une tradition locale ininterrompue » (ibid.), et en concluant que « dès lors, les faits objet des poursuites n'entrant pas dans les prévisions de l'article 521-1 alinéa 1 du code pénal, il y a[vait] lieu de débouter la partie civile de sa demande de dommages et intérêts » (arrêt, p. 6, septième alinéa), la cour d'appel a violé les articles 2 et 3 du code de procédure pénale et l'article 1240 du code civil, par fausse interprétation, ensemble l'article 521-1 du code pénal, par fausse application, de même que l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ que les dispositions de l'article 521-1 du code pénal excluant de l'application de ce texte les « courses de taureaux lorsqu'une tradition locale ininterrompue peut être invoquée » , instituent seulement une cause d'irresponsabilité pénale et non une cause d'irresponsabilité civile ; qu'en exonérant néanmoins de toute responsabilité civile les trois prévenus par la considération qu'auraient été réunies les conditions de l'immunité prévue au texte susvisé (arrêt, p. 6, septième alinéa), donc en faisant produire à cette cause d'irresponsabilité pénale l'effet d'une cause d'irresponsabilité civile, la cour d'appel a violé les articles 2 et 3 du code de procédure pénale et l'article 1240 du code civil, ensemble l'article 521-1 du code pénal, par fausse interprétation ;
3°/ qu'à supposer que les dispositions de l'article 521-1 du code pénal excluant de l'application de ce texte les « courses de taureaux lorsqu'une tradition locale ininterrompue peut être invoquée », instituent, non seulement une cause d'irresponsabilité pénale, mais aussi une cause d'irresponsabilité civile, elles sont contraires au principe de valeur constitutionnelle selon lequel toute victime d'un dommage subi par la faute d'une autre personne est en droit d'en obtenir réparation, principe résultant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ; qu'au vu de la question prioritaire de constitutionnalité posée par mémoire distinct dans la présente instance en cassation, le Conseil constitutionnel abrogera les dispositions en cause en tant qu'elles méconnaissent la Constitution ; qu'il en résultera l'annulation de l'arrêt attaqué, dont les dispositions contestées sont le fondement ;
4°/ que la tradition locale ininterrompue, dont la loi fait une cause d'irresponsabilité du chef du délit de sévices graves ou actes de cruauté envers les animaux, s'entend d'une pratique ancrée dans une localité et recueillant l'adhésion d'une part substantielle de la population habitant celle-ci, et ne peut être valablement déduite de la simple persistance de l'intérêt d'un nombre de personnes, du reste n'habitant pas nécessairement la localité, suffisant à remplir les arènes locales ou les lieux accueillant des manifestations festives ou culturelles liées aux courses de taureaux ; qu'en se fondant pourtant, pour apprécier l'existence d'une tradition locale ininterrompue de courses de taureaux dans la ville de [Localité 1], sur la persistance de l'intérêt porté par un nombre de personnes suffisant à remplir les arènes de la ville et les manifestations associées aux courses de taureaux (arrêt, p. 6, quatrième et cinquième alinéas), la cour d'appel a violé l'article 521-1 du code pénal ;
5°/ que la tradition locale ininterrompue doit s'apprécier au regard de l'intérêt suscité par les courses de taureaux comportant des sévices et une mise à mort, sans considération de l'affluence ou de l'intérêt que peuvent susciter les réunions festives organisées concomitamment à ces courses ou les manifestations culturelles consacrées à la tauromachie ; qu'en retenant pourtant, pour en déduire la persistance « de l'intérêt porté à la corrida » par un nombre suffisant de personnes et donc l'existence d'une tradition locale ininterrompue à [Localité 1] (arrêt, p. 6, sixième alinéa), « la réalité d'un public assidu puisque chacune des deux férias de la saison attir[ait] des milliers de personnes tandis qu'il exist[ait] à [Localité 1] cinq associations consacrées à la tauromachie et que cette activité inspir[ait] diverses manifestations intellectuelles, culturelles et artistiques au travers d'expositions, de colloques et de travaux universitaires » (arrêt, p. 6, cinquième alinéa), donc en se fondant sur des manifestations distinctes des courses de taureaux elles-mêmes pour apprécier l'existence d'une tradition locale ininterrompue, la cour d'appel a violé l'article 521-1 du code pénal. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches
7. Pour dire inopérant le moyen de la partie civile selon lequel les intimés ne peuvent, sur son seul appel d'un jugement de relaxe, se prévaloir de l'immunité pénale prévue au septième alinéa de l'article 521-1 du code pénal pour échapper à leur responsabilité civile, l'arrêt attaqué énonce qu'un tel appel a pour effet de déférer à la juridiction du second degré l'action en réparation des conséquences dommageables pouvant résulter de la faute civile du prévenu relaxé, démontrée à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite.
8. Le juge en déduit que, l'action civile engagée devant les juridictions répressives étant accessoire à l'action publique, la faute reprochée doit entrer dans les prévisions du texte pénal fondant les poursuites initiales et qu'il convient donc de rechercher si les intimés peuvent se prévaloir d'une tradition locale ininterrompue rendant inapplicables les dispositions du premier alinéa de l'article 521-1 du code pénal qui réprime le fait, publiquement ou non, d'exercer des sévices graves ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité.
9. En l'état de ces énonciations, l'arrêt n'encourt pas les griefs allégués.
10. En effet, l'exclusion de responsabilité pénale, prévue par le septième alinéa de l'article 521-1 du code pénal, dont bénéficie l'auteur de faits incriminés par le premier alinéa de ce texte, fait obstacle à ce qu'une faute de nature à engager, devant le juge pénal, sa responsabilité civile puisse être démontrée, par la partie civile seule appelante d'un jugement de relaxe, à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite.
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
11. La Cour de cassation ayant, par arrêt en date du 21 juin 2022, dit n'y avoir lieu à renvoi au Conseil constitutionnel de la question prioritaire de constitutionnalité, le grief est devenu sans objet.
Sur le moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches
12. Pour constater l'existence d'une tradition locale ininterrompue de courses de taureaux à [Localité 1] et débouter la partie civile de ses demandes, l'arrêt attaqué énonce qu'une corrida a eu lieu dans cette ville pour la première fois en 1853, que les arènes actuelles, les plus grandes du Sud-Ouest, y ont été construites en 1893 et que, depuis plus d'un siècle et demi, des corridas sont organisées chaque année, actuellement à raison de cinq par an.
13. Le juge ajoute que, pour être cause d'impunité, la tradition suppose la persistance de l'intérêt que lui porte un nombre suffisant de personnes.
14. Il retient que la réalité d'un public assidu est établie puisque chacune des deux férias de la saison attire des milliers de personnes et qu'il existe à [Localité 1] cinq associations consacrées à la tauromachie, laquelle inspire diverses manifestations intellectuelles, culturelles et artistiques au travers d'expositions, de colloques et de travaux universitaires.
15. En statuant ainsi, la cour d'appel a, sans méconnaître l'article 521-1 du code pénal, apprécié souverainement l'existence d'une tradition locale ininterrompue dont se sont prévalus les intimés pour bénéficier de l'exclusion de responsabilité pénale prévue par ce texte.
16. Dès lors, le moyen n'est pas fondé.
17. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
Sur le pourvoi formé le 23 novembre 2021 :
Le déclare IRRECEVABLE ;
Sur le pourvoi formé le 22 novembre 2021 :
Le REJETTE,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le six décembre deux mille vingt-deux.