LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CH9
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 9 novembre 2022
Cassation partielle
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1173 F-D
Pourvoi n° N 21-13.389
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 9 NOVEMBRE 2022
M. [P] [L], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° N 21-13.389 contre l'arrêt rendu le 12 octobre 2020 par la cour d'appel de Limoges (chambre économique et sociale), dans le litige l'opposant à la société CSF France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La société CFS France a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, le moyen de cassation également annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Carillon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Didier et Pinet, avocat de M. [L], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société CSF France, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Carillon, conseiller référendaire rapporteur, M. Pietton, conseiller, et Mme Lavigne, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Limoges, 12 octobre 2020), et les productions, M. [L] a été engagé par la société CSF France le 1er avril 1997. Depuis le 1er juin 2013, il occupait les fonctions de directeur d'un magasin de l'enseigne « Carrefour Market ».
2. La relation de travail est soumise à la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire et plusieurs accords relatifs à l'aménagement du temps de travail ont été conclus par la société CSF France.
3. Convoqué le 16 décembre 2016 à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 28 décembre 2016, il a été mis à pied à titre conservatoire et licencié pour faute grave le 6 janvier 2017.
4. Contestant les motifs de son licenciement, la validité de la convention de forfait et sollicitant diverses sommes au titre d'un rappel de salaire sur le temps de travail exécuté, de ses déplacements et du travail dissimulé, le salarié a saisi la juridiction prud'homale.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses première et deuxième branches, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa quatrième branche
Enoncé du moyen
6. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire que son licenciement était fondé sur une faute grave et de le débouter de ses demandes indemnitaires à ce titre, alors « qu'aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à sa connaissance ; que constituent un moyen de preuve illicite les enregistrements du salarié obtenus à l'aide d'un système de vidéosurveillance dont l'existence n'a pas été portée à la connaissance du personnel ; qu'en retenant que le licenciement de M. [L] reposait sur une faute grave, motifs pris que des enregistrements vidéos par le système de caméra de surveillance du magasin des 2 et 8 décembre 2016 faisaient apparaître le salarié prenant des produits pour les porter dans sa voiture, que l'intéressé avait reconnu les faits, et qu'il ne pouvait justifier du paiement des articles litigieux, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'employeur établissait avoir informé les salariés de l'existence d'un système de vidéosurveillance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1222-4, L 1234-1, L. 1234-5, et L. 1234-9 du code du travail, ensemble l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et l'article 1383 du code civil. »
Réponse de la Cour
7. Le salarié s'est borné, dans ses conclusions, à rappeler les conditions légales requises pour permettre à un employeur d'installer un système de vidéosurveillance sur le lieu de travail et de se prévaloir des enregistrements à l'encontre de ses salariés, mais n'a aucunement soutenu que les salariés, dont lui-même, n'avaient pas été informés de l'existence d'une vidéosurveillance au sein du magasin et n'a pas tiré de conséquences juridiques des faits qu'il affirmait puisqu'il n'a pas sollicité l'irrecevabilité des pièces litigieuses produites par la société.
