LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 27 octobre 2022
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1113 F-D
Pourvoi n° H 19-25.566
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 OCTOBRE 2022
La société Hirou, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], ayant un établissement [Adresse 3], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de M. [O] [X], a formé le pourvoi n° H 19-25.566 contre l'ordonnance rendue le 1er octobre 2019 par le premier président de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion (chambre PP autres), dans le litige l'opposant à M. [Y] [C], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Isola, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Hirou, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de M. [O] [X], de la SCP Didier et Pinet, avocat de M. [C], et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Isola, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Saint-Denis de la Réunion, 1er octobre 2019), et les productions, M. [X], placé en liquidation judiciaire, a confié à M. [C] (l'avocat) la défense de ses intérêts dans une procédure de vente par adjudication d'un bien immobilier dépendant de la procédure collective, dont la mise à prix a été fixée par un arrêt d'une cour d'appel du 3 janvier 2017.
2. À l'issue de la procédure de vente, l'avocat a adressé à la société Hirou, mandataire liquidateur, une note d'honoraires d'un certain montant, en sollicitant le règlement par prélèvement sur l'actif disponible de la liquidation de M. [X].
3. La société Hirou s'étant opposée à cette demande, M. [X], représenté par l'avocat, a saisi la juridiction commerciale qui, par arrêt d'une cour d'appel du 18 avril 2018, a ordonné à la société Hirou, ès qualités, de prendre en compte les honoraires de l'avocat relatifs à l'instance en contestation de la mise à prix de l'immeuble dépendant de la liquidation judiciaire et dit qu'il appartiendrait à cette société, le cas échéant, de contester le montant de ces honoraires devant les instances compétentes.
4. À défaut de règlement, par la société Hirou, de ses honoraires, l'avocat a saisi le bâtonnier de son ordre à fin d'en faire fixer le montant.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. La société Hirou fait grief à l'ordonnance de déclarer recevables les demandes formulées par l'avocat à son encontre, de dire non prescrite la demande en fixation d'honoraires formulée par l'avocat à son encontre au titre de l'assistance de M. [X] à l'occasion de la fixation de la mise à prix dans la procédure collective ayant donné lieu à l'arrêt du 3 janvier 2017 de la cour d'appel de Saint-Denis, de fixer à la somme de 7 000 euros le montant des honoraires exigibles par l'avocat au titre de l'assistance de M. [X] à l'occasion de la fixation de la mise à prix dans la procédure collective ayant donné lieu à l'arrêt du 3 janvier 2017 de la cour d'appel de Saint-Denis, de la condamner à payer la somme totale de 12 000 euros à l'avocat et de dire que les dépens resteraient à sa charge, alors « que pour interrompre la prescription, la demande en justice doit émaner du créancier lui-même et être adressée au débiteur que l'on veut empêcher de prescrire ; qu'en retenant que le litige opposant M. [X] à la société Hirou avait interrompu la prescription de la demande de taxation d'honoraires de l'avocat, le premier président a violé l'article 2241 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 2241 du code civil :
6. Il résulte de ce texte que, pour être interruptive de prescription, la demande en justice doit émaner du créancier lui-même et être adressée au débiteur que l'on veut empêcher de prescrire.
7. Pour déclarer non prescrite la demande de l'avocat en fixation de ses honoraires, l'ordonnance énonce qu'il est manifeste qu'à l'occasion de la procédure opposant M. [X] à la société Hirou, la cour d'appel a expressément statué sur les honoraires de l'avocat de M. [X] par arrêt du 18 avril 2018, de sorte que la prescription a été interrompue jusqu'à la date de celui-ci.
