LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 30 novembre 2022
Cassation
M. MOLLARD, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 704 F-D
Pourvoi n° Z 20-19.997
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 30 NOVEMBRE 2022
La société France soir groupe, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], anciennement dénommée Mutualize Corporation, a formé le pourvoi n° Z 20-19.997 contre l'arrêt rendu le 18 juin 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 9), dans le litige l'opposant à M. [G] [B], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Ponsot, conseiller, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de la société France soir groupe, anciennement dénommée Mutualize Corporation, de la SCP Spinosi, avocat de M. [B], après débats en l'audience publique du 11 octobre 2022 où étaient présents M. Mollard, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Ponsot, conseiller rapporteur, Mme Graff-Daudret, conseiller, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 juin 2020), M. [B], président du conseil d'administration et directeur général de la société Mutualize Corporation, devenue France soir groupe (la société France soir), a démissionné de ses fonctions de président le 5 août 2014, tout en conservant son mandat de directeur général, dont il a été révoqué le 7 octobre 2014.
2. Estimant que cette révocation était intervenue sans juste motif et de manière abusive, il a assigné la société devant un tribunal de commerce, demandant sa condamnation à diverses sommes en réparation de ses préjudices, ainsi qu'au remboursement d'une créance en compte courant et au paiement de sa rémunération pour le mois d'août 2014.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. La société France soir fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande de rejet des pièces et conclusions de M. [B] communiquées le 21 novembre 2019, soit le jour de l'ordonnance de clôture, alors « que le juge est tenu de respecter l'objet du litige tel que délimité par les parties ; qu'en rejetant la demande de rejet des conclusions et pièces adverses communiquées par M. [B] le 21 novembre 2019, jour de l'ordonnance de clôture, au motif que "[s]i la société Mutualize Corporation souhaitait conclure à nouveau, il lui appartenait de le faire et de solliciter le rabat de la clôture ou encore de solliciter le report de l'audience, afin de conclure à nouveau", quand il ressortait de la procédure que celle-ci avait sollicité formellement du président de la juridiction, par message adressé le 21 novembre 2019 à 12 h 16 via le réseau RPVA, soit près d'une heure avant la notification de l'ordonnance de clôture, un report de la clôture, la cour d'appel, qui a dénaturé par omission les prétentions de la société Mutualize Corporation, a méconnu l'objet du litige et ainsi violé l'article 4 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
4. Pour débouter la société France soir de sa demande de rejet des pièces et conclusions de M. [B] communiquées le 21 novembre 2019, date de l'ordonnance de clôture, l'arrêt énonce que si la société souhaitait conclure à nouveau, il lui appartenait de le faire et de solliciter le rabat de la clôture ou encore de solliciter le report de l'audience.
5. En statuant ainsi, alors qu'il ressortait de la procédure que la société France soir avait demandé au conseiller de la mise en état, par message adressé le 21 novembre 2019 à 12 h 16 via le réseau RPVA, soit près d'une heure avant la notification de l'ordonnance de clôture, un report de la clôture, et que la société se référait à ce message dans ses conclusions de procédure déposées avant l'audience, la cour d'appel a dénaturé par omission les prétentions de la société France Soir et violé le principe susvisé.
Et sur ce moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
6. La société France Soir fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'en tout état de cause, lors même que des conclusions déposées le jour de l'ordonnance de clôture seraient recevables, doivent être écartées des débats les pièces communiquées postérieurement à l'ordonnance de clôture ; qu'à l'appui de sa demande de rejet des conclusions et pièces notifiées le jour de la clôture, la société Mutualize Corporation faisait valoir que si les conclusions de M. [B] avaient été notifiées in extremis avant l'ordonnance de clôture intervenue à 13 h 19 le 21 novembre 2019, les vingt-deux pièces nouvelles ne lui avaient été notifiées que postérieurement à celle-ci, à 15 h 56 ; que, dès lors, en rejetant la demande tendant à ce que soient écartées des débats les pièces de M. [B] sans vérifier leur communication antérieurement à l'ordonnance de clôture, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 783 du code de procédure civile dans sa version antérieure à celle issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 783, devenu 802, du code de procédure civile :
7. Aux termes de ce texte, après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office.
8. Pour rejeter la demande de la société France soir, tendant à ce que soient écartées des débats les pièces communiquées par M. [B] le jour de la clôture de la mise en état, l'arrêt énonce qu'aucune des pièces communiquées par M. [B] n'apporte d'élément déterminant.
