LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 30 novembre 2022
Cassation partielle
M. MOLLARD, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 718 F-B
Pourvoi n° B 21-17.703
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 30 NOVEMBRE 2022
La société DSL Distribution, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° B 21-17.703 contre l'arrêt rendu le 8 avril 2021 par la cour d'appel de Bourges (chambre civile), dans le litige l'opposant à la société Crédit du Nord, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La société Crédit du Nord a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Boutié, conseiller référendaire, les observations de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société DSL Distribution, de la SARL Cabinet Briard, avocat de la société Crédit du Nord, après débats en l'audience publique du 11 octobre 2022 où étaient présents M. Mollard, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Boutié, conseiller référendaire rapporteur, M. Ponsot, conseiller, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bourges, 8 avril 2021), la société Crédit du Nord (la banque) a consenti divers concours à la société DSL Distribution. Le 13 février 2014, la banque a dénoncé ces concours.
2. Ayant vainement mis en demeure la société DSL Distribution de régler la somme de 24 616,87 euros, la banque l'a assignée en paiement le 3 avril 2018. La société DSL Distribution a sollicité reconventionnellement la condamnation de la banque en paiement de dommages-intérêts pour rupture abusive des concours bancaires.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi principal et le moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi incident, ci-après annexés
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident
Enoncé du moyen
4. La banque fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société DSL Distribution la somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la rupture, sans explication, des concours bancaires, alors « que l'obligation mise à la charge des établissements de crédit par l'article L. 313-12 du code monétaire et financier de fournir à l'entreprise concernée qui en fait la demande les raisons de la réduction ou de l'interruption d'un concours à durée indéterminée décidée à leur initiative ne s'applique que pour autant que cette décision ne soit pas encore effective ; qu'au cas présent, pour condamner la banque à payer à la société DSL Distribution la somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts, la cour d'appel s'est bornée à énoncer que la banque "n'a[vait] fourni aucune explication à sa décision de rompre l'ensemble des concours accordés à la SASU DSL Distribution alors que cette dernière lui en a[vait] fait la demande à plusieurs reprises" et qu'"aucune des preuves qu'elle produi[sait] aux débats ne constitu[ait] la preuve qu'elle aurait fourni une explication à la SASU DSL Distribution directement ou à ses conseils avant la présente instance" ; qu'en statuant de la sorte, sans rechercher, ainsi que cela lui était pourtant expressément demandé par la banque si la société DSL Distribution n'avait pas interrogé celle-ci pour la première fois sur les raisons de l'interruption des concours postérieurement à l'expiration du délai de soixante jours ayant précédé la mise en oeuvre effective de cette décision, de sorte qu'à supposer même que l'établissement de crédit n'ait pas fourni à l'entreprise concernée la raison de l'interruption des concours à durée indéterminée qu'elle lui avait consentis, cette abstention n'était pas de nature à engager sa responsabilité, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 313-12 du code monétaire et financier. »
Réponse de la Cour
5. Il résulte de l'article L. 313-12 du code monétaire et financier que l'entreprise qui subit la réduction ou l'interruption d'un concours bancaire peut, même après l'expiration du délai de préavis, en demander les raisons à la banque et qu'à défaut de réponse, la banque est susceptible de voir sa responsabilité engagée.
6. Le moyen, qui postule le contraire, doit donc être rejeté.
Mais sur le deuxième moyen du pourvoi principal et le moyen, pris en sa troisième branche, du pourvoi incident
Enoncé du moyen
7. La société DSL Distribution fait grief à l'arrêt de ne condamner la banque qu'à lui payer la somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la rupture sans explication, des concours bancaires, alors « que si les juges du fond apprécient souverainement l'importance du dommage et le montant de l'indemnité destinée à le réparer, c'est à la condition de respecter le principe de réparation intégrale du préjudice ; que le juge ne peut procéder à une évaluation forfaitaire de l'indemnisation ; qu'en procédant, pour condamner la société Crédit du Nord à payer une somme de 40 000 euros, à une évaluation forfaitaire du préjudice subi par la société DSL Distribution en raison de la rupture, sans explication, des concours bancaires accordés par la banque, la cour d'appel a violé le principe de réparation intégrale du préjudice, ensemble les articles L. 313-12 du code monétaire et financier et 1147 du code civil alors applicable. »
8. La banque fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société DSL Distribution la somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts, alors « que la réparation du préjudice doit correspondre à ce dernier et ne saurait être forfaitaire ; qu'en fixant à un montant forfaitaire de 40 000 euros l'indemnisation du préjudice prétendument subi par la société DSL Distribution en raison de la rupture des concours bancaires consentis par la banque, la cour d'appel a violé le principe de réparation intégrale du préjudice, ensemble les articles 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige, et L. 313-12 du code monétaire et financier. »
Réponse de la Cour
Vu le principe de la réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit pour la victime :
9. Il résulte de ce principe que la réparation du dommage doit correspondre au préjudice subi et ne peut être appréciée de manière forfaitaire.