8. En statuant ainsi, le premier président, qui a fait produire un effet interruptif de prescription à une action à laquelle l'avocat n'avait pas été partie, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 1er octobre 2019, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cette ordonnance et les renvoie devant la juridiction du premier président de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, autrement composée ;
Condamne M. [C] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [C] et le condamne à payer à la société Hirou, en qualité de liquidateur judiciaire de M. [X], la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept octobre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la société Hirou, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de M. [O] [X]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir déclaré recevable les demandes formulées par M. [C] à l'encontre de la société Hirou, d'avoir dit non prescrite la demande en taxation d'honoraires formulée par M. [C] à l'encontre de la société Hirou, ès qualités, au titre de l'assistance de M. [X] dans le cadre de la fixation de la mise à prix dans la procédure collective soldée par l'arrêt rendu le 3 janvier 2017 par la cour d'appel de Saint-Denis, d'avoir taxé à concurrence de la somme de 7 000 euros le montant des honoraires exigibles par M. [C] au titre de l'assistance de M. [X] dans le cadre de la fixation de la mise à prix dans la procédure collective soldée par l'arrêt rendu le 3 janvier 2017 par la cour d'appel de Saint-Denis, d'avoir condamné la société Hirou, ès qualités, à payer la somme totale de 12 000 euros à M. [C] et d'avoir dit que les dépens resteraient à la charge de la société Hirou ;
Aux motifs que la société Hirou oppose la prescription biennale de la demande de taxation du 11 mars 2019, la facture d'honoraires datant du 6 février 2017 soit un délai supérieur à deux années ; qu'il est cependant manifeste que, dans le cadre de la procédure RG 17/1489 dans le litige opposant M. [O] [X] à la société Hirou, la cour d'appel a expressément statué sur les honoraires de l'avocat de M. [O] [X] dans son arrêt du 18 avril 2018 de sorte que la prescription a été interrompue jusqu'à la date de reddition de l'arrêt ; que l'action n'est pas prescrite ; que M. [C] sollicite des honoraires à hauteur de 9 222,50 euros pour la procédure ayant abouti à l'arrêt de la cour d'appel du 3 janvier 2017 infirmant l'ordonnance du juge commissaire et fixant la mise à prix de l'immeuble à 350 000 euros ; que dès lors que le premier président est saisi d'une contestation, il doit évaluer le montant des honoraires en considération, à défaut de convention, des usages, de la fortune du client, de la difficulté de l'affaire, des frais exposés par l'avocat, de sa notoriété et de ses diligences, sachant que le fait pour la société Hirou de n'avoir pas contesté le montant des honoraires de l'avocat comme le suggérait l'arrêt susvisé ne s'analyse pas en un acquiescement du montant de ces honoraires ; qu'eu égard à la procédure engagée devant la cour pour infirmer l'ordonnance du juge commissaire sur la mise à prix de l'immeuble et eu égard au prix de vente de l'immeuble à la somme de 156 000 euros, M. [C] est fondé à obtenir des honoraires à hauteur de 7 000 euros ;
1°) Alors que pour interrompre la prescription, la demande en justice doit émaner du créancier lui-même et être adressée au débiteur que l'on veut empêcher de prescrire ; qu'en retenant que le litige opposant M. [X] à la société Hirou avait interrompu la prescription de la demande de taxation d'honoraires de M. [C], le premier président a violé l'article 2241 du code civil ;
2°) Alors subsidiairement que pour interrompre la prescription, la reconnaissance du droit du créancier doit émaner du débiteur ou de son mandataire, à l'exclusion du juge ; qu'en retenant que dans le litige opposant M. [X] à la société Hirou, la cour d'appel avait expressément statué sur les honoraires de M. [C] dans son arrêt du 18 avril 2018 de sorte que la prescription avait été interrompue, le premier président a violé l'article 2240 du code civil.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)Il est fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir taxé à concurrence de la somme de 7 000 euros le montant des honoraires exigibles par M. [C] au titre de l'assistance de M. [X] dans le cadre de la fixation de la mise à prix dans la procédure collective soldée par l'arrêt rendu le 3 janvier 2017 par la cour d'appel de Saint-Denis, et d'avoir condamné la société Hirou, ès qualités, à payer la somme totale de 12 000 euros à M. [C] ;
Aux motifs que M. [C] sollicite des honoraires à hauteur de 9 222,50 euros pour la procédure ayant abouti à l'arrêt de la cour d'appel du 3 janvier 2017 infirmant l'ordonnance du juge commissaire et fixant la mise à prix de l'immeuble à 350 000 euros ; que dès lors que le premier président est saisi d'une contestation, il doit évaluer le montant des honoraires en considération, à défaut de convention, des usages, de la fortune du client, de la difficulté de l'affaire, des frais exposés par l'avocat, de sa notoriété et de ses diligences, sachant que le fait pour la société Hirou de n'avoir pas contesté le montant des honoraires de l'avocat comme le suggérait l'arrêt susvisé ne s'analyse pas en un acquiescement du montant de ces honoraires ; qu'eu égard à la procédure engagée devant la cour pour infirmer l'ordonnance du juge commissaire sur la mise à prix de l'immeuble et eu égard au prix de vente de l'immeuble à la somme de 156 000 euros, M. [C] est fondé à obtenir des honoraires à hauteur de 7 000 euros ;
