LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 10 novembre 2022
Annulation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1123 F-D
Pourvoi n° N 21-12.906
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 10 NOVEMBRE 2022
La caisse primaire d'assurance maladie d'Indre-et-Loire, dont le siège est [Adresse 5], a formé le pourvoi n° N 21-12.906 contre l'arrêt n° RG : 18/01688 rendu le 8 décembre 2020 par la cour d'appel d'Orléans (chambre des affaires de sécurité sociale), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société [3], dont le siège est [Adresse 2],
2°/ au ministre chargé de la sécurité sociale, domicilié [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Cassignard, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie d'Indre-et-Loire, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société [3], après débats en l'audience publique du 27 septembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Cassignard, conseiller rapporteur, Mme Taillandier-Thomas, conseiller doyen, et Mme Catherine, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Orléans, 8 décembre 2020), la caisse primaire d'assurance maladie d'Indre-et-Loire (la caisse) a informé la société [4] par lettre du 23 juin 1997 de la prise en charge, au titre de la législation professionnelle, de l'accident de l'un de ses salariés.
2. La société [3], venant aux droits de la société [4] (l'employeur), a saisi le 27 juillet 2017 d'un recours une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. La caisse fait grief à l'arrêt de déclarer recevable le recours de l'employeur, alors « qu'en l'absence de texte spécifique, l'action de l'employeur aux fins d'inopposabilité de la décision de l'organisme social de reconnaissance du caractère professionnel de l'accident est au nombre des actions qui se prescrivent par cinq ans en application de l'article 2224 du code civil ; qu'en décidant le contraire, pour écarter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande de l'employeur, formée le 19 mars 2015, la cour d'appel a violé les articles 2224 du code civil, R. 142-18 et R. 441-14 du code de la sécurité sociale, dans leurs rédactions applicables au litige. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2224 du code civil, R. 142-18 et R. 441-14 du code de la sécurité sociale, le deuxième dans sa rédaction antérieure au décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018 et le dernier dans sa rédaction antérieure au décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009, applicables au litige :
4. Selon le premier de ces textes, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
5. Il résulte des deux derniers que l'information donnée par la caisse à l'employeur de sa décision de prendre en charge la maladie à titre professionnel ne constitue pas une notification et ne fait pas courir contre lui le délai de recours contentieux de deux mois.
6. Depuis un arrêt du 9 mai 2019 (2e Civ., 9 mai 2019, pourvoi n° 18-10.909, publié), la Cour de cassation interprétait ces textes en retenant que si la décision de la caisse primaire qui reconnaît le caractère professionnel de l'accident, de la maladie ou de la rechute fait grief à l'employeur, qui est recevable à en contester l'opposabilité ou le bien-fondé dans les conditions fixées par les deux derniers de ces textes, le recours de l'employeur ne revêt pas le caractère d'une action au sens du premier. Cette interprétation est celle adoptée par l'arrêt contre lequel le pourvoi a été formé. Elle a soulevé des critiques en ce qu'elle pouvait conduire à une imprescriptibilité de ce recours et a suscité des divergences de jurisprudence des juridictions du fond, qui ont justifié une nouvelle interprétation de ces textes par arrêts du 18 février 2021, publiés (pourvois n° 19-25.886, n° 19-25.887, n° 19-20.102).
7. En effet, ni l'indépendance des rapports entre, d'une part, la caisse et la victime, d'autre part, la caisse et l'employeur, ni le particularisme du recours ouvert à l'employeur pour contester la décision d'une caisse primaire de reconnaître le caractère professionnel d'un accident, d'une maladie ou d'une rechute ne justifient que ce recours ne puisse constituer une action en justice et que, dès lors, il ne soit pas soumis à un délai de prescription.
8. Il y a lieu, en conséquence, de considérer qu'en l'absence de texte spécifique, l'action de l'employeur aux fins d'inopposabilité de la décision de la caisse de reconnaissance du caractère professionnel de l'accident, de la maladie ou de la rechute est au nombre des actions qui se prescrivent par cinq ans en application de l'article 2224 du code civil.
9. Pour rejeter la fin de non-recevoir soulevée par la caisse et dire recevable l'action de l'employeur, l'arrêt retient que l'action diligentée par l'employeur en contestation de la décision de prise en charge d'une maladie professionnelle ne constitue pas une action personnelle ou mobilière au sens de l'article 2224 du code civil, de sorte que la prescription de droit commun de cinq ans ne lui est pas applicable.
10. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :
ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne la société [3] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société [3] et la condamne à payer à la caisse primaire d'assurance maladie d'Indre-et-Loire la somme de 1 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix novembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) d'Indre-et-Loire
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
L'arrêt attaqué, critiqué par la CPAM d'INDRE ET LOIRE, encourt la censure ;
EN CE QU'il a déclaré la société [3] recevable en son action ;
ALORS QU'en l'absence de texte spécifique, l'action de l'employeur aux fins d'inopposabilité de la décision de l'organisme social de reconnaissance du caractère professionnel de l'accident est au nombre des actions qui se prescrivent par cinq ans en application de l'article 2224 du Code civil ; qu'en décidant le contraire, pour écarter la fin de non recevoir tirée de la prescription de la demande de l'employeur, formée le 19 mars 2015, la Cour d'appel a violé les articles 2224 du code civil, R. 142-18 et R. 441-14 du Code de la sécurité sociale, dans leurs rédactions applicables au litige.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
L'arrêt attaqué, critiqué par la CPAM d'INDRE ET LOIRE, encourt la censure ;
EN CE QU'il a déclaré inopposable à la société [3] la décision de la CPAM d'INDRE ET LOIRE de prendre en charge au titre de la législation professionnelle l'accident de Madame [K] [G] survenu le 3 juin 1997 ;
ALORS QUE constituent des réserves motivées de la part de l'employeur, au sens des dispositions de l'article R. 441-11 du code de la sécurité sociale, toute contestation du caractère professionnel de l'accident portant sur les circonstances de temps et de lieu de celui-ci ou sur l'existence d'un cause totalement étrangère au travail ; qu'en retenant, pour dire la décision de prise en charge inopposable à l'employeur, que la Caisse ne pouvait prendre sa décision sans instruction préalable dès lors que l'employeur a exprimé des réserves a raison de l'absence de témoins et de la circonstance qu'il n'a pas été immédiatement informé de l'accident, quand ces motifs étaient impropres à caractériser des réserves motivées, la Cour d'appel a violé les articles R. 441-11 et R. 441-14 du Code de la sécurité sociale, dans leurs rédactions applicables au litige.