10. Pour condamner la banque à payer à la société DSL Distribution la somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts, l'arrêt retient que compte tenu de l'impossibilité de discerner entre les conséquences directes de la rupture des concours et la poursuite d'une baisse des résultats de l'entreprise déjà constatée au cours des exercices précédents, il ne peut être procédé qu'à une évaluation forfaitaire du préjudice subi.
11. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le principe susvisé.
Portée et conséquence de la cassation
12. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt condamnant la banque à payer à la société DSL Distribution la somme forfaitaire de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts entraîne la cassation du chef de dispositif rejetant la demande d'expertise présentée par la société DSL Distribution, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il rejette la demande d'expertise et, l'infirmant partiellement, il condamne la société Crédit du Nord à payer à la société DSL Distribution la somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts, condamne la société Crédit du Nord à payer à la société DSL Distribution la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et condamne la société Crédit du Nord aux entiers dépens de première instance et d'appel, l'arrêt rendu le 8 avril 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Bourges ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par le président en son audience publique du trente novembre deux mille vingt-deux et signé par lui et Mme Fornarelli, greffier présent lors du prononcé.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits au pourvoi principal par la SARL Le Prado - Gilbert, avocat aux Conseils, pour la société DSL Distribution.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
La société DSL Distribution reproche à l'arrêt attaqué,
DE L'AVOIR condamnée à payer la somme de 24 201,75 euros à la société Crédit du Nord avec intérêts au taux légal à compter du 6 décembre 2017 ;
1°) ALORS QUE le décompte produit par la société Crédit du Nord (pièce d'appel n° 27) est illisible et inintelligible, sauf à mentionner un solde débiteur de 24 201,75 euros, ne permettant pas d'établir à quelles factures correspondent les sommes mentionnées en « débit », ni si ces sommes correspondent à des sommes qui seraient dues par la société DSL Distribution au titre de cessions Dailly impayées ; qu'en affirmant, pour condamner la société DSL Distribution à payer la somme de 24 201,75 euros à la société Crédit du Nord, que l'établissement bancaire produirait un décompte (pièce n° 27) qui ferait apparaitre les créances litigieuses ainsi que les encaissements réalisés pour in fine un solde débiteur de 24 201,75 euros, la cour d'appel a violé l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
2°) ALORS QUE, subsidiairement, la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; qu'en condamnant la société DSL Distribution au paiement de la somme de 24 201, 75 euros, après avoir constaté que le décompte justifiant cette condamnation faisait apparaitre un solde dû de 24 616,87 euros, la cour d'appel qui s'est contredite a violé les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
La société DSL Distribution reproche à l'arrêt attaqué,
D'AVOIR condamné la société Crédit du Nord à lui payer la seule somme de 40 000 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice résultant de la rupture, sans explication, des concours bancaires ;
ALORS QUE si les juges du fond apprécient souverainement l'importance du dommage et le montant de l'indemnité destinée à le réparer, c'est à la condition de respecter le principe de réparation intégrale du préjudice ; que le juge ne peut procéder à une évaluation forfaitaire de l'indemnisation ; qu'en procédant, pour condamner la société Crédit du Nord à payer une somme de 40 000 euros, à une évaluation forfaitaire du préjudice subi par la société DSL Distribution en raison de la rupture, sans explication, des concours bancaires accordés par la banque, la cour d'appel a violé le principe de réparation intégrale du préjudice, ensemble les articles L. 313-12 du code monétaire et financier et 1147 du code civil alors applicable.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
La société DSL Distribution reproche à l'arrêt attaqué
DE L'AVOIR déboutée de sa demande d'expertise ;
ALORS QUE les mesures d'instruction peuvent être ordonnées en tout état de cause, dès lors que le juge ne dispose pas d'éléments suffisants pour statuer, la demande ne pouvant être rejetée qu'autant que la mesure est dépourvue d'utilité ; que la société DSL Distribution sollicitait que soit ordonnée une expertise pour chiffrer le son préjudice dû à la rupture sans explication, des concours bancaires si les juges s'estimaient insuffisamment informés ; qu'en se bornant à énoncer qu'il n'y avait pas « lieu d'envisager l'organisation d'une expertise », après avoir évalué forfaitairement le préjudice subi par la société DSL Distribution sur le constat de « l'impossibilité de discerner entre les conséquences directes de la rupture des concours et la poursuite d'une baisse des résultats de l'entreprise déjà constateur au cours des exercices précédents », la cour d'appel qui s'est prononcée par un motif d'ordre général et abstrait a violé les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile. Moyen produit au pourvoi incident par la SARL Cabinet Briard, avocat aux Conseils, pour la société Crédit du Nord.