Alors que les honoraires de l'avocat tiennent compte, selon les usages, de la situation de fortune du client, de la difficulté de l'affaire, des frais exposés par l'avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci ; qu'en se bornant, pour fixer les honoraires de Me [C], à viser « la procédure engagée devant la cour pour infirmer l'ordonnance du juge commissaire sur la mise à prix de l'immeuble » et le « prix de vente de l'immeuble à la somme de 156 000 euros », sans faire état des critères déterminants de son estimation, le premier président n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 10, alinéa 4, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir taxé à concurrence de 5 000 euros le montant global des honoraires exigibles par M. [C] dans le cadre de la procédure en paiement de ses honoraires engagés à l'encontre de la société Hirou, et d'avoir condamné la société Hirou, ès qualités, à payer à M. [C] la somme totale de 12 000 euros ;
Aux motifs que Maître [Y] [C] demande également des honoraires à hauteur de 9 222,50 euros pour les frais engagés lors de la procédure mise en oeuvre pour le paiement de ses honoraires terminée par l'arrêt de la cour d'appel en date du 18 avril 2018 plus une somme de 2 000 euros pour la taxation du présent recouvrement ; qu'il convient d'évaluer les honoraires de Maître [Y] [C] pour l'ensemble des frais engagés pour la procédure en paiement de ses honoraires devant la cour et devant le bâtonnier et le premier président à la somme de 5 000 euros ;
1°) Alors que seules les créances nées régulièrement après le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation pour les besoins du déroulement de la procédure ou du maintien provisoire de l'activité ou en contrepartie d'une prestation fournie par le débiteur pendant ce maintien de l'activité, sont payées à leur échéance ; que n'est pas née pour les besoins du déroulement de la liquidation, la créance d'honoraires de l'avocat du débiteur, exposés dans le cadre d'une procédure dirigée contre les organes de la liquidation et ayant abouti à condamner celle-ci à payer une dette contractée par le débiteur ; qu'en l'espèce, en condamnant la société Hirou, en qualité de liquidateur de M. [X], à payer à leur échéance les frais d'avocat exposés par M. [X] dans le cadre d'une procédure dirigée contre la liquidation et ayant abouti à condamner celle-ci à payer une dette contractée par M. [X], le premier président, qui n'a pas constaté que l'activité de M. [X] avait été maintenue, a violé l'article L. 641-13, I, du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008 ;
2°) Alors que la procédure de taxation prévue par le décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat ne concerne pas les frais engagés par l'avocat pour obtenir le paiement de ses honoraires devant les juridictions compétentes ; qu'en taxant à concurrence de 5 000 euros le montant global des honoraires exigibles par M. [C] dans le cadre de la procédure en paiement de ses honoraires engagés à l'encontre de la société Hirou, en y incluant les frais engagés devant le bâtonnier en première instance et devant lui-même en appel, le premier président a violé les articles 174 et 277 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 ;
3°) Alors en tout état de cause que si le défaut de signature d'une convention ne prive pas l'avocat du droit de percevoir des honoraires pour ses diligences, c'est à la condition qu'il établisse avoir été expressément mandaté par son client pour les accomplir ; qu'en fixant les honoraires de Me [C] pour l'ensemble des frais engagés pour la procédure en paiement de ses honoraires devant la cour et devant le bâtonnier et le premier président à la somme globale de 5 000 euros, sans constater que Me [C] avait été expressément mandaté à cette fin, quand il était constant qu'aucune convention d'honoraires n'avait été signée, le premier président a privé sa décision de base légale au regard des articles 1103 du code civil et 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;
4°) Alors en tout état de cause que les honoraires de l'avocat tiennent compte, selon les usages, de la situation de fortune du client, de la difficulté de l'affaire, des frais exposés par l'avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci ; qu'en retenant qu'il convenait d'évaluer les honoraires de Me [C] pour l'ensemble des frais engagés pour la procédure en paiement de ses honoraires devant la cour et devant le bâtonnier et le premier président à la somme globale de 5 000 euros, sans faire état des critères déterminants de son estimation, le premier président n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 10, alinéa 4, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971.