LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 10 novembre 2022
Annulation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1127 F-D
Pourvoi n° B 21-13.149
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 10 NOVEMBRE 2022
La Caisse générale de sécurité sociale de la [Localité 3], dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° B 21-13.149 contre l'arrêt rendu le 24 novembre 2020 par la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société [4], dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lapasset, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la Caisse générale de sécurité sociale de la [Localité 3], de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de la société [4], et l'avis de M. Gaillardot, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 27 septembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Lapasset, conseiller rapporteur, Mme Taillandier-Thomas, conseiller doyen, et Mme Catherine, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis de la Réunion, 24 novembre 2020), la Caisse générale de sécurité sociale de la [Localité 3] (la Caisse) a notifié le 18 mars 2009 à la société [4] (l'employeur) la décision de prise en charge, au titre de la législation professionnelle, de la rechute déclarée par une de ses salariés.
2. L'employeur a saisi d'un recours, le 18 juillet 2016, une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. La Caisse fait grief à l'arrêt de déclarer le recours de l'employeur recevable, alors « qu'en l'absence de texte spécifique, l'action de l'employeur aux fins d'inopposabilité de la décision de l'organisme social de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie et de la rechute est au nombre des actions qui se prescrivent par cinq ans en application de l'article 2224 du code civil ; qu'en décidant le contraire, pour écarter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande de l'employeur, formée le 23 septembre 2014, quand la notification de la prise en charge de la rechute a été réceptionnée le 18 mars 2009, la cour d'appel a violé les articles 2224 du code civil, R. 142-18 et R. 441-14 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction applicable au litige. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2224 du code civil, R. 142-18 et R. 441-14 du code de la sécurité sociale, le deuxième dans sa rédaction antérieure au décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018 et le dernier dans sa rédaction antérieure au décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009, applicables au litige :
4. Selon le premier de ces textes, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
5. Il résulte des deux derniers que l'information donnée par la caisse à l'employeur de sa décision de prendre en charge la maladie à titre professionnel ne constitue pas une notification et ne fait pas courir contre lui le délai de recours contentieux de deux mois.
6. Depuis un arrêt du 9 mai 2019 (2e Civ., 9 mai 2019, pourvoi n° 18-10.909, publié), la Cour de cassation interprétait ces textes en retenant que si la décision de la caisse primaire qui reconnaît le caractère professionnel de l'accident, de la maladie ou de la rechute fait grief à l'employeur, qui est recevable à en contester l'opposabilité ou le bien-fondé dans les conditions fixées par les deux derniers de ces textes, le recours de l'employeur ne revêt pas le caractère d'une action au sens du premier. Cette interprétation est celle adoptée par l'arrêt contre lequel le pourvoi a été formé. Elle a soulevé des critiques en ce qu'elle pouvait conduire à une imprescriptibilité de ce recours et a suscité des divergences de jurisprudence des juridictions du fond, qui ont justifié une nouvelle interprétation de ces textes par arrêts du 18 février 2021, publiés (pourvois n° 19-25.886, n° 19-25.887, n° 19-20.102).
7. En effet, ni l'indépendance des rapports entre, d'une part, la caisse et la victime, d'autre part, la caisse et l'employeur, ni le particularisme du recours ouvert à l'employeur pour contester la décision d'une caisse primaire de reconnaître le caractère professionnel d'un accident, d'une maladie ou d'une rechute ne justifient que ce recours ne puisse constituer une action en justice et que, dès lors, il ne soit pas soumis à un délai de prescription.
8. Il y a lieu, en conséquence, de considérer qu'en l'absence de texte spécifique, l'action de l'employeur aux fins d'inopposabilité de la décision de la caisse de reconnaissance du caractère professionnel de l'accident, de la maladie ou de la rechute est au nombre des actions qui se prescrivent par cinq ans en application de l'article 2224 du code civil.
9. Pour rejeter la fin de non-recevoir soulevée par la caisse et dire recevable l'action de l'employeur, l'arrêt retient que l'action diligentée par l'employeur en contestation de la décision de prise en charge d'une maladie professionnelle ne constitue pas une action personnelle ou mobilière au sens de l'article 2224 du code civil, de sorte que la prescription de droit commun de cinq ans ne lui est pas applicable.
10. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :
ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, autrement composée ;
Condamne la société [4] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société [4] et la condamne à payer à la Caisse générale de sécurité sociale de la [Localité 3] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix novembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour la caisse générale de sécurité sociale (CGSS) de la Réunion
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
L'arrêt attaqué, critiqué par la CGSS de la [Localité 3], encourt la censure ;
EN CE QU'il a déclaré le recours de la société [4] recevable ;
ALORS QU'en l'absence de texte spécifique, l'action de l'employeur aux fins d'inopposabilité de la décision de l'organisme social de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie et de la rechute est au nombre des actions qui se prescrivent par cinq ans en application de l'article 2224 du Code civil ; qu'en décidant le contraire, pour écarter la fin de non recevoir tirée de la prescription de la demande de l'employeur, formée le 23 septembre 2014, quand la notification de la prise en charge de la rechute a été réceptionnée le 18 mars 2009, la Cour d'appel a violé les articles 2224 du code civil, R. 142-18 et R. 441-14 du Code de la sécurité sociale, dans leurs rédactions applicables au litige.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
L'arrêt attaqué, critiqué par la CGSS de la [Localité 3], encourt la censure ;
EN CE QU'il a déclaré inopposable à la société [4] la décision de la CGSS DE LA [Localité 3] de prendre en charge au titre de la législation professionnelle la rechute du 9 février 2009.
ALORS QU'en application de l'article R. 441-11 du Code de la sécurité sociale dans sa rédaction applicable au litige, il appartient aux juges du fond de déterminer si la caisse primaire d'assurance maladie a informé l'employeur, dans un délai raisonnable, calculé en jours utiles, de la fin de la procédure d'instruction, des éléments susceptibles de lui faire grief, de la possibilité de consulter le dossier et de la date à laquelle elle prévoit de prendre sa décision, de la possibilité de consulter le dossier et de la date à laquelle elle prévoit de prendre sa décision ; que le jour de la réception de la lettre d'information par l'employeur constitue un jour utile ; qu'au cas d'espèce, en se plaçant au jour de présentation du courrier à l'employeur, la Cour d'appel a constaté que la société [4] avait disposé d'un délai de 5 jours utiles pour consulter les éléments réunis par la Caisse ; qu'en statuant de la sorte, sans tenir compte du jour de présentation du courrier à l'employeur, de sorte que la société [4] avait en réalité disposé de six jours utiles, la Cour d'appel a violé l'article R. 441-11 du Code de la sécurité sociale dans sa rédaction applicable au litige.