LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 30 novembre 2022
Cassation
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 868 F-D
Pourvoi n° H 22-16.976
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 30 NOVEMBRE 2022
M. [K] [N] [G], domicilié [Adresse 3] (Espagne), a formé le pourvoi n° H 22-16.976 contre l'arrêt rendu le 6 avril 2022 par la cour d'appel de Nîmes (3e chambre famille), dans le litige l'opposant :
1°/ au procureur général près la cour d'appel de Nîmes, domicilié en son [Adresse 2],
2°/ à Mme [C] [I], domiciliée [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Fulchiron, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [N] [G], de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de Mme [I], après débats en l'audience publique du 18 octobre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Fulchiron, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Layemar, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 6 avril 2022), des relations de Mme [I], de nationalité française, et de M. [N] [G], de nationalité espagnole, est née [B], le 24 mars 2018, en Espagne.
2. Le 12 août 2020, Mme [I] a quitté l'Espagne pour s'installer en France avec sa fille.
3. M. [N] [G] ayant mis en oeuvre la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nîmes a, le 5 novembre 2020, saisi le juge aux affaires familiales aux fins de voir ordonner le retour immédiat de l'enfant en Espagne.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. M. [N] [G] fait grief à l'arrêt de rejeter cette demande, alors :
« 1°/ que le danger grave ou la situation intolérable faisant obstacle au retour de l'enfant déplacé illicitement ne doivent être appréciés qu'en considération des conditions de vie de l'enfant après son retour ; qu'en refusant d'ordonner le retour de l'enfant [B] après avoir constaté que le déplacement dont la mère était l'auteure était illicite (arrêt, p. antépén. al.), au motif que l'enfant, âgée de quatre ans, vivait en France depuis qu'elle avait deux ans, qu'elle y avait ses repères et ses habitudes, que sa mère constituait son repère fondamental et qu'il s'en déduirait que le retour de l'enfant en Espagne l'exposerait à un grave danger pour son équilibre psychique (arrêt, p. 8, dernier al.), quand de telles considérations étaient étrangères aux conditions de vie de l'enfant après son retour, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à faire obstacle au retour de l'enfant, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 13 b) de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, ensemble l'article 3-1 de la Convention de New York du 20 novembre 1989 ;
2°/ que le danger grave ou la situation intolérable faisant obstacle au retour de l'enfant déplacé illicitement ne sauraient être appréciés en considération des conditions de vies de l'enfant résultant du déplacement illicite ; qu'en refusant d'ordonner le retour de l'enfant [B] après avoir constaté que le déplacement dont la mère était l'auteure était illicite (arrêt, p. antépén. al.), au motif que l'enfant, âgée de quatre ans, vivait en France depuis qu'elle avait deux ans, qu'elle y avait ses repères et ses habitudes, que sa mère constituait son repère fondamental et qu'il s'en déduirait que le retour de l'enfant en Espagne l'exposerait à un grave danger pour son équilibre psychique (arrêt, p. 8, dernier al.), quand de tels éléments ne résultaient que du déplacement illicite dont la mère était l'auteur, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à faire obstacle au retour de l'enfant, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 13 b) de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, ensemble l'article 3-1 de la Convention de New York du 20 novembre 1989 ;
3°/ que le danger grave ou la situation intolérable faisant obstacle au retour de l'enfant déplacé illicitement ne sauraient être appréciés en considération d'une décision provisoire statuant sur la résidence de l'enfant ; qu'en refusant d'ordonner le retour de l'enfant [B] après avoir constaté que le déplacement dont la mère était l'auteur était illicite (arrêt, p. 7 antépén. al.), au motif que dans une décision du 16 septembre 2021, le juge espagnol avait, tout en condamnant la conduite de la mère, fixé provisoirement la résidence de l'enfant au domicile de la mère au regard de son jeune âge (arrêt, p. 8, pén. al.), quand l'intérêt de l'enfant, au sens du droit espagnol, de voir la résidence de l'enfant provisoirement confiée à la mère ne pouvait suffire à caractériser un danger grave encouru par l'enfant en cas de retour immédiat en Espagne, ni une situation intolérable qu'un tel retour créerait à son égard, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à caractériser un risque de danger » grave ou de création d'une situation intolérable et a privé sa décision de base légale au regard de l'article 13 b) de la convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, ensemble l'article 3-1 de la Convention de New York du 20 novembre 1989. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 13, b, de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants et l'article 3, § 1, de la Convention de New York du 20 novembre 1989 :
5. Selon le premier de ces textes, il ne peut être fait exception au retour immédiat de l'enfant que s'il existe un risque de danger grave ou de création d'une situation intolérable. Il résulte du second que ces circonstances doivent être appréciées en considération primordiale de l'intérêt supérieur de l'enfant.
