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30/11/2022 | FRANCE | N°19-20027

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 30 novembre 2022, 19-20027


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

BD4

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 30 novembre 2022

Cassation partielle

Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 1284 F-D

Pourvoi n° M 19-20.027

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 30 NOVEMBRE 2022

M. [K] [E], domicilié [Adres

se 3], a formé le pourvoi n° M 19-20.027 contre l'arrêt rendu le 23 mai 2019 par la cour d'appel de Caen (chambre sociale, section 1), dans le l...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

BD4

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 30 novembre 2022

Cassation partielle

Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 1284 F-D

Pourvoi n° M 19-20.027

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 30 NOVEMBRE 2022

M. [K] [E], domicilié [Adresse 3], a formé le pourvoi n° M 19-20.027 contre l'arrêt rendu le 23 mai 2019 par la cour d'appel de Caen (chambre sociale, section 1), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Cimlec industrie, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de la société Commercy robotique

2°/ à Pôle emploi de Flers, dont le siège est [Adresse 2],

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Rouchayrole, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de M. [E], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Cimlec industrie, après débats en l'audience publique du 12 octobre 2022 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Rouchayrole, conseiller rapporteur, Mme Lecaplain-Morel, conseiller, et Mme Piquot, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 23 mai 2019), M. [E] a été engagé le 11 février 2011 en qualité d'ingénieur robotique par la société Tenwill. Son contrat a été transféré, à compter du 1er février 2012, à la société Robokeep puis, à compter du 1er décembre 2013, à la société Commercy robotique, aux droits de laquelle vient la société Cimlec industrie (la société).

2. Le 7 septembre 2016, le salarié a pris acte de la rupture du contrat de travail.

3. Le 28 novembre 2016, il a saisi la juridiction prud'homale de demandes relatives à l'exécution et à la rupture de son contrat de travail.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de rappel d'heures supplémentaires et de congés payés afférents, alors « qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié et au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ; qu'il ne peut, pour rejeter une demande d'heures supplémentaires, se fonder sur l'insuffisance des preuves apportées par le salarié ; qu'en écartant, en l'espèce, les demandes formulées par le salarié au titre de l'accomplissement d'heures supplémentaires, comme n'étayant pas suffisamment sa demande en fournissant un tableau des heures de travail accomplies chaque jour, en ce que ce tableau n'était pas accompagné de pièces et qu'il présentait de ''nombreuses incohérences'' dès lors que des heures de travail étaient systématiquement comptabilisées les samedis, dimanches et jours fériés et que des jours de congés et ''jours de maladie'' apparaissaient comme travaillés, sans rechercher, comme elle y était invitée par le salarié dans ses conclusions si, précisément, la société n'avait pas imposé au salarié une charge de travail telle qu'il était contraint d'effectuer en permanence de grands déplacements en France et à l'étranger et à travailler systématiquement les samedis, dimanches et jours fériés et parfois pendant ses congés payés ou même pendant ses congés de maladie, sans exiger de l'employeur qu'il fournisse, de son côté, des éléments relatifs à cette charge de travail et aux multiples grands déplacements imposés au salarié, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, privant sa décision de base légale au regard des articles L. 3171-4 du code du travail, 1103 et 1353 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 3171-4 du code du travail :

6. Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l'article L. 3171-3 du même code, l'employeur tient à la disposition des membres compétents de l'inspection du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

7. Enfin, selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

8. Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

9. Pour débouter le salarié de sa demande au titre des heures supplémentaires et des congés payés afférents, l'arrêt, après avoir écarté l'application d'une convention de forfait et déclaré fondé le salarié à solliciter un rappel de salaire pour heures supplémentaires suivant le décompte qu'il verse aux débats, retient que ce dernier n'étaye pas sa demande.

10. Il expose qu'en effet, les tableaux qu'il produit se bornent à faire mention d'un nombre total d'heures de travail par jour, sans indication des horaires accomplis et sans qu'ils soient accompagnés d'une explication ou de pièces, de sorte qu'ils n'apportent aucune réponse aux observations circonstanciées de l'employeur qui déclare avoir relevé de nombreuses incohérences dans ces tableaux tenant à la comptabilisation systématique de 12 heures de travail les samedis et dimanches ou à la comptabilisation à de multiples reprises de 7 heures ou 7 heures 60 de travail pour un jour de congé, un jour férié ou un jour de maladie.

11. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations, d'une part, que le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre, d'autre part, que ce dernier ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé le texte susvisé.

Et sur le troisième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

12. Le salarié fait grief à l'arrêt de décider que la société n'a pas commis de manquement grave de nature à justifier la prise d'acte par le salarié de la rupture de son contrat de travail produisant les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, de dire que la prise d'acte doit produire les effets d'une démission et de rejeter les demandes indemnitaires au titre de la rupture du contrat de travail, alors « que la cassation entraîne, sans qu'il y ait lieu à une nouvelle décision, l'annulation par voie de conséquence de toute décision qui est la suite, l'application ou l'exécution de la décision cassée ou qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire ; que la cassation du chef du dispositif de l'arrêt attaqué à intervenir sur le premier moyen de cassation relatif à l'accomplissement d'heures supplémentaires impayées par le salarié, entraînera par voie de conséquence l'annulation du chef du dispositif de l'arrêt relatif à la prise d'acte de la rupture, en ce que la cour d'appel s'appuie notamment sur l'absence d'accomplissement d'heures supplémentaires pour décider que la prise d'acte de la rupture devait produire les effets d'une démission, ce en application de l'article 625 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 624 du code de procédure civile :

13. La cassation prononcée emporte, par voie de conséquence, la cassation du chef de dispositif déboutant le salarié de sa demande tendant à ce que sa prise d'acte produise les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute le salarié de ses demandes de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires, outre les congés payés afférents, et tendant à ce que sa prise d'acte produise les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, l'arrêt rendu le 23 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rouen ;

Condamne la société Cimlec industrie aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Cimlec industrie et la condamne à payer à M. [E] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trente novembre deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour M. [E]

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

L'arrêt attaqué encourt la censure

EN CE QU'IL a, par confirmation, débouté M. [E] de sa demande de rappel d'heures supplémentaires et de congés payés y afférents ;

AUX MOTIFS QUE M. [E] soutient que la convention de forfait est inopposable et s'estime en conséquence fondé à solliciter un rappel de salaire pour heures supplémentaires suivant le décompte qu'il verse aux débats ; qu'à supposer que la convention de forfait signée ne reçoive pas application, force est de relever qu'il n'étaye pas sa demande ; qu'en effet, il présente des tableaux faisant mention d'un nombre d'heures total d'heures de travail par jour, sans aucune indication des horaires accomplis, sans accompagner ces tableaux de la moindre explication ou pièce et il n'apporte aucune réponse aux observations circonstanciées de la société COMMERCY ROBOTIQUE qui déclare avoir relevé de nombreuses incohérences dans ces tableaux tenant à la comptabilisation systématique de 12 heures de travail les samedis et dimanches ou à la comptabilisation à de multiples reprises de 7 heures ou 7h60 de travail pour un jour de congé, un jour férié ou un jour de maladie ;

ALORS QUE en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié et au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ; qu'il ne peut, pour rejeter une demande d'heures supplémentaires, se fonder sur l'insuffisance des preuves apportées par le salarié ; qu'en écartant, en l'espèce, les demandes formulées par le salarié au titre de l'accomplissement d'heures supplémentaires, comme n'étayant pas suffisamment sa demande en fournissant un tableau des heures de travail accomplies chaque jour, en ce que ce tableau n'était pas accompagné de pièces et qu'il présentait de « nombreuses incohérences » dès lors que des heures de travail étaient systématiquement comptabilisées les samedis, dimanches et jours fériés et que des jours de congés et « jours de maladie » apparaissaient comme travaillés, sans rechercher, comme elle y était invitée par le salarié dans ses conclusions (p. 2, 3, 9, 12 et 15) si, précisément, la société COMMERCY ROBOTIQUE n'avait pas imposé à M. [E] une charge de travail telle qu'il était contraint d'effectuer en permanence de grands déplacements en France et à l'étranger et à travailler systématiquement les samedis, dimanches et jours fériés et parfois pendant ses congés payés ou même pendant ses congés de maladie, sans exiger de l'employeur qu'il fournisse, de son côté, des éléments relatifs à cette charge de travail et aux multiples grands déplacements imposés au salarié, la cour d'appel n'a pas mis la cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, privant sa décision de base légale au regard des articles L. 3171-4 du code du travail, 1103 et 1353 du code civil.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :

L'arrêt attaqué encourt la censure

EN CE QU'IL a décidé que M. [E] n'avait pas subi de harcèlement moral de son employeur, le déboutant, par conséquent, de ses demandes indemnitaires à ce titre ;

AUX MOTIFS QUE M. [E] soutient qu'il disposait d'un statut cadre d'ingénieur robotique et exerçait des fonctions d'encadrement mais a été déplacé et cantonné à un rôle de technicien et s'est vu retirer toutes fonctions d'encadrement alors même que l'employeur disposait d'un poste en adéquation avec sa qualification et son expérience ; qu'il en veut pour preuve ses pièces 17, 22 à 27 ; que M. [B], chef de projet, atteste (pièce 22) que M. [E] était censé être le chef de chantier sur le projet rénovation Robot en avril 2014 mais que quelques semaines après il a commencé à ne plus être disponible, sa hiérarchie préférant l'utiliser pour le service DEFI ; que M. [L], négociateur VRP, atteste (pièce 23) que dans l'activité de rénovation robotique M. [E] était chef de chantier mais au bout de deux à trois mois a été contraint de quitter l'activité pour intégrer le service DEFI, service de technicien itinérant, pour faire un tout autre travail ; que la pièce 17 est une annonce datant du 12 juillet 2016 portant sur un poste de responsable opération HF dont rien n'indique qu'il correspondait au poste contractuel de M. [E] ; que les pièces 24 à 27 consistent en 12 pages d'échange de mails datés de février 2017 relatifs au déroulement de chantiers sur lesquels M. [E] n'apporte aucun commentaire permettant à la cour de se convaincre qu'il en résulterait des éléments utiles à la démonstration relative à un déclassement antérieur à la rupture ; qu'ayant été relevé que M. [E] a été embauché en qualité d'ingénieur robotique et étant constaté que celui-ci ne verse aux débats aucune justification précise (les attestations susvisées sont vagues, outre qu'elles portent sur une période antérieure de plus de deux ans à la prise d'acte) sur les fonctions réellement exercées et en quoi celles qui lui auraient été confiées ensuite ne correspondraient pas au poste tel que défini dans le contrat, le prétendu déclassement n'est pas prouvé ;

ET AUX MOTIFS ENCORE QUE dans un titre de ses conclusions intitulé "Sur la dépression", M. [E] présente non pas des explications mais des contestations sur des arguments de l'employeur sans jamais expliciter clairement ce qu'il soutient, notamment quant aux conséquences qu'il entend tirer de la délivrance par le médecin du travail d'un certificat le 3 août 2016 concluant : "Apte pour un mois. A revoir avant la fin de cette période pour nouvelle détermination d'aptitude" ; qu'il se réfère à ses pièces 15 (un certificat du docteur [J], médecin généraliste, attestant le prendre en charge depuis décembre 2015 pour un syndrome dépressif consécutif à une conflit avec l'employeur) et 16 (une attestation de son épouse se disant en instance de divorce et séparée depuis mai 2014 qui évoque le fait que M. [E] lui a fait part du harcèlement et des pressions quotidiennes subies depuis 2013 et du fait que toutes ses responsabilités lui ont été retirées et atteste avoir constaté chez lui une agressivité, une irritabilité, une consommation d'alcool importante et une hospitalisation psychiatrique en octobre 2014) qui, en l'absence de tout autre élément de preuve relatif à des manquements de l'employeur, ne peuvent suffire à étayer l'allégation de harcèlement moral qu'il énonce par ailleurs à l'appui d'une demande de dommages et intérêts ;

ALORS QUE, premièrement, le fait, par un employeur, de diminuer les responsabilités d'un salarié en l'affectant sur un emploi correspondant à une qualification inférieure est de nature à laisser présumer un harcèlement moral ; de sorte qu'en décidant, en l'espèce, que les faits invoqués par le salarié et les éléments de preuve qu'il fournissait pour les démontrer n'étaient pas de nature à laisser présumer le harcèlement moral en omettant de rechercher si le fait, établi et non contesté, d'avoir privé M. [E] de sa responsabilité de chef de chantier dans le cadre de l'activité de rénovation robotique pour l'affecter au service « DEFI », service de technicien itinérant, correspondant à une qualification inférieure à sa qualification d'ingénieur robotique ne laissait pas présumer un harcèlement moral, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail ;