La société Crédit du Nord fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamnée à payer à la société DSL Distribution la somme de 40 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la rupture, sans explication, des concours bancaires ;
1° Alors que l'obligation mise à la charge des établissements de crédit par l'article L. 313-12 du code monétaire et financier de fournir à l'entreprise concernée qui en fait la demande les raisons de la réduction ou de l'interruption d'un concours à durée indéterminée décidée à leur initiative ne s'applique que pour autant cette décision ne soit pas encore effective ; qu'au cas présent, pour condamner la société Crédit du Nord à payer à la société DSL Distribution la somme de 40 000 euros à titre de dommages-intérêts, la cour d'appel s'est bornée à énoncer que la banque « n'a[vait] fourni aucune explication à sa décision de rompre l'ensemble des concours accordés à la SASU DSL DISTRIBUTION alors que cette dernière lui en a[vait] fait la demande à plusieurs reprises » et qu' « aucune des preuves qu'elle produi[sait] aux débats ne constitu[ait] la preuve qu'elle aurait fourni une explication à la SASU DSL DISTRIBUTION directement ou à ses conseils avant la présente instance » (arrêt, p. 6 , § 1) ; qu'en statuant de la sorte, sans rechercher, ainsi que cela lui était pourtant expressément demandé par l'exposante (conclusions d'appel, p. 7) si la société DSL Distribution n'avait pas interrogé la banque pour la première fois sur les raisons de l'interruption des concours postérieurement à l'expiration du délai de soixante jours ayant précédé la mise en oeuvre effective de cette décision, de sorte qu'à supposer même que l'établissement de crédit n'ait pas fourni à l'entreprise concernée la raison de l'interruption des concours à durée indéterminée qu'elle lui avait consentis, cette abstention n'était pas de nature à engager sa responsabilité, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 313-12 du code monétaire et financier ;
2° Alors que le dommage réparable est celui qui est en relation directe et certaine avec la faute ; qu'au cas présent, après avoir relevé « l'impossibilité de discerner entre les conséquences directes de la rupture des concours et la poursuite d'une baisse des résultats de l'entreprise déjà constatée au cours des exercices précédents » (arrêt, p. 7, § 1), la cour d'appel a condamné la société Crédit du Nord au paiement de la somme de 40 000 euros en réparation du préjudice subi par la société DSL Distribution ; qu'en statuant de la sorte, quand il s'évinçait de ses propres constatations, selon lesquelles la démonstration d'un préjudice causé par la faute de la banque était impossible, que toute réparation était exclue, la cour d'appel a violé les articles L. 313-12 du code monétaire et financier et 1147 du code civil (dans sa rédaction applicable au litige) ;
3° Alors, en toute hypothèse, que la réparation du préjudice doit correspondre à ce dernier et ne saurait être forfaitaire ; qu'en fixant à un montant forfaitaire de 40 000 euros l'indemnisation du préjudice prétendument subi par la société DSL Distribution en raison de la rupture des concours bancaires consentis par la banque, la cour d'appel a violé le principe de réparation intégrale du préjudice, ensemble les articles 1147 du code civil (dans sa rédaction applicable au litige) et L. 313-12 du code monétaire et financier.