LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
OR
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 16 novembre 2022
Cassation partielle
M. SCHAMBER, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1231 F-D
Pourvoi n° G 21-14.052
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. [Y].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 14 janvier 2021.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 16 NOVEMBRE 2022
M. [X] [Y], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° G 21-14.052 contre l'arrêt rendu le 29 novembre 2019 par la cour d'appel de Douai (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société Arc distribution, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Rouchayrole, conseiller, les observations de la SARL Corlay, avocat de M. [Y], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Arc distribution, après débats en l'audience publique du 28 septembre 2022 où étaient présents M. Schamber, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Rouchayrole, conseiller rapporteur, Mme Monge, conseiller, M. Halem, avocat général référendaire, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 29 novembre 2019), M. [Y] a été engagé le 16 octobre 2001 par la société Arc distribution en qualité de technico-commercial, sa rémunération comprenant un salaire fixe et une part variable.
2. Licencié le 15 février 2011, il a saisi, le 20 septembre 2012, la juridiction prud'homale de demandes relatives à l'exécution et à la rupture du contrat de travail.
Examen des moyens
Sur les premier et troisième moyens, ci-après annexés
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande tendant à ce que le licenciement soit prononcé aux torts de l'employeur, à juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse et de le débouter, en conséquence, de ses demandes de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et indemnités afférentes, alors « que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments présentés par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement ; que dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'en l'espèce, l'exposant faisait valoir, entre autres éléments, que l'employeur lui avait fixé régulièrement des objectifs impossibles à réaliser ; qu'en ne recherchant pas si ce fait était avéré et ne laissait pas présumer un harcèlement moral, la cour d'appel a manqué de base légale au regard des articles L. 1152-1 et L. 1154-1, ensemble l'article L. 1232-1 du code du travail ».
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 1152-1 et l'article L. 1154-1 du code du travail dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :
5. Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
6. Sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.
7. Pour débouter le salarié de sa demande tendant à faire dire que son inaptitude est imputable au harcèlement moral subi de la part de son employeur, l'arrêt retient en premier lieu, après avoir constaté que les dispositions contractuelles précisaient que les secteurs d'intervention géographiques étaient modulables et que les modifications de secteur intervenues ont été acceptées par le salarié, que ce dernier ne justifiait nullement de la réalité des pressions exercées par l'employeur pas plus que de la volonté de ce dernier de le priver d'une partie de ses revenus en réorganisant ses secteurs d'activité, aucune des pièces produites ne se trouvant de nature à établir que l'employeur avait autorisé d'autres responsables de vente à prospecter sur son secteur dans le but de le priver d'un certain nombre de commissions.
8. Il relève en second lieu que la seule production aux débats des éléments de la relation contractuelle et de son courrier dénonçant ses conditions de travail ne suffisaient pas, en l'absence de toute attestation de tiers, à établir l'existence de faits précis et répétitifs de nature à constituer un harcèlement moral imputable à l'employeur et directement à l'origine de la dégradation de l'état de santé du salarié.
9. Il conclut que, pris dans leur ensemble, aucun élément ne permettait de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail et qu'il convient en conséquence de confirmer le jugement décidant que le licenciement, fondé sur l'inaptitude physique, était pourvu d'une cause réelle et sérieuse.
10. En se déterminant ainsi, alors que le salarié soutenait également, pour faire reconnaître qu'il avait subi un harcèlement moral, que l'employeur lui avait assigné de façon répétée des objectifs irréalisables, la cour d'appel, qui n'a pas analysé l'ensemble des faits invoqués devant elle, n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il confirme le jugement ayant dit que le licenciement de M. [Y], fondé sur l'inaptitude, était pourvu d'une cause réelle et sérieuse et déboute ce dernier de ses demandes subséquentes relatives à la rupture du contrat de travail, et en ce qu'il déboute M. [Y] de sa demande en application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 29 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai autrement composée ;
Condamne la société Arc distribution aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Arc distribution et la condamne à payer à la SARL Corlay la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, prononcé et signé par Mme Monge, conseiller le plus ancien, en ayant délibéré en remplacement du président empêché, en l'audience publique du 16 novembre deux mille vingt-deux, conformément aux dispositions des articles 456 et 1021 du code de procédure civile.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SARL Corlay, avocat aux Conseils, pour M. [Y]
Sur le premier moyen de cassation
Monsieur [Y] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué de l'avoir débouté de sa demande relative au rappel de prime commerciale ;
Alors que 1°) il appartient à l'employeur de communiquer les éléments nécessaires au calcul de la part de rémunération variable d'un salarié et, lorsqu'il se prétend libéré du paiement de cette part variable, de rapporter la preuve du fait qui a éteint son obligation, ; qu'en l'espèce, le salarié demandait le paiement d'un rappel de la prime commerciale prévue par son contrat de travail, correspondant à un pourcentage de la marge finale, faisant valoir que l'employeur avait établi son calcul non sur le chiffre d'affaires ; qu'en rejetant la demande du salarié au motif que celui-ci ne « produisait qu'une seule pièce à l'appui de sa demande », l'employeur versant aux débats le même tableau et les tableaux antérieurs, concernant le « chiffre d'affaire réalisé mensuellement et non la marge finale », qui ne permettaient donc pas d'établir que l'employeur était libéré du paiement dû au titre de la rémunération variable calculée, selon le contrat de travail, sur la marge finale ; la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 devenu l'article 1353 du code civil ;
Alors que 2°) il appartient à l'employeur de communiquer les éléments nécessaires au calcul de la part de rémunération variable d'un salarié et, lorsqu'il se prétend libéré du paiement de cette part variable, de rapporter la preuve du fait qui a éteint son obligation, ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que l'employeur ne versait aux débats que les tableaux concernant le « chiffre d'affaire réalisé mensuellement et non la marge finale », qu'en déboutant cependant le salarié de sa demande en considérant que « à supposer comme le soutient le salarié que les tableaux fournis par l'employeur aient été effectivement relatifs à la marge et non aux chiffres d'affaires réalisés, il lui incombait de détailler les calculs réalisés, ce qu'il n'a pas fait » , la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 devenu l'article 1353 du code civil.
Sur le deuxième moyen de cassation
Monsieur [Y] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué de l'avoir débouté de sa demande visant à voir prononcer le licenciement aux torts de l'employeur et dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse et en conséquence de l'avoir débouté de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et indemnités afférentes ;
Alors que 1°) pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments présentés par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement ; que dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'en l'espèce, l'exposant faisait valoir, entre autres éléments, que l'employeur lui avait fixé régulièrement des objectifs impossibles à réaliser ; qu'en ne recherchant pas si ce fait était avéré et ne laissait pas présumer un harcèlement moral, la cour d'appel a manqué de base légale au retard des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 ensemble l'article L. 1232-1 du code du travail ;
Alors que 2°) en toute hypothèse, la cassation obtenue sur le premier moyen, en ce que l'exposant a été débouté de sa demande relative aux primes commerciales variables, emportera la cassation par voie de conséquence des chefs de dispositif le déboutant de ses demandes visant à dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse et indemnités et dommages et intérêts y afférents, par application de l'article 624 du code de procédure civile, le défaut de paiement d'une partie des salaires constituant un manquement grave de l'employeur à ses obligations ;
Sur le troisième moyen de cassation
Monsieur [Y] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué de l'avoir débouté de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice économique ;
Alors que le prononcé de la cassation sur le premier moyen emportera nécessairement la cassation de ce chef de dispositif, par application de l'article 624 du code de procédure civile.