ALORS QUE, deuxièmement, les juges du fond ne peuvent décider, au vu d'un certificat médical faisant ressortir une dégradation de l'état de santé d'un salarié consécutive à des difficultés professionnelles, que les faits établis par le salarié ne laissent pas présumer le harcèlement moral sans préciser en quoi la dégradation de l'état de santé du salarié n'avait pas d'origine professionnelle ; de sorte qu'en décidant, en l'espèce, que la dégradation de l'état de santé de M. [E] n'avait pas pour origine des agissements de harcèlement moral de son employeur, en présence d'un certificat médical attestant d'une prise en charge depuis le mois de décembre 2015 pour un syndrome dépressif consécutif à un conflit avec l'employeur, sans préciser en quoi la dégradation de l'état de santé de celui-ci n'avait pas d'origine professionnelle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail.

ALORS QUE, troisièmement, en procédant à une appréciation séparée, superficielle et incomplète des faits invoqués par le salarié, alors qu'il lui appartenait de dire si, pris dans leur ensemble, les éléments matériellement établis permettaient ou non de présumer l'existence d'un harcèlement moral, et dans l'affirmative, d'apprécier les éléments de preuve fournis par l'employeur pour démontrer que l'appauvrissement des missions et responsabilités, le défaut de paiement de l'intégralité du salaire et les conditions de travail dénoncées par M. [E] étaient ou non étrangères à tout harcèlement moral, la cour d'appel a violé les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION :

L'arrêt attaqué encourt la censure

EN CE QU'IL a décidé, par confirmation, que la société COMMERCY ROBOTIQUE n'avait pas commis de manquement grave de nature à justifier une prise d'acte, par M. [E], de la rupture de son contrat de travail produisant les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et que la prise d'acte devait produire les effets d'une démission, déboutant, par conséquent, celui-ci de ses demandes indemnitaires au titre de la rupture du contrat de travail ;

AUX MOTIFS QUE M. [E] soutient que la convention de forfait est inopposable et s'estime en conséquence fondé à solliciter un rappel de salaire pour heures supplémentaires suivant le décompte qu'il verse aux débats ; qu'à supposer que la convention de forfait signée ne reçoive pas application, force est de relever qu'il n'étaye pas sa demande ; qu'en effet, il présente des tableaux faisant mention d'un nombre d'heures total d'heures de travail par jour, sans aucune indication des horaires accomplis, sans accompagner ces tableaux de la moindre explication ou pièce et il n'apporte aucune réponse aux observations circonstanciées de la société COMMERCY ROBOTIQUE qui déclare avoir relevé de nombreuses incohérences dans ces tableaux tenant à la comptabilisation systématique de 12 heures de travail les samedis et dimanches ou à la comptabilisation à de multiples reprises de 7 heures ou 7h60 de travail pour un jour de congé, un jour férié ou un jour de maladie ;

ET AUX MOTIFS QUE M. [E] soutient qu'il disposait d'un statut cadre d'ingénieur robotique et exerçait des fonctions d'encadrement mais a été déplacé et cantonné à un rôle de technicien et s'est vu retirer toutes fonctions d'encadrement alors même que l'employeur disposait d'un poste en adéquation avec sa qualification et son expérience ; qu'il en veut pour preuve ses pièces 17, 22 à 27 ; que M. [B], chef de projet, atteste (pièce 22) que M. [E] était censé être le chef de chantier sur le projet rénovation Robot en avril 2014 mais que quelques semaines après il a commencé à ne plus être disponible, sa hiérarchie préférant l'utiliser pour le service DEFI ; que M. [L], négociateur VRP, atteste (pièce 23) que dans l'activité de rénovation robotique M. [E] était chef de chantier mais au bout de deux à trois mois a été contraint de quitter l'activité pour intégrer le service DEFI, service de technicien itinérant, pour faire un tout autre travail ; que la pièce 17 est une annonce datant du 12 juillet 2016 portant sur un poste de responsable opération HF dont rien n'indique qu'il correspondait au poste contractuel de M. [E] ; que les pièces 24 à 27 consistent en 12 pages d'échange de mails datés de février 2017 relatifs au déroulement de chantiers sur lesquels M. [E] n'apporte aucun commentaire permettant à la cour de se convaincre qu'il en résulterait des éléments utiles à la démonstration relative à un déclassement antérieur à la rupture ; qu'ayant été relevé que M. [E] a été embauché en qualité d'ingénieur robotique et étant constaté que celui-ci ne verse aux débats aucune justification précise (les attestations susvisées sont vagues, outre qu'elles portent sur une période antérieure de plus de deux ans à la prise d'acte) sur les fonctions réellement exercées et en quoi celles qui lui auraient été confiées ensuite ne correspondraient pas au poste tel que défini dans le contrat, le prétendu déclassement n'est pas prouvé ;