8. Il ne peut dès lors être fait grief à la cour d'appel de ne pas avoir procédé à une recherche qui ne lui était pas demandée.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le moyen du pourvoi incident dont l'examen est préalable aux deuxième et troisième moyens du pourvoi principal
Enoncé du moyen
10. L'employeur fait grief à l'arrêt de déclarer nulle la convention de forfait en jours prévue dans son contrat de travail, alors :
« 1°/ que la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; qu'en retenant d'une part que l'accord d'entreprise du 30 décembre 2008 et ceux qui sont venus lui succéder le 27 juin 2013 et 22 mai 2014 contiennent des dispositions "qui assurent la garantie du respect des repos, journaliers et hebdomadaires" puis que ces accords ne prévoient "aucune disposition spécifique pour assurer le contrôle du repos quotidien de 11 heures consécutives et du repos hebdomadaire de 35 heures continues", la cour d'appel s'est contredite en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;
2°/ que toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires ; que l'article 6.4.1 de l'accord d'entreprise du 30 décembre 2008 et l'article 4.3 des accords d'entreprise des 27 juin 2013 et 22 mai 2014 prévoient que "les cadres autonomes doivent bénéficier d'un temps de repos quotidien d'au moins 11 heures consécutives et au minimum d'un repos hebdomadaire de 35 heures continues" ; qu'en leur article 5, les accords d'entreprise des 27 juin 2013 et 22 mai 2014 prévoient que les salariés relevant d'une convention de forfait en jours bénéficient d'un entretien annuel avec la Direction au cours duquel est notamment abordé l'organisation, la charge et l'amplitude de travail et le respect des repos quotidien et hebdomadaire ; qu'en leur article 6.1, ces accords disposent que : "la charge de travail des salariés cadres ne peut jamais justifier le non-respect des repos quotidiens et hebdomadaires minimums obligatoires. L'organisation et la charge de travail sont adaptées afin que ces repos soient respectés et font l'objet d'un suivi régulier de la part de la hiérarchie de ces salariés" ; qu'en leur article 6. 2, ils prévoient que : "il appartient au supérieur hiérarchique de chaque salarié cadre de suivre régulièrement la charge et l'organisation de travail de celui-ci, afin d'assurer la protection de sa santé et sécurité au travail. Si entre ses entretiens annuels, le salarié considère qu'il rencontre une difficulté concernant sa charge de travail et/ou l'amplitude de ses journées de travail, il en réfère alors à son supérieur hiérarchique et au service des ressources humaines. Une réunion entre le salarié et son supérieur hiérarchique est alors programmée afin qu'ils puissent examiner la situation et trouver des solutions ensemble" ; qu'en jugeant néanmoins que ces accords ne prévoient pas de garanties suffisantes du contrôle du caractère raisonnable de l'amplitude et de la charge de travail ni aucune disposition spécifique pour assurer le contrôle du repos quotidien de 11 heures consécutives et du repos hebdomadaire de 35 heures continues, lorsqu'un tel contrôle est prévu par le supérieur hiérarchique du salarié de manière régulière ainsi qu'à la demande du salarié à tout moment, la cour d'appel a violé l'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l'article 151 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, l'article L. 3121-45 du code du travail dans sa rédaction alors applicable, interprété à la lumière de l'article 17, §§ 1 et 4, de la directive 93/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993, des articles 17, § 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
3°/ que toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires ; que le salarié ayant conclu une convention de forfait en jours n'est pas soumis aux dispositions relatives à la durée quotidienne maximale de travail et aux durées hebdomadaires maximales de travail ; qu'en retenant que les accords d'entreprise des 30 décembre 2008, 27 juin 2013 et 22 mai 2014 ne contiennent aucune disposition spécifique de nature à garantir le respect des durées maximales de travail pour en déduire que ces accords ne sont pas de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et à assurer une bonne répartition dans le temps du travail de l'intéressé et donc à assurer la protection de sa santé et sa sécurité, la cour d'appel a violé l'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l'article 151 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, les articles L. 3121-45 et L. 3121-48 du code du travail dans leur rédaction alors applicable, interprétés à la lumière de l'article 17, §§ 1 et 4, de la directive 93/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993, des articles 17, § 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. »
Réponse de la Cour
11. Le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles.
12. Il résulte des articles 17, § 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 que les Etats membres ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur.
13. Il résulte de l'article L. 3121-43 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, interprété à la lumière des articles 17, § 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, que toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.
14. D'abord, c'est sans se contredire que la cour d'appel a retenu, que si l'accord d'entreprise du 30 décembre 2008 et ceux qui sont venus lui succéder les 27 juin 2013 et 22 mai 2014 contiennent des dispositions relatives à la garantie du respect des repos journaliers et hebdomadaires, ils ne prévoient en revanche aucune disposition spécifique propre à assurer le contrôle du repos quotidien de onze heures consécutives et du repos hebdomadaire de trente-cinq heures continues puisque le système prévu repose exclusivement sur l'engagement du salarié de veiller lui-même au respect des temps de repos.