9. En se déterminant ainsi, sans rechercher si, comme le soutenait la société France soir, ces pièces n'avaient pas été communiquées postérieurement à la notification de l'ordonnance de clôture, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne M. [B] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [B] et le condamne à payer à la société France soir groupe la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par le président en son audience publique du trente novembre deux mille vingt-deux et signé par lui et Mme Fornarelli, greffier présent lors du prononcé.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat aux Conseils, pour la société France soir groupe, anciennement dénommée Mutualize Corporation.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
La société France Soir groupe anciennement dénommée Mutualize Corporation, reproche à l'arrêt attaqué de l'avoir déboutée de sa demande de rejet des pièces et conclusions de M. [B] communiquées le 21 novembre 2019, soit le jour de l'ordonnance de clôture,
1°) ALORS QUE le juge est tenu de respecter l'objet du litige tel que délimité par les parties ; qu'en rejetant la demande de rejet des conclusions et pièces adverses communiquées par M. [B] le 21 novembre 2019, jour de l'ordonnance de clôture, au motif que « Si la société Mutualize Corporation souhaitait conclure à nouveau, il lui appartenait de le faire et de solliciter le rabat de la clôture ou encore de solliciter le report de l'audience, afin de conclure à nouveau » (cf arrêt attaqué, p. 4, § 1), quand il ressortait de la procédure que celle-ci avait sollicité formellement du président de la juridiction, par message adressé le 21 novembre 2019 à 12 h 16 via le réseau RPVA, soit près d'une heure avant la notification de l'ordonnance de clôture, un report de la clôture, la cour d'appel, qui a dénaturé par omission les prétentions de la société Mutualize Corporation, a méconnu l'objet du litige et ainsi violé l'article 4 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE si le juge n'est pas tenu d'écarter des débats des conclusions notifiées le jour de l'ordonnance de clôture, c'est à la condition d'avoir préalablement vérifié que celles-ci ont été communiquées en temps utile, de sorte qu'en rejetant la demande de la société Mutualize Corporation tendant à écarter des débats les conclusions de M. [G] [B] accompagnées de 22 pièces nouvelles notifiées le jour de l'ordonnance de clôture, soit le 21 novembre 2019, après s'être bornée à affirmer qu'« aucune des pièces communiquées par M. [B] n'apporte d'élément déterminant » (cf arrêt attaqué, p. 4, § 2), ce qui ne permet pas de caractériser une communication en temps utile desdites conclusions et pièces, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 15 et 16 du code de procédure civile ;
3°) ALORS en tout état de cause, QUE alors même que des conclusions déposées le jour de l'ordonnance de clôture seraient recevables, doivent être écartées des débats les pièces communiquées postérieurement à l'ordonnance de clôture ; qu'à l'appui de sa demande de rejet des conclusions et pièces notifiées le jour de la clôture, la société Mutualize Corporation faisait valoir que si les conclusions de M. [B] avaient été notifiées in extremis avant l'ordonnance de clôture intervenue à 13 h 19 le 21 novembre 2019, les 22 pièces nouvelles ne lui avaient été notifiées que postérieurement à celle-ci, à 15 heures 56 (cf conclusions d'incident de la société Mutualize Corporation, p. 3, § 1) ; que dès lors, en rejetant la demande tendant à ce que soient écartées des débats les pièces de M. [B] sans vérifier leur communication antérieurement à l'ordonnance de clôture, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 783 du code de procédure civile dans sa version antérieure à celle issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
La société France Soir groupe anciennement dénommée Mutualize Corporation, fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que M. [B] a été révoqué sans juste motif et, en conséquence, de l'avoir condamnée à lui payer une somme de 50.000 € à titre de dommages-intérêts,
ALORS QUE le juge est tenu de motiver sa décision, ce qui lui impose d'examiner, même sommairement, les pièces versées par les parties à l'appui de leurs prétentions ; qu'en se bornant à affirmer péremptoirement, pour réfuter le juste motif de révocation de M. [B] allégué par la société Mutualize Corporation, que dans ses conclusions, celle-ci « ne vise aucune pièce permettant d'établir la réalité des faits reprochés » (cf arrêt attaqué, p. 5, pénultième §), sans avoir examiné, même sommairement, les divers éléments afférents à la comptabilité de la société versées aux débats, établissant les pertes accumulées en raison de la gestion de M. [B], la cour d'appel, qui a méconnu son office, a violé l'article 455 du code de procédure civile.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
La société France Soir groupe anciennement dénommée Mutualize Corporation, fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamnée à payer à M. [B] une somme de 29.573,20 € en remboursement de son compte courant, outre intérêts au taux légal à compter du 24 novembre 2014 et capitalisation des intérêts,
ALORS QU'il appartient à celui qui réclame le paiement d'une créance d'en établir l'existence et le montant ; qu'en énonçant, pour accueillir la demande de M. [B] en remboursement du solde de son compte courant, qu'« il appartient à la société Mutualize Corporation qui conteste le bien-fondé des notes de frais passées en comptabilité et régulièrement enregistrées de démontrer qu'elles n'étaient pas dues » (cf arrêt attaqué, p. 7, antépénultième §), quand il appartenait au contraire à M. [B] de justifier que les frais dont il avait obtenu la prise en charge par la société correspondaient à des frais exposés dans le cadre de ses fonctions au sein de la société, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé l'article 1315 du code civil devenu l'article 1353.
QUATRIEME MOYEN DE CASSATION :
La société France Soir groupe anciennement dénommée Mutualize Corporation, fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamnée à payer à M. [B] une somme de 5.000 €, nette de toutes charges sociales, au titre de sa rémunération d'août 2014, avec intérêts au taux légal à compter de l'acte introductif d'instance et capitalisation des intérêts,
ALORS QUE, dans les sociétés anonymes, le conseil d'administration détermine la rémunération du directeur général et des directeurs généraux délégués ; qu'en l'espèce, il résulte des constatations de l'arrêt que M. [B] a démissionné de ses fonctions de président du conseil d'administration de la société Mutualize Corporation le 5 août 2014 et qu'il a été nommé à cette date directeur général de cette société ; qu'en se bornant à énoncer, pour condamner la société Mutualize Corporation à verser à M. [B] une rémunération de 5.000 euros au titre de sa fonction de directeur général pour la période du 6 au 31 août 2014, que M. [B], qui a renoncé à une rémunération pour le dernier quadrimestre 2014, « n'a à aucun moment renoncé à une rémunération pour le mois d'août 2014 » (cf. arrêt attaqué, p. 8, § 4), sans constater l'existence d'une délibération votée par le conseil d'administration, fixant le principe et le montant d'une telle rémunération pour la période considérée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 225-53, alinéa 3 du code de commerce dans sa version issue de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 applicable à la cause.