ET AUX MOTIFS ENCORE QUE dans un titre de ses conclusions intitulé "Sur la dépression", M. [E] présente non pas des explications mais des contestations sur des arguments de l'employeur sans jamais expliciter clairement ce qu'il soutient, notamment quant aux conséquences qu'il entend tirer de la délivrance par le médecin du travail d'un certificat le 3 août 2016 concluant : "Apte pour un mois. A revoir avant la fin de cette période pour nouvelle détermination d'aptitude" ; qu'il se réfère à ses pièces 15 (un certificat du docteur [J], médecin généraliste, attestant le prendre en charge depuis décembre 2015 pour un syndrome dépressif consécutif à une conflit avec l'employeur) et 16 (une attestation de son épouse se disant en instance de divorce et séparée depuis mai 2014 qui évoque le fait que M. [E] lui a fait part du harcèlement et des pressions quotidiennes subies depuis 2013 et du fait que toutes ses responsabilités lui ont été retirées et atteste avoir constaté chez lui une agressivité, une irritabilité, une consommation d'alcool importante et une hospitalisation psychiatrique en octobre 2014) qui, en l'absence de tout autre élément de preuve relatif à des manquements de l'employeur, ne peuvent suffire à étayer l'allégation de harcèlement moral qu'il énonce par ailleurs à l'appui d'une demande de dommages et intérêts ;

ALORS QUE, premièrement, la cassation entraîne, sans qu'il y ait lieu à une nouvelle décision, l'annulation par voie de conséquence de toute décision qui est la suite, l'application ou l'exécution de la décision cassée ou qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire ; que la cassation du chef du dispositif de l'arrêt attaqué à intervenir sur le premier moyen de cassation relatif à l'accomplissement d'heures supplémentaires impayées par M. [E], entraînera par voie de conséquence l'annulation du chef du dispositif de l'arrêt relatif à la prise d'acte de la rupture, en ce que la cour d'appel s'appuie notamment sur l'absence d'accomplissement d'heures supplémentaires pour décider que la prise d'acte de la rupture devait produire les effets d'une démission, ce en application de l'article 625 du code de procédure civile ;

ALORS QUE, deuxièmement, la cassation du chef du dispositif de l'arrêt attaqué à intervenir sur la critique du deuxième moyen de cassation relatif à l'appauvrissement des missions et des responsabilités de M. [E], entraînera par voie de conséquence l'annulation du chef du dispositif de l'arrêt relatif à la prise d'acte de la rupture, en ce que la cour d'appel s'appuie notamment sur l'absence d'appauvrissement des missions et des responsabilités de M. [E] pour décider que la prise d'acte de la rupture devait produire les effets d'une démission, ce en application de l'article 625 du code de procédure civile ;

ALORS QUE, troisièmement, la cassation du chef du dispositif de l'arrêt attaqué à intervenir sur la critique du deuxième moyen de cassation relatif au harcèlement moral de M. [E], entraînera par voie de conséquence l'annulation du chef du dispositif de l'arrêt relatif à la prise d'acte de la rupture, en ce que la cour d'appel s'appuie notamment sur l'absence de harcèlement moral pour décider que la prise d'acte de la rupture devait produire les effets d'une démission, ce en application de l'article 625 du code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 19-20027
Date de la décision : 30/11/2022
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Caen, 23 mai 2019


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 30 nov. 2022, pourvoi n°19-20027


Composition du Tribunal
Président : Mme Monge (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Foussard et Froger, SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol

Origine de la décision
Date de l'import : 06/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2022:19.20027
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