15. Elle a ensuite relevé que l'entretien annuel avec le supérieur hiérarchique portant sur le temps de travail, sur l'organisation, la charge et l'amplitude du travail, le respect du repos quotidien et hebdomadaire ainsi que l'articulation entre les temps de vie professionnelle et la vie familiale ne constituait pas à lui seul une garantie suffisante du contrôle du caractère raisonnable de l'amplitude et de la charge de travail.
16. Elle en a exactement déduit que ces dispositions, qui ne permettaient pas à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, n'étaient pas de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restaient raisonnables et à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail du salarié soumis au forfait en jours et qu'en conséquence la convention de forfait était nulle.
17. Le moyen, inopérant en sa troisième branche comme s'attaquant à un motif surabondant, n'est donc pas fondé pour le surplus.
Mais sur le deuxième moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
18. Le salarié grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en paiement d'heures supplémentaires, alors « qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; que des décomptes récapitulant le nombre d'heures de travail accomplies par semaine constituent des éléments suffisamment précis auquel l'employeur peut répondre ; que pour débouter M. [L] de sa demande de paiement d'un rappel de salaires au titre des heures supplémentaires accomplies, la cour d'appel a retenu que le salarié, qui produisait un calcul théorique aboutissant à un nombre moyen de 10,5 heures supplémentaires par semaine sans préciser pour chaque année le nombre d'heures accomplies, ne présentait pas d'éléments suffisamment précis pour que l'employeur puisse utilement répondre à sa demande ; qu'en statuant ainsi, quand le décompte hebdomadaire fourni par le salarié, reconstituant les heures de travail accomplies au regard de son amplitude journalière et ses pauses en l'absence de convention de forfait valablement conclue, était suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre sur les heures de travail accomplies, ce qu'il a d'ailleurs fait, la cour d'appel a violé l'article L. 3171-4 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 3171-4 du code du travail :
19. Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l'article L. 3171-3 du même code, dans ses rédactions issues de l'ordonnance n° 2007-3729 du 12 mars 2007 et de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l'employeur tient à la disposition de l'inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.
20. Enfin, selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
21. Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.
22. Pour débouter le salarié de sa demande au titre des heures supplémentaires et des congés payés afférents, l'arrêt, après avoir constaté que le salarié présentait un décompte des sommes réclamées, retient qu'il ne précise pas, pour chacune des années, le nombre d'heures supplémentaires prétendument accomplies ; qu'il procède à un calcul théorique qui, appliqué de manière identique pour chacune des trois années concernées par sa demande devrait aboutir à un nombre d'heures supplémentaires similaires d'une année sur l'autre, alors que ses demandes présentent des écarts inexpliqués, ce dont il déduit que les éléments produits par le salarié ne sont pas suffisamment précis pour que l'employeur puisse utilement répondre à sa demande.
23. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations, d'une part, que le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre, d'autre part, que ce dernier ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé le texte susvisé.