6. Pour dire n'y avoir lieu d'ordonner le retour de [B] en Espagne, l'arrêt constate que celle-ci, âgée d'à peine quatre ans, vit, depuis son arrivée en France à l'âge de deux ans, avec sa mère, au domicile de ses grands-parents maternels, où elle est scolarisée depuis quelques mois, qu'elle y a donc ses repères et ses habitudes et que sa mère constitue depuis sa naissance son repère fondamental. Il en déduit qu'une séparation prolongée avec sa mère, dans des conditions nécessairement conflictuelles et douloureuses, l'exposerait à un grave danger pour son équilibre psychique. Il ajoute qu'un tribunal espagnol, appelé à statuer sur les mesures provisoires relatives à l'enfant, en a confié la garde à la mère. Il en conclut que son intérêt supérieur est de rester en France auprès de sa mère.
7. En se déterminant par des motifs impropres à caractériser, au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant, le danger grave encouru par celle-ci en cas de retour immédiat ou la situation intolérable qu'un tel retour créerait à son égard, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 avril 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;
Condamne Mme [I] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [I] et la condamne à payer à M. [N] [G] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente novembre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour M. [N] [G]
M. [K] [O] [N] [G] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR, confirmant le jugement, débouté M. la Procureur de la République de son action, d'AVOIR dit n'y avoir lieu au retour de la mineure [B] [N] [I] née le 24 mars 2018 à [Localité 4], d'AVOIR ordonné l'exécution provisoire de la décision et d'AVOIR dit qu'il n'y avoir lieu à application de l'article 26 de la convention de la Haye du 25 octobre 1980 ;
1°) ALORS QUE le danger grave ou la situation intolérable faisant obstacle au retour de l'enfant déplacé illicitement ne doivent être appréciés qu'en considération des conditions de vie de l'enfant après son retour ; qu'en refusant d'ordonner le retour de l'enfant [B] après avoir constaté que le déplacement dont la mère était l'auteure était illicite (arrêt, p. antépén. al.), au motif que l'enfant, âgée de quatre ans, vivait en France depuis qu'elle avait deux ans, qu'elle y avait ses repères et ses habitudes, que sa mère constituait son repère fondamental et qu'il s'en déduirait que le retour de l'enfant en Espagne l'exposerait à un grave danger pour son équilibre psychique (arrêt, p. 8, dernier al.), quand de telles considérations étaient étrangères aux conditions de vie de l'enfant après son retour, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à faire obstacle au retour de l'enfant, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 13 b) de la convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, ensemble l'article 3-1 de la convention de New York du 20 novembre 1989 ;
2°) ALORS QUE le danger grave ou la situation intolérable faisant obstacle au retour de l'enfant déplacé illicitement ne sauraient être appréciés en considération des conditions de vies de l'enfant résultant du déplacement illicite ; qu'en refusant d'ordonner le retour de l'enfant [B] après avoir constaté que le déplacement dont la mère était l'auteure était illicite (arrêt, p. antépén. al.), au motif que l'enfant, âgée de quatre ans, vivait en France depuis qu'elle avait deux ans, qu'elle y avait ses repères et ses habitudes, que sa mère constituait son repère fondamental et qu'il s'en déduirait que le retour de l'enfant en Espagne l'exposerait à un grave danger pour son équilibre psychique (arrêt, p. 8, dernier al.), quand de tels éléments ne résultaient que du déplacement illicite dont la mère était l'auteur, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à faire obstacle au retour de l'enfant, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 13 b) de la convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, ensemble l'article 3-1 de la convention de New York du 20 novembre 1989 ;
3°) ALORS QUE le danger grave ou la situation intolérable faisant obstacle au retour de l'enfant déplacé illicitement ne sauraient être appréciés en considération d'une décision provisoire statuant sur la résidence de l'enfant ; qu'en refusant d'ordonner le retour de l'enfant [B] après avoir constaté que le déplacement dont la mère était l'auteur était illicite (arrêt, p. 7 antépén. al.), au motif que dans une décision du 16 septembre 2021, le juges espagnol avait, tout en condamnant la conduite de la mère, fixé provisoirement la résidence de l'enfant au domicile de la mère au regard de son jeune âge (arrêt, p. 8, pén. al.), quand l'intérêt de l'enfant, au sens du droit espagnol, de voir la résidence de l'enfant provisoirement confiée à la mère ne pouvait suffire à caractériser un danger grave encouru par l'enfant en cas de retour immédiat en Espagne, ni une situation intolérable qu'un tel retour créerait à son égard, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à caractériser un risque de danger grave ou de création d'une situation intolérable et a privé sa décision de base légale au regard de l'article 13 b) de la convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, ensemble l'article 3-1 de la convention de New York du 20 novembre 1989.