LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 24 novembre 2022
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1209 F-B
Pourvoi n° T 21-17.327
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 24 NOVEMBRE 2022
M. [Y] [X], domicilié [Adresse 4], a formé le pourvoi n° T 21-17.327 contre l'arrêt rendu le 31 mars 2021 par la cour d'appel de Rennes (5e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [L] [W], domicilié [Adresse 1],
2°/ à la société Helvetia assurances, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3],
3°/ à la société MAIF assurances, dont le siège est [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Brouzes, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [X], de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de M. [W] et la société MAIF assurances, de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Helvetia assurances, et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 octobre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Brouzes, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 31 mars 2021), un navire pris en crédit-bail par M. [X] a été endommagé par un réchaud à gaz enflammé jeté à la mer depuis son voilier par M. [W], assuré auprès de la société MAIF assurances (MAIF).
2. Aux termes d'une quittance du 13 octobre 2011, l'assureur de M. [X], la société Groupama transport, aux droits de laquelle vient la société Helvetia assurances, s'est engagée à lui verser une certaine somme en réparation de son préjudice matériel.
3. Par un jugement du 4 septembre 2013, un tribunal de grande instance a condamné M. [W] et la MAIF à payer à M. [X] diverses sommes. Ce jugement a été partiellement infirmé par un arrêt du 18 novembre 2016.
4. Le 16 décembre 2016, M. [X] a assigné son assureur, M. [W] et la MAIF devant un tribunal de commerce.
Examen des moyens
Sur le second moyen, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen relevé d'office
6. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu les articles L. 114-1 et R. 112-1 du code des assurances :
7. Selon le premier de ces textes, toutes les actions dérivant du contrat d'assurance sont prescrites par deux ans à compter de l'événement qui y donne naissance.
8. L'assureur qui, n'ayant pas respecté les dispositions du second de ces articles, ne peut pas opposer la prescription biennale à son assuré, ne peut pas prétendre à l'application de la prescription de droit commun.
9. Pour déclarer prescrite l'action engagée par M. [X] contre son assureur aux fins de paiement de l'indemnité d'assurance, l'arrêt, après avoir déclaré que cette action dérivait du contrat d'assurance et que la prescription biennale était inopposable à l'assuré, faute pour le contrat d'assurance de satisfaire aux obligations prévues par l'article R. 112-1 du code des assurances, énonce que le délai de prescription quinquennal prévu à l'article 2224 du code civil, dont elle a fixé le point de départ au 13 octobre 2011, n'a pas été interrompu avant la délivrance de l'assignation le 16 décembre 2016.
10. En statuant ainsi, alors que la société Helvetia assurances ne pouvait prétendre à l'application de la prescription de droit commun, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare prescrite l'action engagée par M. [X] contre la société Helvetia assurances, l'arrêt rendu le 31 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes autrement composée.
Condamne la société Helvetia assurances aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre novembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour M. [X]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
M. [X] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré prescrite sur le fondement de l'article 2224 du code civil son action, formée contre la société Helvetia ;
1°) ALORS QUE le contrat d'assurance stipulait que l'assureur « ne régler(ait) l'indemnité que sur présentation des factures acquittées correspondant aux réparations et aux remplacements (?) pour remettre le bateau en bon état de navigabilité » (conditions générales, article 5.3.2.a), subordonnant ainsi le paiement de l'indemnité à la condition que l'assuré justifie de la réalisation des travaux en présentant des factures acquittées ; qu'en jugeant, pour décider que l'action en paiement de l'indemnité d'assurance était irrecevable, que le point de départ de la prescription ne pouvait être fixé à la date de réalisation des travaux qui avait été décidée par l'assuré car son droit à l'indemnité d'assurance avait pris naissance dès le sinistre (arrêt, p. 7, dern. al.), la cour d'appel a dénaturé ce contrat, en violation du principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer les documents de la cause ;
2°) ALORS QU'en toute hypothèse, la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; qu'en jugeant que le point de départ de la prescription ne pouvait être fixé à la date de réalisation des travaux qui avait été décidée par l'assuré car son droit à l'indemnité d'assurance avait pris naissance dès le sinistre (arrêt, p. 7, dern. al.), tout en retenant que la présentation de la facture des réparations du navire était une « condition du contrat » au paiement de l'indemnité (arrêt, p. 8, dern. al.), la cour d'appel s'est contredite et a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QU'en toute hypothèse, la prescription ne court pas à l'égard d'une créance qui dépend d'une condition, jusqu'à ce que la condition arrive ; qu'en relevant, pour décider que l'action en paiement de l'indemnité d'assurance était irrecevable, que le point de départ de la prescription ne pouvait être fixé à la date de réalisation des travaux qui avait été décidée par l'assuré car son droit à l'indemnité d'assurance avait pris naissance dès le sinistre (arrêt, p. 7, dern. al.), cependant qu'ainsi qu'elle le constatait elle-même (arrêt, p. 8, dern. al.), le contrat subordonnait l'exigibilité de l'indemnité d'assurance à la condition que l'assuré justifie de la réalisation des travaux en présentant des factures acquittées (conditions générales, article 5.3.2.a), la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 2233 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
M. [X] fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR déclaré irrecevable en ses demandes à l'encontre de M. [W] et de la MAIF du fait de l'autorité de la chose jugée ;
1°) ALORS QUE l'autorité de chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice ; qu'en opposant à la demande dirigée par M. [X] contre M. [W] et la MAIF l'autorité de la chose jugée par l'arrêt du 18 novembre 2016, qui avait retenu qu'il résultait d'une quittance subrogative qu'il avait déjà été indemnisé par son propre assureur des désordres subis par son navire, sans rechercher si le refus de payer cette quittance n'avait pas été opposé à M. [X] après l'arrêt du 18 novembre 2016 lorsqu'il l'avait mis en demeure puis assigné, ce qui avait modifié la situation antérieurement reconnue en justice et justifiait que l'autorité de la chose jugée attachée à cette précédente décision soit écartée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1351 du code civil.