Et sur le troisième moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
24. Le salarié fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement d'une somme au titre du travail dissimulé, alors « que les heures supplémentaires non payées et non visées au bulletin de paie, résultant de la nullité d'une convention de forfait annuelle en jours, révèlent une situation de travail dissimulé ; que par application de l'article 624 du code de procédure civile, la censure qui s'attachera aux chefs de l'arrêt ayant débouté M. [L] de sa demande de rappel de salaires au titre des heures supplémentaires accomplies, entraînera, par voie de conséquence, la cassation du chef de dispositif de l'arrêt ayant débouté le salarié de sa demande en paiement d'une somme au titre du travail dissimulé. »
Réponse de la Cour
25. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt déboutant le salarié de sa demande en paiement d'heures supplémentaires entraîne la cassation du chef de dispositif le déboutant de sa demande en paiement d'une somme au titre du travail dissimulé, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
REJETTE le pourvoi incident ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [L] de sa demande relative aux heures supplémentaires et de sa demande en paiement d'une indemnité pour travail dissimulé, l'arrêt rendu le 12 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Limoges ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers ;
Condamne la société CSF France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société CSF France et la condamne à payer à M. [L] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, prononcé et signé par le président, en son audience publique du neuf novembre deux mille vingt-deux, et par Mme Piquot, greffier de chambre, en remplacement du greffier empêché.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Didier et Pinet, avocat aux Conseils, pour M. [L] demandeur au pourvoi principal
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
M. [L] reproche à l'arrêt attaqué d'avoir dit que son licenciement était fondé sur une faute grave et de l'avoir débouté de ses demandes indemnitaires à ce titre.
1°) ALORS QUE l'aveu est la déclaration par laquelle une personne reconnaît pour vrai un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques ; que pour produire ses effets, l'aveu doit être l'expression d'une volonté libre, exempte de tout vice du consentement ; qu'en retenant, pour dire le licenciement de M. [L] fondé sur une faute grave, que le courrier du salarié du 16 décembre 2016 constituait un aveu extrajudiciaire qui devait être accueilli, quand elle relevait par ailleurs que ce document devait être pris en compte « avec prudence compte tenu du contexte dans lequel il avait été rédigé », la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, et a violé l'article 1383 du code civil et les articles L. 1234-1, L. 1234-5, et L. 1234-9 du code du travail ;
2°) ALORS QUE la faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant de son contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible son maintien dans l'entreprise ; que ne constitue pas l'expression d'une volonté libre, exempte de tout vice du consentement, l'aveu du salarié fait à l'occasion de la remise d'une convocation à entretien préalable en vue d'un licenciement pour faute grave avec mise à pied conservatoire ; qu'en retenant que le licenciement de M. [L] reposait sur une faute grave en se fondant sur un aveu extrajudiciaire résultant d'un courrier du salarié du 16 décembre 2016, dans lequel il indiquait avoir dérobé des produits du magasin, quand elle constatait que ce document avait été signé au moment de la remise de la convocation à l'entretien préalable en main propre avec mise à pied conservatoire, ce dont elle aurait dû déduire que l'aveu de M. [L] avait été recueilli dans le cadre d'un rapport de force instauré par l'employeur, révélateur d'une situation de contrainte et, à tout le moins, incompatible avec l'exigence d'un consentement libre pour qu'il produise ses effets, la cour d'appel a violé l'article 1383 du code civil et les articles L. 1234-1, L. 1234-5, et L. 1234-9 du code du travail ;
3°) ALORS QUE dans ses conclusions d'appel (p. 18), M. [L] indiquait que pour tenter d'obtenir des preuves contre lui, le DRH et le Directeur Régional de l'entreprise étaient arrivés le 16 décembre 2016 au magasin, l'avaient immédiatement emmené dans son bureau, lui avaient demandé pendant plus d'une heure d'avouer des vols sous menace de plaintes et d'envoi immédiat de la gendarmerie pour perquisitionner son domicile « de préférence en présence de sa femme et de ses enfants », et que ne comprenant pas ce qui lui arrivait, le salarié avait fini, pour obtenir sa liberté, par écrire et signer ce que ces personnes voulaient ; qu'en retenant, pour dire le licenciement de M. [L] fondé sur une faute grave, que l'aveu extrajudiciaire fait par le salarié dans un courrier du 16 décembre 2016, dans lequel il indiquait avoir dérobé des produits du magasin, devait être accueilli, faute pour l'intéressé de donner plus de détails sur la contrainte qu'il invoquait et de permettre à la cour d'en apprécier la réalité et l'importance, la cour d'appel a dénaturé les conclusions de M. [L] et a violé l'article 4 du code de procédure civile ;
4°) ALORS QU'aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à sa connaissance ; que constitue un moyen de preuve illicite les enregistrements du salarié obtenus à l'aide d'un système de vidéosurveillance dont l'existence n'a pas été portée à la connaissance du personnel ; qu'en retenant que le licenciement de M. [L] reposait sur une faute grave, motifs pris que des enregistrements vidéos par le système de caméra de surveillance du magasin des 2 et 8 décembre 2016 faisaient apparaître le salarié prenant des produits pour les porter dans sa voiture, que l'intéressé avait reconnu les faits, et qu'il ne pouvait justifier du paiement des articles litigieux, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'employeur établissait avoir informé les salariés de l'existence d'un système de vidéosurveillance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1222-4, L. 1234-1, L. 1234-5, et L. 1234-9 du code du travail, ensemble l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et l'article 1383 du code civil.
DEUXIÈ
ME MOYEN DE CASSATION :
M. [L] reproche à l'arrêt attaqué de l'AVOIR débouté de sa demande en paiement d'heures supplémentaires.
1°) ALORS QU'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; que des décomptes récapitulant le nombre d'heures de travail accomplies par semaine constituent des éléments suffisamment précis auquel l'employeur peut répondre ; que pour débouter M. [L] de sa demande de paiement d'un rappel de salaires au titre des heures supplémentaires accomplies, la cour d'appel a retenu que le salarié, qui produisait un calcul théorique aboutissant à un nombre moyen de 10,5 heures supplémentaires par semaine sans préciser pour chaque année le nombre d'heures accomplies, ne présentait pas d'éléments suffisamment précis pour que l'employeur puisse utilement répondre à sa demande ; qu'en statuant ainsi, quand le décompte hebdomadaire fourni par le salarié, reconstituant les heures de travail accomplies au regard de son amplitude journalière et ses pauses en l'absence de convention de forfait valablement conclue, était suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre sur les heures de travail accomplies, ce qu'il a d'ailleurs fait, la cour d'appel a violé l'article L. 3171-4 du code du travail ;
2°) ALORS QUE pour débouter M. [L] de sa demande en paiement d'heures supplémentaires, la cour d'appel a retenu que le calcul fondé sur une base appliquée de manière identique sur les trois années concernées par la demande du salarié devrait aboutir à un nombre d'heures supplémentaires similaires d'une année sur l'autre, mais que des écarts inexpliqués existaient entre les trois années ; qu'en statuant ainsi, quand les écarts litigieux s'expliquaient par le caractère incomplet de certaines années ou par l'application des règles de prescription, la cour d'appel a violé l'article L. 3121-28 du code du travail.
TROISIÈ
ME MOYEN DE CASSATION :
M. [L] reproche à l'arrêt attaqué d'AVOIR rejeté sa demande en paiement d'une somme au titre du travail dissimulé.
1°) ALORS QUE les heures supplémentaires non payées et non visées au bulletin de paie, résultant de la nullité d'une convention de forfait annuelle en jours, révèlent une situation de travail dissimulé ; que par application de l'article 624 du code de procédure civile, la censure qui s'attachera aux chefs de l'arrêt ayant débouté M. [L] de sa demande de rappel de salaires au titre des heures supplémentaires accomplies, entraînera, par voie de conséquence, la cassation du chef de dispositif de l'arrêt ayant débouté le salarié de sa demande en paiement d'une somme au titre du travail dissimulé.
2°) ALORS QU' est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur de mentionner sur le bulletin de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli ; que les juges doivent rechercher le caractère intentionnel ou non de la dissimulation et statuer selon des motifs propres à caractériser ou écarter cette intention, ceci supposant des constatations de fait précises ; qu'en rejetant la demande en paiement d'une somme au titre du travail dissimulé formée par M. [L] sans autre explication, la cour d'appel n'a pas motivé sa décision et a violé l'article 455 du code de procédure civile.
Moyen produit par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la société CSF France demanderesse au pourvoi incident
La société CSF France fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré nulle la convention de forfait en jours prévue dans le contrat de travail de M. [L]
1/ALORS QUE la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; qu'en retenant d'une part que l'accord d'entreprise du 30 décembre 2008 et ceux qui sont venus lui succéder le 27 juin 2013 et 22 mai 2014 contiennent des dispositions « qui assurent la garantie du respect des repos, journaliers et hebdomadaires » puis que ces accords ne prévoient « aucune disposition spécifique pour assurer le contrôle du repos quotidien de 11 heures consécutives et du repos hebdomadaire de 35 heures continues », la cour d'appel s'est contredite en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;
2/ ALORS QUE toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires ; que l'article 6.4.1 de l'accord d'entreprise du 30 décembre 2008 et l' article 4.3 des accords d'entreprise des 27 juin 2013 et 22 mai 2014 prévoient que « les cadres autonomes doivent bénéficier d'un temps de repos quotidien d'au moins 11 heures consécutives et au minimum d'un repos hebdomadaire de 35 heures continues »; qu'en leur article 5, les accords d'entreprise des 27 juin 2013 et 22 mai 2014 prévoient que les salariés relevant d'une convention de forfait en jours bénéficient d'un entretien annuel avec la Direction au cours duquel est notamment abordé l'organisation, la charge et l'amplitude de travail et le respect des repos quotidien et hebdomadaire ; qu'en leur article 6.1, ces accords disposent que : « la charge de travail des salariés cadres ne peut jamais justifier le non-respect des repos quotidiens et hebdomadaires minimums obligatoires. L'organisation et la charge de travail sont adaptées afin que ces repos soient respectés et font l'objet d'un suivi régulier de la part de la hiérarchie de ces salariés » ; qu'en leur article 6. 2, ils prévoient que : « il appartient au supérieur hiérarchique de chaque salarié cadre de suivre régulièrement la charge et l'organisation de travail de celui-ci, afin d'assurer la protection de sa santé et sécurité au travail. Si entre ses entretiens annuels, le salarié considère qu'il rencontre une difficulté concernant sa charge de travail et/ou l'amplitude de ses journées de travail, il en réfère alors à son supérieur hiérarchique et au service des ressources humaines. Une réunion entre le salarié et son supérieur hiérarchique est alors programmée afin qu'ils puissent examiner la situation et trouver des solutions ensemble » ; qu'en jugeant néanmoins que ces accords ne prévoient pas de garanties suffisantes du contrôle du caractère raisonnable de l'amplitude et de la charge de travail ni aucune disposition spécifique pour assurer le contrôle du repos quotidien de 11 heures consécutives et du repos hebdomadaire de 35 heures continues, lorsqu'un tel contrôle est prévu par le supérieur hiérarchique du salarié de manière régulière ainsi qu'à la demande du salarié à tout moment, la cour d'appel a violé l'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l'article 151 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, l'article L. 3121-45 du code du travail dans sa rédaction alors applicable, interprété à la lumière de l'article 17, §§ 1 et 4, de la directive 93/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993, des articles 17, § 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
3/ ALORS QUE toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires ; que le salarié ayant conclu une convention de forfait en jours n'est pas soumis aux dispositions relatives à la durée quotidienne maximale de travail et aux durées hebdomadaires maximales de travail ; qu'en retenant que les accords d'entreprise des 30 décembre 2008, 27 juin 2013 et 22 mai 2014 ne contiennent aucune disposition spécifique de nature à garantir le respect des durées maximales de travail pour en déduire que ces accords ne sont pas de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et à assurer une bonne répartition dans le temps du travail de l'intéressé et donc à assurer la protection de sa santé et sa sécurité, la cour d'appel a violé l'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l'article 151 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, les articles L. 3121-45 et L. 3121-48 du code du travail dans leur rédaction alors applicable, interprétés à la lumière de l'article 17, §§ 1 et 4, de la directive 93/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993, des articles 17, § 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.